Ils arrivèrent au vieux camp scout en début d'après-midi, après quelques kilomètres de chemin cahoteux bordé de ronces. Puisque sa voiture était un simple produit de sa volonté, Brandon se fichait pas mal des rayures laissées par les branchages et ouvrait la voie pour Lucas, au volant de la Honda empruntée à son père.
— C'est vrai que le camp est hanté ? demanda Aline d'une petite voix depuis le siège arrière.
Elle avait l'air d'avoir retourné la question dans sa tête depuis un moment avant d'oser la poser et Brandon lui jeta un bref coup d'œil dans le rétroviseur en essayant de ne pas sourire. La jeune fille était la plus timide de leur groupe, étonnamment candide, ce qui faisait d'elle une cible idéale pour les histoires fantasques inventées par Sal et Lucas. Pourtant, jamais ils ne se moquaient vraiment d'elle et utilisaient plutôt sa naïveté comme un point d'ancrage pour rassurer leurs amis sans en avoir l'air.
— Je ne sais pas, répondit Sal d'un ton léger. Je sais juste que des tas de rumeurs courent à son sujet. On dit que des gens ont disparu dans le coin et qu'il s'est passé des trucs étranges. Que l'eau du lac est devenue salée, ou rouge comme du sang je ne sais plus. Et puis, évidemment, il y a le trou sans fond.
Benji ouvrit la bouche pour poser des questions à ce sujet mais Sal avait été malin et ils arrivèrent sur l'ancien parking envahi de végétation avant qu'il n'ait le temps de parler. Soigneusement, Brandon gara le 4x4 de sorte à ne pas gêner le passage vers le chemin s'ils avaient besoin de repartir rapidement, et Lucas se rangea à ses côtés.
— Ouah, remarqua Leah en tournant sur elle-même. C'est magnifique !
Effectivement, ça l'était. Dans la chaleur de l'après-midi, l'ombre apportée par la forêt était plus que bienvenue. La lumière brûlante du soleil n'arrivait pas jusque-là et cascadait en rayons dorés sur les feuilles des frondaisons, donnant à l'endroit une pénombre agréable et un peu mystérieuse. L'entrée du camp scout était toute proche, matérialisée par une arche en bois dont les mots avaient été mangés par la mousse. En revanche, les panneaux plus récents cloués dessous restaient à peu près lisibles.
«JE FERAIS DEMI-TOUR SI J'ÉTAIS VOUS»
«N'ALLEZ PAS PLUS LOIN»
«PARTEZ D'ICI TANT QU'IL EST ENCORE TEMPS !»
Cela aurait pu être une mise en scène de Lucas et Sal, sauf que les panneaux étaient bien trop vieux et usés par le temps pour avoir été placés là récemment. En tout cas, ça donnait le ton.
Après un bref conciliabule, ils décidèrent de commencer par explorer les lieux avant de s'installer. Les affaires furent donc laissées dans les coffres des voitures fermées à clef pour qu'ils puissent s'aventurer dans le camp abandonné. La plupart des cabanes étaient encore debout, certaines lourdement taguées, mais d'autres s'effondraient complètement sous le poids des branches qui étaient tombées sur leur toit et des ronces qui s'élançaient à l'assaut de leurs murs. Avec l'épaisseur des frondaisons, l'obscurité était plus présente, ce qui donnait l'impression qu'il était beaucoup plus tard.
— Nous pourrons installer nos tentes dans les cabanes encore en état, déclara Sal. Je ne pense pas qu'il pleuve, mais nous serons mieux que sur les cailloux et le sol inégal. Je pense qu'on peut mettre deux tentes par cabane, donc on peut s'installer ici et là.
Il désigna les deux cabanes les mieux conservées, visiblement un peu entretenues par ceux qui venaient camper ici de temps en temps. Elles avaient effectivement l'air bien plus solide que les autres qui se trouvaient plus loin, fermées par des bâches à moitié déchirées et moisies, envahies par la végétation.
— Il y a un cercle pour le feu, constata Brandon. Je l'allumerai tout à l'heure, pour les grillades mais aussi pour chasser les moustiques.
— Nous avons un peu de temps devant nous, ajouta Lucas. La nuit ne va pas tomber tout de suite, ça vous dirait d'aller faire un tour au lac ?
Comme il faisait beau et chaud, ils avaient tous pris leurs maillots de bain dans l'espoir de pouvoir justement se baigner dans le lac. Même s'il n'était pas un grand fan de l'eau, Brandon s'était désigné d'office comme le maître-nageur responsable qui veillerait à ce que rien n'arrive à personne. La dernière chose dont ils avaient besoin était d'une noyade accidentelle dans un endroit paumé où les secours mettraient un temps fou à arriver. Et Sal le lui avait demandé dès le départ, parce que même s'il aimait effrayer ses amis, il voulait surtout s'assurer qu'ils soient toujours en sécurité. Contrairement à ce Rory que Brandon avait très envie de bannir lui-même aux Enfers, Sal et Lucas prenaient soin des autres. Aucun d'entre eux ne voulait ajouter une véritable mort aux légendes urbaines qui entouraient le camp.
— Je pense que c'est par là ! annonça Jule en pointant un panneau à demi effacé. Mais j'ai peur que le ponton soit mort.
Dans un mélange d'excitation et d'appréhension, ils se faufilèrent à la file indienne sur le petit chemin envahi de végétation qui menait au lac, suivant les vieilles indications du camp. Au fur et à mesure qu'ils approchaient, ils pouvaient voir les rayons du soleil se refléter sur la surface et faire danser des taches dorées sur les troncs.
— C'est vraiment magnifique, souffla Sal.
Sa main effleura celle de Brandon qui entremêla brièvement leurs doigts tout en regardant le lac apparaître devant eux. Le ponton était effectivement hors d'usage, moisi et en grande partie effondré dans l'eau, mais la pente d'accès des canoës suffisait pour descendre en toute sécurité. Et l'endroit était splendide, bien loin d'être effrayant avec cette lumière éblouissante, l'immensité du ciel bleu et les canards qui nageaient joyeusement un peu plus loin.
— L'eau n'est pas salée, ni rouge ! annonça Aline d'un ton mi-déçu, mi-rassuré.
— Bien sûr que non, rit Sal. C'est une rumeur ! Venez, on peut laisser nos affaires ici. Le dernier à l'eau est une poule mouillée !

VOUS LISEZ
Une Nuit d'Enfer
HorrorPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...