Chapitre 23

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-Bon, tu comptes nous le dire un jour ce qu'il se passe Océane ?

Mary semblait presque furieuse, la suivant à grands pas dans le couloir désert, suivie de près par un Jerry qui n'avait pas l'air de comprendre la situation.

Les boucles d'oreilles de la tomboy cliquetaient à chaque mètre parcouru, sa casquette noire tordue dans sa main.

-Mais de quoi tu parles enfin ? rétorqua Océane sans se retourner.

Un claquement de cuisses hébété résonna contre les murs avant que Mary ne reprenne de plus belle.

-Ne te fiche pas de moi, gronda-t-elle. Jerry m'a dit que tu ne prenais plus le bus du tout, et on ne te vois même plus pendant la récréation. Ou est ce que tu es, hein ?

-Je croyais que j'avais le droit à ce qu'on appelle une vie privée, soupira Océane. Je vous l'ai déjà dit cent fois. Je vais parfaitement bien. Mon père peut m'emmener parce qu'il a des réunions en ce moment et que ses horaires ont changé. Simplement. Et pendant les récrés, j'ai du travail à rattraper. Alors ne me dites pas que je ne vous préviens pas à chaque fois de ne pas m'attendre.

Le mensonge était sorti si naturellement qu'elle y crut presque elle-même.

-C'est juste que... on ne se voit plus beaucoup, avoua Jerry. Et j'ai l'impression que tu me caches quelque chose.

-On trouvera un moment pour se faire une sortie tous les trois ! On peut même inviter Suzanne. Si, je vous assure, poursuivit-elle face à leur mine d'incompréhension. Vous verrez, vous l'aimerez.

-C'est avec elle que tu passes tout ton temps ? demanda Mary, dubitative.

-Je ne passe pas mon temps avec Suzanne ! Pourquoi tu peux penser ça ?

-Oh allez, soupira Jerry, ne nous fait pas croire que tu ne passes pas ce temps-là avec quelqu'un d'autre franchement !

-Je vais finir par croire que tu squatte chez la blondinette, marmonna Mary d'un ton sarcastique.

Océane serra le poing au fond de sa poche mais ne répondit pas à Mary. Si seulement celle-ci pouvait deviner à quel point elle n'avait pas tort.

Le problème, c'était que l'heure tournait, et que Benedict finissait à 16h00. C'était donc dans 5 minutes et Océane ne voulait vraiment pas la faire attendre.

-Écoutez, il faut que j'y aille, coupa-t-elle. On peut en parler une autre fois ?

Jerry se contenta d'acquiescer, tandis que Mary s'avançait vers elle.

La tomboy l'embrassa sur le coin des lèvres, avant de se reculer.

-A plus tard, alors, déclara-t-elle.

Océane ne put que hocher la tête, se sentant soudainement extrêmement mal à l'aise. Cela faisait depuis qu'ils étaient rentrés du camping que Mary ne l'avait pas touchée. Étrangement, elle eut l'impression de se sentir... comme infidèle.

Mais infidèle à quoi ?

Il n'y avait absolument personne dans sa vie. Bien sûr, sa relation amicale avec Benedict ne pouvait pas être considérée comme rien.

Mais c'était différent.

Jerry et Mary s'éloignent à sens inverse comme s'ils s'étaient toujours connus, discutant entre eux. Au croisement du couloir il lui jeta un regard prouvant qu'il attendait toujours des explications.

Elle soupira.

Après être passée aux toilettes, Océane se dirigea vers le Hall.

Il pleuvait à verse. Les vitres étaient trempées et les gouttes tambourinaient contre les portes battantes. Depuis le hall du lycée le ciel était d'un noir à trancher au couteau.

Elle fût heureuse de ne pas devoir aller à pied attendre les bus.

Alors qu'elle attendait la sonnerie indiquant 16h00, elle croisa la professeure de mathématiques qui ne lui adressa même pas un regard. Sarouel bohème et longues boucles d'oreilles, celle-ci se dirigeait furieusement vers le bureau des CPE avec une fiche de colle à la main.

-J'en connais un qui a passé un sale quart d'heure, murmura Océane.

En quelques secondes, la rousse disparut derrière la porte.

Océane s'assit sur un des bancs juste au moment ou la sonnerie se déclencha. Comme le lycée n'avait qu'une seule sortie aussi proche du parking des professeurs, elle décida d'attendre Benedict ici. Cela lui éviterait de prendre une douche pour rien.

La blonde fût plus longue que d'habitude, mais finit par arriver un quart d'heure après, plongée dans une grande discussion avec Suzanne. Sa mallette en cuir à la main, elle ne remarqua même pas Océane, s'arrêtant à quelques pas de la porte, tandis que Suzanne ajoutait encore quelques mots.

Océane n'avait pas de rancœur envers son ancienne harceleuse. Suzanne avait changé, et la brune s'était rendue compte qu'elle n'avait jamais vraiment eu un mauvais fond. C'était l'influence de Clara et Émeline, et la vie en groupe qui l'avait tourné ainsi. Et puis, de ce qu'elle avait pu comprendre, Suzanne n'avait pas une situation familiale très favorable.

Pourtant, elle se sentit en colère.

Benedict posa sa main sur l'épaule de la concernée avec un hochement de tête et Océane dut détourner les yeux.

Elle savait très bien pourquoi.

C'était dur à admettre car c'était la première fois que cela lui arrivait. Elle n'avait jamais ressenti ça avant.

Mais la petite voix dans sa tête n'arrêtait pas de l'interpeller.

Jalousie.

Envers Suzanne. Sans aucun rapport avec leur passé. Juste parce qu'elle lui prenait son attention.

La petite voix ne voulait pas se taire.

Si ça avait été un homme ?

Alors ça aurait été différent, Océane le savait. Mais là, elle se sentait presque inexistante. Et évidemment, elle eu un pincement au cœur en songeant que Jerry devait ressentir cette colère tous les jours.

Bien trop tard à son goût, Suzanne prit enfin congé, sortant du Hall rapidement après.

Alors les yeux bleus limpides préférés d'Océane fouillèrent le Hall.

Évidemment que Benedict avait deviné qu'elle ne l'attendait pas à la voiture vu le temps. Elle la remarqua depuis le banc et un sourire naquit sur ses lèvres tel un automatisme.

Océane essaya d'adoucir son regard mais c'était déjà le cas depuis que la main de la blonde avait quitté Suzanne. Elle se leva du banc en attrapant son sac et la rejoint vers les portes.

-Chanceuse, taquina Benedict. Toi, t'as eu la bonne idée d'avoir une capuche.

Océane éclata de rire à la réflexion. L'enseignante semblait n'avoir ni capuche, ni parapluie.

-Ça risque d'être compliqué de partager, plaisanta Océane.

Benedict éclata de rire et jeta un œil résigné par la vitre.

-Ne traînons pas, ordonna-t-elle en poussant la porte battante.

Océane rabattu sa capuche, mais dès que les deux jeunes femmes franchirent les grilles du lycée, la blonde lui attrapa le bras et se mit à courir, l'entraînant vers le parking en baissant la tête sous le déluge.

La plus jeune augmenta la vitesse à son tour, l'esprit seulement concentré sur la main tenant fermement son blouson.

Elle fût assise à la place passager avant de comprendre comment ses jambes l'y avaient amené.

A côté d'elle, trempée des pieds à la tête, Mme Laoudy essorait ses cheveux tant bien que mal en riant.

-Tu veux que je te dise ? pouffa-t-elle, occupée à retirer sa veste. Je ne m'ennuie pas avec toi.

Et tout au fond de sa poitrine, le cœur d'Océane sourit.

Lui apprendre à aimer - [Romance lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant