Bad Love Cursed Romance

Treize

 Ils avaient pris l'habitude de passer quelques heures à la bibliothèque, pratiquement tous les jours.

La Marionnette s'entraînait à lire pendant ces moments-là, sur des ouvrages sélectionnés par la reine elle-même. Il discernait les lettres, avant d'apercevoir des mots, pour ensuite parvenir à lire des phrases entières à vive voix. La souveraine le corrigeait de temps en temps sur la prononciation de certains mots qui lui étaient parfaitement inconnus, avec sa douceur habituelle.

— Vous vous améliorez indéniablement, lui avait-elle dit alors en souriant légèrement, sans toutefois lâcher des yeux l'ouvrage qu'elle était en train d'inspecter. Votre vitesse d'apprentissage est remarquable. Si vous continuez ainsi, dans moins d'une semaine, vous lirez comme si vous faisiez cela depuis l'enfance que vous n'avez jamais eue.

Ce compliment l'avait poussé à lire de plus en plus, s'efforçant à avoir une lecture parfaite, mais cet exercice lui était plus difficile qu'il aurait pu le penser. Même si Thémy se trompait, la reine lui expliquait calmement, sans colère, sans moquerie. Elle pouvait prendre plusieurs minutes à lui expliquer le sens d'un mot, pourquoi cette combinaison de lettres se prononcer d'une telle manière, et pas d'une autre. Elle était d'une patience infinie, malgré les recherches qu'elle menait de son côté.

La souveraine venait rarement à la bibliothèque dans l'unique but de lui apprendre à lire. La reine consultait des ouvrages par plusieurs dizaines en à peine un après-midi, mais la Marionnette ignorait leur contenu. Il se contenait des livres que la reine lui tendait, sans chercher à chercher plus loin. De toute manière, en était-il autorisé ? Il en doutait : en voyant la mine brièvement renfrognée qu'elle pouvait aborder, en fermant assez brutalement un livre, ainsi que ses sourcils froncés et la disparition de son sourire, la Marionnette avait renoncé de lui demander qu'est-ce qui n'allait pas. Malgré son calme, elle restait humaine. Et dangereuse. Jamais Thémy ne pouvait oublier ce qu'elle avait infligé à Gwenn – même si une question déplacée n'était pas comparable à une tentative d'assassinat, la crainte de brusquer la souveraine était une certaine source d'angoisse chez lui.

Ainsi, en cet après-midi banal, la reine et son garde du corps personnel s'apprêtaient à cette activité. Ils étaient seuls : à part une unique fois où la Marionnette avait surpris le général Michel Igalle flâner entre les étagères, personne ne semblait vouloir s'aventurer dans la bibliothèque du château. À son plus grand soulagement. Ces moments intimes avec elle lui procuraient une jubilation sans précédent, loin des regards mauvais du général Baptiste Lyraispaix, et des yeux froids de Laureline, mais aussi loin des appartements privés de la reine qu'il surveillait en silence, quand elle ne lui ouvrait pas sa porte. La reine ferma un livre volumineux en soupirant, visiblement contrariée, avant d'en attraper un autre, à la couverture tombant en ruine et aux pages jaunis. Thémy n'osait lever le regard pour voir de quoi cela traitait, de peur de l'irriter davantage. Il ne lâcha pas alors cette œuvre rocambolesque, l'histoire d'une créature mi-humaine mi-poisson et d'un pêcheur, des yeux...

Puis, la Marionnette entendit ces bruits de pas précipités, qui se rapprochaient dangereusement. Thémy se raidit, avant de se lever immédiatement, la main proche de la garde de son arme. La reine lui lança un regard perplexe, mais n'eut pas le temps de lui demander ce qui n'allait pas.

Le général Gabriel Young en personne surgit devant eux. Son visage était tiraillé par la surprise, mais aussi par le prix de l'effort qu'il avait dû fournir pour arriver ici le plus rapidement possible – sa poitrine se soulevait fortement, de la sueur faisait luire son front. L'homme à la chevelure rosée parvint à se redresser, puis à s'incliner devant la reine, avant d'annoncer – non, de tonitruer :

— Majesté, vous avez de la visite !

— Pardon ? releva-t-elle, en se levant, les yeux plissés.