Chapitre 2

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Elle se réveilla quelques minutes avant l'heure obligatoire. Son cerveau fonctionnait au ralenti et il lui fallut quelques secondes avant de se rappeler qu'elle était au camping des trois soleils. Son bras droit frotta contre ses yeux et elle bailla longuement. Susanne, Clara et Emeline étaient déjà levées et occupées dans la salle de bain. Le bruit du robinet parvient à ses oreilles, et rappela à sa vessie qu'elle devait aller la vider rapidement.

Trois coups légers resonnèrent contre la porte d'entrée, et le visage de Mme Laoudy apparut dans l'encadrure. Elle balaya la pièce du regard et sourit en apercevant Océane encore au lit.

_Debout petite marmotte, lança-t-elle gentiment, avec un rictus taquin.

Puis elle s'assura que les autres locataires du bungalow étaient bien levées avant de refermer la porte pour aller réveiller les autres. Océane grogna dans son oreiller mais finit par sortir les deux jambes des draps et se traîner aux toilettes. Se rendant compte que son humeur venait de s'améliorer subitement suite à la visite professorale, elle émit un autre grognement désapprobateur.

Ce n'était pas le moment.

Pas. Du. Tout. Le. Moment.

Sortant des toilettes et s'habillant, Océane préféra sortir tout de suite et se dirigea vers la plage. Elle avait besoin de prendre l'air.

Le sable légèrement humide collait sous ses pieds nus, la jeune fille se dirigea comme un automate vers son rocher habituel, avant de changer brusquement d'avis et préférer s'asseoir à même la dune dorée. Son esprit était bien trop dérangé par les sous entendus envahissants faits par ses colocataires. Elle ne savait pas si l'idée que sa professeure se trouve déjà sur le rocher ne l'angoissait plus qu'elle ne l'apaise. Elle chercha rapidement où pouvait se trouver Jerry mais elle n'en avait aucune idée. Lentement, elle creusa un trou entre ses pieds, y jetant des coquillages esseulés, pour s'occuper l'esprit. Elle sursauta quand une femme de taille adulte la dépassa et son coeur la surprit en battant la chamade. Mais ce n'était que la prof de maths qui lui jeta un regard légèrement méfiant et accusateur.

La jeune fille se hâta de baisser les yeux, préférant donner toute son attention au trou de sable nouveau né. Le rouge lui monta aux joues. Non pas à cause du soleil roux qui continuait à l'observer étrangement depuis la digue, mais simplement dû à un combat intérieur. Celui, rationnel, de son cerveau d'étudiant, s'opposant à celui, bien plus incontrôlable, de son cœur et de ses réactions imprévisibles depuis peu.

Je suis attirée par une fille.

La petite voix qui venait de lui tordre l'esprit, n'était qu'un chuchotement. Pourtant, Océane écarquilla les yeux quand celle-ci se répéta, bien plus fort.

Je suis attirée par une fille.

Ce n'était pas possible, et Océane le savait parfaitement. Mais ce n'était pourtant pas cette partie de prise de conscience qui la fit trembler de surprise.

Je suis attirée par ma prof de philo.

Jamais de sa vie Océane n'avait imaginé de futur avec une femme. Pour elle, elle se marierait avec un homme qui l'aimerait, et vivrait le futur parfait dicté à toutes les petites filles. Cependant, en une simple phrase, tous ses aperçus brefs d'un avenir lointain venaient d'être renversés. Était-ce possible d'être heureuse différemment ? Que diraient les gens, et ses parents ? Et que diraient... ?

<< Ils ne diront rien puisqu'ils n'en sauront rien. C'est une prof et rien de plus, elle ne tombera pas amoureuse d'une gamine, Océane. >>

Soudain morose, l'adolescente ravagea le trou de sable d'un coup de pied rageur et se leva brusquement. Elle ne connaissait pas cette nouvelle version d'elle-même et elle n'était pas certaine de l'apprécier. Et alors qu'elle devrait être en train de rêver de petit ami comme Suzanne et les autres filles de son âge, elle espérait la caresse de longs cheveux blonds couleur titane contre sa peau.

_ Et merde ! jura-t-elle. Ce n'était pas prévu ça.

Océane arriva en avance au stand qui promouvait la course de vélo prévue pour son groupe entier. S'appuyant contre le pilier de l'entrée, elle lissa son cuissard du plat de la main et ébouriffa ses cheveux pour tenter d'apporter un peu d'air frais à son visage trop chaud. Elle avait remarqué depuis peu de temps que les deux professeures habituellement très amies ne semblaient plus en très bon termes, et se demandait secrètement pourquoi. Mais elle savait très bien que ce n'était pas ses affaires, et qu'elle n'avait pas à le savoir. Un bruit métallique la tira de ses pensées quand son meilleur ami renversa son vélo et elle se mit à rire devant son air dépité. Jerry lui tira la langue et s'éloigna vers l'autre groupe qui commençait à se former. Océane remarqua qu'elle ne semblait pas avec les trois pestes et senti le soulagement dans son corps à l'idée d'un peu de répit. Simplement profiter d'un peu de calme lui parut soudain aussi étonnant qu'inesperé. Elle coiffa son casque et attacha la sangle sous son menton, attendant à côté de son vélo. Elle remarqua Mme Laoudy qui arrivait et se força à détourner son regard des jolies cuisses élancées et bronzées qui étaient moulées par les cuissardes. Si jamais il avait pu lui rester un seul doute quant à l'inclinaison de son cœur, il venait de disparaître. Cependant, la jeune femme paraissait contrariée, et ne la salua pas comme à son habitude, ce qui fit très rapidement redescendre la bonne humeur d'Océane. Elle alla s'équiper, et son élève fût soulagée de voir qu'elle s'occuperait de son groupe.

Le début de la randonnée se passa en silence pour Océane, placée dans le début du peloton. Derrière elle résonnaient les rires de ses camarades, et les chamailleries joyeuses, cependant ponctuées de râles provenant des élèves les moins enthousiastes. Sur sa droite, Mme Laoudy pédalait sans un mot, les lèvres pincées en une fine ligne. Les yeux rivés devant elle, Océane se demanda soudainement si le fait de rentrer chez elle ferait rentrer les choses dans l'ordre, en pensant aux trois colocataires de son bungalow, mais aussi à sa professeure. L'empressement qu'elle avait ressenti au cours du voyage dans l'optique de revenir à la normale fût balayé avec force par cette pensée. Elle ne verrait plus son meilleur ami tous les matins, et elle ne la verrait plus non plus. Pas de mèches titanes dans le vent pour lui rappeler qu'il existait encore des détails dans ce monde qui rendaient heureux.

Elle soupira. Peut être un peu trop fort car elle remarqua la personne à sa droite lui jeter un coup d'œil. Évidemment.

Elle était en colère contre elle-même, pourquoi se sentait-elle si différente ? Après tout, est ce que l'inclinaison d'un cœur pouvait être contre nature ? Elle se mordit la lèvre.

*suis je normale ?*

La randonnée fût terminée avant qu'elle ne puisse se répondre à elle-même.

Elle finit par descendre de son vélo en remarquant que l'autre groupe les attendait déjà à l'entrée du local. Jerry était appuyé contre le tronc d'un palmier et ses lunettes de soleil rectangulaires lui donnaient des airs rétro. Il lui sourit en la remarquant.

Elle s'apprêtait à aller le rejoindre quand elle se rendit compte que la professeure de mathématiques arrivait droit sur elle, comme une folle furieuse.

-Benedict, je dois te parler !

Ah... elle se retourna pour constater que la femme rousse s'adressait en réalité à sa collègue... Genre vraiment ? Mme Laoudy s'appelle Benedict ? Oceane ne put s'empêcher de sourire légèrement. Pourtant les deux professeures se défiaient du regard derrière elle.

-très bien, répondit froidement Mme Laoudy.

Océane fronça les sourcils face au ton employé, pas très habituée à l'entendre venir de cette femmes aux yeux saphirs. Pour être honnête, ce défi ne lui allait pas.

*ce ne sont pas mes affaires* songea t'elle en s'éloignant discrètement à contre cœur, se dirigeant vers Jerry qui l'attendait, faisant preuve d'une patience légendaire.

Celui-ci semblait pourtant l'observer d'un drôle d'air quand elle arriva à sa hauteur.

-Quoi ? Le coupa t elle avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche.

-Wow, tranquille, ça va j'ai rien dit ! se justifia le garçon en reculant.

Océane était en colère. Elle ne savait pas d'où venait ce feu qui s'allumait lentement dans sa poitrine. Elle ne voulait pas le savoir.

-Je vais faire un tour, grommela-t-elle finalement, laissant son meilleur ami à côté de leurs deux vélos. Elle songea avec amertume qu'il ressemblait étrangement à une plante verte dans un pot trop petit, debout à l'observer s'éloigner.


Lui apprendre à aimer - [Romance lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant