Chapitre 33

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Pov Suzanne

Il neige encore. Face à la porte d'entrée, je me demande un instant ce qu'il m'a pris. Pourquoi ai-je eu le besoin d'aller lui parler de ça?

Il est trop tard, son père m'a dit qu'elle arrivait. Je me rends compte que la raison de ma visite est clairement déplacée. Il y a quelques mois cela ne m'aurait même pas effleuré l'esprit de faire demi-tour.

Mais j'ai changé.

-Salut ! Qu'est ce que tu fais là ?

Océane m'accueille avec le sourire. J'essaie de lui en renvoyer un mais j'ai encore du mal à paraître sincère.

-On peut aller discuter ? je lui demande.

Elle hoche la tête et s'empresse de se saisir de sa veste, pendue derrière la porte. Je l'attend sur le paillasson.

Une fois qu'elle est prête, nous partons sous la neige, marchant avec lenteur, juste pour se donner une contenance. Finalement, je me lance.

-Je voulais m'excuser, je soupire. Je sais que c'est pathétique vu les choses horribles que j'ai pu faire, mais c'est sincère. Je t'ai toujours vu comme quelqu'un de favorisé par rapport aux autres, qui s'en sortait bien parce que tu avais de bonnes conditions sociales, tes parents, un quartier aisé...

J'enfonce un peu mon bonnet noir sur mes cheveux lisses.

-Pour être honnête, je comprends, avoue-t-elle. Et je ne pensais pas du bien de toi non plus, si ça peut te rassurer un peu. En général, je déteste que l'on juge sur les apparences, et visiblement, je l'ai fait aussi. Personne n'aurait pu se douter que c'était aussi... difficile pour toi d'assurer avec tout ça, et moi la première.

Je ne peux pas la blâmer. Je ne voulais pas que les gens le devinent, c'était vraiment la raison de ma méchanceté. Mais même si j'ai changé, je ne suis pas devenue une personne différente pour autant. La méchanceté est toujours là, ancrée en moi. Elle permet de se protéger, et je le sais très bien.

Seulement, j'ai compris qu'il n'y avait pas besoin de se protéger contre tout le monde. Parfois, la simple vigilance est suffisante.

-Je suppose qu'on est quittes, je déduis. Mais ce n'est pas pour ça que je suis venue...

Océane s'arrête, ses cheveux châtains se couvrant d'une fine pellicule de flocons. Je ralentit jusqu'à être à quelques mètres d'elle.

-Tu me fais peur, blague-t-elle en m'interrogeant du regard.

Je pouffe, grattant un trou effilé dans mon collant noir.

-Inutile. C'est juste que... merci. Pour l'autre fois, vers le lycée. Je n'ai pas eu l'occasion de te le dire depuis, mais je n'aurais jamais pensé une seule seconde que tu serais capable de faire ça pour m'aider. C'est la première fois que quelqu'un se souciait réellement de moi autrement que financièrement et ça m'a un peu ouvert les yeux.

Elle sourit en baissant la tête, visiblement gênée. Ses pommettes se teintent de rouge et je devine qu'elle ne s'attendait pas à ça.

-Écoute, je ne pouvais pas te laisser dans cet état là. Et puis, honnêtement, je t'avoue que je ne savais absolument pas ce que je faisais. Tu devrais peut-être plutôt aller remercier Madame Laoudy.

Océane se remet à marcher lentement, et je la suit. Des souvenirs de cette soirée en question essaient de resurgir dans ma tête mais je m'empresse de les bloquer derrière un masque neutre. Je ne veux pas penser à ce qui m'a poussé à ces actes. Continuer à vivre comme si tout était normal est plus facile que d'ouvrir les yeux sur la vérité.

-Comment tu gère ça ? me demande-t-elle.

Inconsciemment, je me pince les lèvres. J'aurais dû me douter qu'elle allait me le demander.

-Je ne gère rien du tout, j'avoue en haussant les épaules comme si ce n'était pas important. La vie est comme ça.

Elle essaye de me faire comprendre que c'est normal mais je décroche assez vite de la conversation. Je n'aime pas en parler, et elle a l'air de s'en rendre compte car elle finit par détourner le sujet sans trop de délicatesse.

Très vite, je me rends compte qu'on a fait le tour du lotissement et que nous sommes de nouveau dans sa rue enneigée, proche de chez elle.

-Alors, avec Jerry ? me questionne-elle en souriant. Tu l'aimes bien finalement, le "petit rat".

Ouch. Touché. Le rappel de mes mots me fait plus de mal que prévu, et je pense qu'elle s'en doutait. Je l'ai mérité, je ne peux rien lui reprocher.

-Peut-être, je réponds, évasive.

-Hé, je ne suis pas stupide, se moque-t-elle. J'ai bien compris ce qu'il se tramait entre vous deux.

Enfin, le voilà. Le moment que j'attendais. Je ne peux empêcher un rictus victorieux de naître sur mes lèvres engourdies par le froid.

-Moi non plus je ne suis pas stupide, Océane, je soupire. Et j'ai bien compris également, si tu veux savoir.

-De quoi tu parles ?

Elle a immédiatement froncé les sourcils, mais sa main grattant nerveusement sa nuque la trahit. Ses joues passent d'un rose timide à un rouge furieux, et je sais que j'ai visé juste.

-Toi et elle, je précise, en sachant que c'est inutile.

-Qu-quoi ? elle bégaye. Mais pas du tout ! Enfin, je veux dire, de qui tu parles ?

Je pouffe sans le faire exprès. Elle ne sait vraiment pas mentir sur les sentiments. J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt.

-Ça va, calme toi, je ne vais pas te griller. Je t'en dois une, comme on vient de se le remémorer. Et puis, c'était assez évident, à vrai dire. Je ne comprends pas comment je suis la seule à l'avoir remarqué.

Elle se contente de hocher la tête, piquant un énième far.

Je sais que je ne devrais pas, mais je me sens un peu en supériorité. Je sais quelque chose d'important, je l'ai bien compris. De compromettant, même.

Mais je respecte le fait que j'ai une dette envers elle. Et il ne s'agit pas que d'elle, dans cette histoire. Alors si elle n'objecte pas sur Jerry, je n'objecterai pas non plus sur sa blonde.

Et puis, je ne lui avouerai jamais, mais elles sont plutôt mignonnes, quand elles sont toutes les deux.

Lui apprendre à aimer - [Romance lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant