Chapitre 38

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Ce sandwich était définitivement trop épicé. Océane l'avait fait elle-même, ses parents ne sachant pas qu'elle ne mangeait pas à la cantine ce midi.

D'un coup de pied sous la table, elle fit glisser son sac de cours contre le mur tandis qu'elle s'essuyait la bouche.

-Alors, poursuivit Ben en avalant une gorgée de sa gourde, Connor a toujours été comme ça.

Elles étaient plongées dans une conversation plutôt sérieuse, concernant les relations chaotiques que la blonde partageait avec ses parents. Elle s'était ouverte énormément à Océane ses derniers mois, et la brune avait fait de même, lui partageant ses incertitudes et ses doutes.

-Je ne pense pas que ce soit la faute de ton frère, fit remarquer Océane. Ils ne savent simplement pas t'apprécier à ta juste valeur.

-Pfff, ricana Ben. Quelle valeur ? Pour eux, professeur est un métier de fonctionnaire qui ne veut pas travailler et se contente de se reposer sur les frais de l'Etat.

Elle rejeta ses cheveux titanes dans son dos avec désespoir avant de poser ses yeux clairs sur les volets fermés derrière les fenêtres de la salle de classe.

Elles avaient élu leur self personnel dans une salle vide, ou il n'y avait pas de cours pour l'après-midi à venir, dans le doute.

En général, c'est ce qu'elles faisaient quand Benedict n'avait pas le temps de sortir déjeuner en ville avec Océane parce que son emploi du temps ne le lui permettait pas.

C'était souvent le cas les vendredi midis, comme aujourd'hui.

-Ils sont aveugles alors, reprit Océane en haussant les épaules. Moi, ta valeur, je ne vois que ça.

-Ils ne sont pas aveugles, ils sont croyants, expliqua la jeune femme. Pas de ceux qui pensent que dieu supporte l'amour quoi qu'il en coûte. Non, ce sont de ceux qui crient au blasphème en voyant deux hommes se tenir la main.

-J'ai de la chance d'avoir une famille ouverte d'esprit, soupira Océane.

-Ils m'ont foutu à la porte sans se retourner, continua Ben. A partir du moment où ils ont compris que Lilwen n'était pas une simple amie que j'avais rencontré à la bibliothèque.

-Mais alors, tu n'avais déjà pas d'endroit pour vivre ?

-Je n'avais pas encore obtenu mon diplôme, grogna-t-elle. Alors je ne gagnais que les maigres salaires que je me faisait avec des jobs étudiants, et ils servaient la majorité à financer mes études. Heureusement, mon ex était déjà dans le monde du travail. Ca m'a quelque peu aidé, on va dire. Je ne peux pas lui enlever ça.

Le vent fit craquer les volets et Océane sursauta. Elle se rappelait les moments où elle avait appris que Ben avait une petite amie. Cette jalousie lui avait rongé le cœur. Jamais elle n'aurait imaginé se retrouver dans une salle à discuter aussi profondément avec celle qui partageait désormais sa vie.

-Forcément, Connor faisait de longues études, il visait haut, mais surtout il y arrivait. Il faisait passer les études avant tout le reste, et c'était la seule chose qui importait à mes parents.

Les ongles de la brune grattèrent doucement la cuisse de Benedict par-dessus son jean, essayant de la réconforter, même si elle savait ne rien pouvoir faire de plus que d'être là pour elle et à l'écoute.

Comme si elle comprenait, Benedict lui sourit tendrement.

-Ce n'est pas de ta faute, lui indiqua-t-elle devant sa mine inquiète. Elle échappa un petit rire par le nez. C'est terminé, je vis très bien sans eux.

-Peut-être, mais ça reste dommage tu ne trouves pas ?

-Non. J'ai mon grand frère et on est extrêmement fusionnels tous les deux. Et puis, ajouta-t-elle avec un clin d'œil, je t'ai toi.

Océane se contenta de sourire et de presser sa cuisse. Elle savait que quoi qu'elle puisse en dire, cela restait diffèrent de ce que pouvais être l'amour de deux parents, et leur fierté.

Alors qu'elle était plongée avec réflexion dans le regard profond de Ben, sans même que l'on cherche à frapper ou à la déverrouiller de l'extérieur, la porte s'ouvrit violemment.

Avec un violent sursaut, les deux jeunes femmes s'éloignèrent l'une de l'autre et firent aussitôt mine de manger.

-Je le savais, gronda une voix.

Évidemment.

Il fallait que ce soit elle.

La prof de maths, ses cheveux roux et courts complètement ébouriffés sur son crâne se tenait dans l'encadrement, le regard fou.

Sa main était encore suspendue à la poignée, les jointures blanchies de serrer trop fort.

-Sibylle, un problème ? questionna Benedict d'un ton si professionnel qu'Océane y aurait cru sans la vision des plaques rouges recouvrant son cou.

Au lieu de fulminer, son interlocutrice semblait presque triomphante. Elle n'avait pas bougé d'un seul centimètre et les regardait tour à tour.

-Je crois, oui, déclara-t-elle très lentement, détachant ses syllabes.

-Que se passe-t-il ? poursuivit Benedict avec un air plutôt convainquant.

Les coins des lèvres de la professeure de mathématiques se soulevèrent très lentement, formant un sourire plus effrayant qu'amical. Océane se questionna un instant sur sa santé mentale.

-Ne joue pas la femme stupide, Laoudy. C'est inutile avec moi, je vous ai entendue depuis le couloir. Si jamais tu me ressort l'excuse du « c'est parce que nous sommes amies, je connais bien son père », je te ris à la gueule. Ouais, exactement, tu as bien entendu. J'ai compris vos petites manigances, et je t'assure qu'elles ne vont plus durer longtemps.

La peur monta soudain dans l'air autour d'Océane. Elle savait que l'enjeu était important, mais pas ce que risquait Ben en la côtoyant. En lui jetant un regard en coin, elle ne remarqua le trouble de celle-ci que par l'accélération subtile de sa respiration, et les changements brutaux de teinte que le stress provoquait généralement sur sa peau. Heureusement qu'elle portait un blazer foncé, car la brune ne pouvait qu'imaginer l'état désastreux de sa poitrine.

Benedict était la personne la plus anxieuse et critique avec elle-même qu'Océane connaissait.

La rousse se rapprocha subitement de sa position prostrée vers la porte et marcha droit sur sa collègue sans plus se soucier de la présence de la jeune femme à ses côtés.

-Je ne rentre pas dans ton jeu, murmura-t-elle avec fiel au visage de Ben. Tu embobines peut-être tout le monde avec ta gueule d'ange ici, mais ça va vite se terminer, et je vais faire en sorte que tu ne remette plus jamais les pieds ici.

Cette fois-ci, Benedict recula un peu.


Lui apprendre à aimer - [Romance lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant