La frontière entre les deux nations se présenta à eux cinq jours plus tard.
Elle se traduisit par un poste de garde perché au sommet d'une tour rectangulaire, haute de plusieurs mètres et en pierre noire, ainsi que des murs de la même matière arborés de piques – échine infernale d'un monstre créé de toutes pièces –, se déployant sur des kilomètres interminables. Enfin, c'était le cas pour le côté obscurcien : la frontière ochasienne, quant à elle, se manifestait par un fleuve à l'eau grisâtre, comme malade, tellement faible qu'il fallût plisser les yeux et se pencher bien en avant pour apercevoir le triste cours d'eau en train de minablement ramper dans son lit.
Le groupe s'arrêta devant une profonde brèche mutilant les murailles où, à travers, l'Ochas s'étendait. Les soldats postés ici semblaient encore sonnés et déboussolés par cette attaque éclair venant de la nation voisine. Quand ils aperçurent le général, les visages se déformèrent par l'horreur et l'anxiété, mais l'homme se contenta seulement de brandir solennellement un parchemin blanc, au sceau noir corbeau et au ruban tout aussi sombre. Les soldats ne pipèrent mot alors que le général Michel Igalle déclara tout simplement :
— Nous avons l'ordre d'immédiatement franchir la frontière. Quiconque démontrant la moindre opposition sera sévèrement châtié.
Les hommes se raidirent, se mirent au garde-à-vous, en silence. Les svadilfaris se remirent en mouvement, traversèrent la brèche. Thémy lança un regard à tous ces soldats muets. Leurs traits étaient forgés dans une fatigue extrême, un accablement sans précédent. Ils savaient ce qu'il s'était passé, sans aucun doute. Car ils n'avaient pas pu retenir l'ennemi d'attaquer. La Marionnette leur adressa un léger hochement de la tête, en guise de reconnaissance, mais aucun homme n'y fit attention.
Le général et les Marionnettes passèrent la frontière, remontant le lit sec de ce fleuve mourant, au courant si faible et bas. Aucun garde ochasienne ne leur barra la route : la frontière avait été lâchement abandonnée par ses gardiens, ses tuteurs, à la merci de l'ennemi. Les créatures remontèrent lentement la pente, de la poussière s'éleva de leurs pas, comme des bouts infimes de l'âme de cette terre désolée parvenant enfin à trouver le repos éternel.
Soudain, le maître en Sombre Alchimie fit retourner sa monture. Il affronta les Marionnettes du regard.
— Soyez les bienvenus en Ochas, annonça-t-il platement, malgré ses bras levés dans une allure théâtrale.
La Majeure les observait toujours, de son regard vide, impartial. Le garde du corps de la reine fixa l'horizon : des terres grises, craquelées de tout part, sans la moindre végétation. Des arbres morts à l'écorce parfaitement blanche brisaient ce tableau bien morne, levant leurs bras décharnés vers le ciel sombre dans un geste de plainte, de supplication, d'ultime secours. Thémy en eut la chair de poule. Aucun toit, aucune fumée, ne surgissait à l'alentour, mais aussi aucune montagne : l'Ochas était une nation plate, rectiligne. C'était un véritable désert gris, fui par les dunes, les oasis et le sable lui-même, où la mort régnait en maître alors qu'elle ne s'en rendait probablement pas compte. Les svadilfaris foulèrent ce monde monochrome sans rien dire. Eloïse réprima un frisson.
— Je savais bien que l'Ochas était une terre asséchée, mais j'ignorais à une ampleur pareille.
— On dirait que la terre va céder sous nos pieds, remarqua Kenji en se penchant sur un côté, l'air plus curieux que peiné.
— Les précipitations sont rares, expliqua calmement le général, les yeux rivés vers l'horizon. Les cours d'eau sont au plus bas, et cela depuis des décennies. L'Ochas est en train de dépérir.

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Bad Love Cursed Romance
FantasyProtéger le royaume. Protéger le château. Protéger la reine. Voilà sa vocation. Thémy est une Marionnette, c'est-à-dire une créature dépourvue de conscience façonnée dans le but de servir son créateur. Lui et les cent neuf autres Marionnettes n'ont...