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 — Il ne t'a pas loupé, remarqua Kenji.

Toutes les blessures de Thémy s'étaient résorbées, hormis les ecchymoses qui dansaient autour de son œil gauche. Il avait encore du mal à l'ouvrir complètement. De son œil entièrement valide, il observa furtivement ses deux camarades, qui le fixaient avec un mélange de frustration et de pitié. Et la Marionnette détestait ça. Il baissa la tête sur son assiette. Il n'avait pas faim – et c'était bien la première fois.

Puis, Eloïse rapprocha sa main, frôla l'avant-bras de Thémy. Il ne prit même pas le temps de la regarder.

— Nous sommes vraiment navrés pour toi, commença-t-elle d'un ton sincère. Tu ne mérites pas cela. As-tu essayé d'en parler aux généraux ? Je veux dire...

— La loi du plus fort, grommela-t-il. Ils veulent de quelqu'un qui soit capable de terrasser n'importe qui, n'importe quoi. Et je n'en suis pas capable.

— Ne dis pas ça...

— Si tu t'entraînes encore plus, proposa alors Kenji, peut-être que tu peux leur faire changer d'avis ? D'accord, Axel est balèze, mais...

— Les généraux ont autre chose à faire que d'organiser des duels tous les deux mois, Kenji.

— Ouais, c'est vrai, mais...

La Marionnette au troisième œil ne termina pas sa phrase, visiblement gêné. Eloïse poursuivit tout de même, d'un ton faussement optimiste :

— Il doit y avoir une solution, je t'assure. Qui sait ? Peut-être qu'Axel va abandonner son poste...

— Personne ici n'est assez fou pour abandonner un poste pareil, rétorqua Thémy d'un ton morose. J'ai échoué, c'est tout.

Un silence. Il trifouilla sa bouillie de flocons d'avoine, la boule au ventre. Il craignait que le moindre aliment passant le palier de sa gorge allait immédiatement le faire vomir. Eloïse lança un regard désemparé à Kenji. Ce dernier haussa légèrement les épaules, aussi désabusé qu'elle.

— Maintenant, je dois dire au général Gabriel Young où je veux être muté. Aux remparts et à l'entrée du château, renseigna Thémy.

— Et que préférerais-tu ? le questionna tendrement la Marionnette aux tatouages enflammés.

Il aurait voulu lui répondre « aucun des deux », mais il se contenta de hausser les épaules. La Marionnette remarqua que sa douleur à l'œil gauche commençait à se réveiller, petit à petit. Il sortit la plaquette de son pantalon et extirpa une pilule. Avant qu'il pût la boire, Kenji l'interrompit soudainement :

— Oh, merde ! J'avais oublié. Tiens !

Il farfouilla dans son propre pantalon et sortit une autre plaquette de médicaments – plus petits, de forme circulaire, entièrement blancs. Thémy les regarda d'un air absent.

— C'est les médocs dont je te parlais, rétorqua son camarade. J'ai parlé de toi à Nastya quand je l'ai vue, je lui ai expliqué ta situation. C'est un peu trop tard, je sais, mais je n'ai pas pu te les passer avant... mais bon, si tu broies du noir les prochains jours et que tu n'arrives pas à dormir... Nastya m'a juste dit qu'il ne faut pas que tu en abuses trop. C'est assez fort.

Thémy attrapa la deuxième plaquette, l'observa sous tous ses angles. Son regard se posa ensuite sur les anti-douleurs. Pendant un maigre instant, il ne fit plus attention au brouhaha ambiant de la cafétéria. Son esprit, enfin capable de réflexion, se mit à marcher à plein régime. Une idée lui vint soudainement en tête, son œil valide s'écarquilla légèrement. La Marionnette regarda à sa droite.

Bad Love Cursed RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant