En ouvrant les yeux, encore étourdi de plaisir et de chaleur, Sal constata qu'il se tenait pelotonné contre Brandon qui lui caressait doucement le dos de ses mains si chaudes. Ils étaient lovés dans leur nid de couvertures, au chaud, et il ne s'était jamais senti aussi bien.
— Quelle heure est-il ? bredouilla-t-il sans chercher à se relever.
— Un peu après une heure du matin. Je ne veux pas te chasser mais... tu devrais sans doute rejoindre tes amis. Ils doivent s'inquiéter de ne pas te voir.
Pour être honnête, Sal les avait complètement oubliés sitôt que Brandon l'avait embrassé, et il fut soulagé de voir qu'il n'avait qu'à peine dépassé l'heure après laquelle Lucas avait promis de partir à sa recherche. Penser à son ami le fit dégriser lorsqu'il réalisa à quel point il serait angoissé si celui-ci avait disparu dans les entrailles d'un bâtiment abandonné sans revenir. Brandon avait raison, il fallait qu'il se dépêche d'aller les retrouver. Et le fait que le démon le lui rappelle était tellement gentil, tellement adorable, qu'il ne résista pas à l'envie de déposer un baiser sur sa joue.
— J'espère que Lucas n'est pas encore parti à ma recherche, marmonna-t-il en se dégageant pour enfiler ses chaussures.
Hors de leur cabane de couvertures, il faisait bien plus froid mais il ne pouvait pas rester là indéfiniment. Et il fut vraiment soulagé lorsque Brandon le rejoignit après avoir tout fait disparaître, et tendit la main pour qu'il y glisse la sienne.
— Ce sera plus agréable de faire le chemin ensemble, assura-t-il avec un clin d'œil. Je te laisserai dans la salle de cérémonie.
Le trajet jusque-là était bien moins effrayant avec Brandon à ses côtés, même s'ils ne parlaient pas et se contentaient de marcher main dans la main, les ténèbres et le froid repoussés par les flammes du démon. Bien trop tôt hélas, ils atteignirent la salle de cérémonie et Sal chercha désespérément quelque chose à dire.
— Je... je suis désolé de t'avoir invoqué par erreur, chuchota-t-il. Mais je ne regrette pas du tout que tu aies répondu à mon appel. J'ai passé un merveilleux moment avec toi. Et pas seulement... tu sais...
— Je sais.
Le sourire du démon était incroyablement doux lorsqu'il se pencha pour l'embrasser lentement et Sal faillit oublier que ses amis l'attendaient de l'autre côté de la porte. Puis Brandon recula en laissant un morceau de papier plié dans sa main. Dessus se trouvait une marque étrange, qui semblait brûlée dans la matière.
— C'est mon sceau, expliqua-t-il et Sal aurait juré qu'il rougissait. Si jamais...
— Est-ce que... suivant notre métaphore de tout à l'heure, est-ce que c'est l'équivalent de me laisser ton numéro ?
— En fait, c'est l'équivalent de « appelle-moi ». Quand tu veux.
Les joues brûlantes, Sal suivit l'impulsion de son cœur qui battait la chamade et le rejoignit pour l'embrasser une dernière fois en promettant de le faire. Puis Brandon le relâcha et disparut comme une flamme que l'on souffle, ne laissant derrière lui qu'une vague odeur de fumée et un peu de chaleur résiduelle.
En silence, Sal parcourut le reste du chemin en essayant vainement de dissimuler son sourire. La porte du salon grinça un peu lorsqu'il la poussa pour se faufiler à l'intérieur et il se figea, à l'écoute. Depuis la pièce voisine, des rires et des voix lui parvinrent, ce qui le rassura parce que cela voulait dire que personne ne s'était encore inquiété de sa disparition. Il aurait pu s'en attrister, mais pour l'instant il était surtout soulagé, même s'il avait besoin de trouver une excuse pour son absence prolongée. Tout en réfléchissant, il avança vers la porte et crut mourir de terreur lorsque la lueur de sa torche illumina le visage pâle de Lucas.
— Viens avec moi ! siffla celui-ci tout bas.
Il l'attrapa par le bras, ne lui laissant d'autre choix que de faire demi-tour pour gagner la salle de cérémonie, sans doute pour éviter que les autres ne les entendent.
— Tu étais passé où, bon sang ?? attaqua Lucas sitôt qu'ils furent hors de portée d'oreille. Ça fait plus d'une heure que tu es parti !
— Je suis désolé, murmura Sal avec culpabilité. Je n'ai pas vu le temps passer...
Il ne s'était pas vraiment attendu à ce que Lucas s'inquiète autant, du moins pas si tôt, et culpabilisa d'autant plus alors que son cœur se serrait devant cette nouvelle preuve d'amitié. En tant que couple, ils n'avaient jamais vraiment été compatibles, mais ils étaient en train de devenir plus que de simples amis et c'était vraiment réconfortant.
— Je pensais que tu serais occupé avec Kenny, ajouta-t-il d'un ton penaud.
— Eh bien je l'étais, oui. Suffisamment pour presque oublier que tu avais promis de vite revenir. Sauf que tu ne pointais toujours pas le bout de ton nez et je m'apprêtais à partir à ta recherche.
S'il avait un peu rougi en évoquant Kenny, quelque chose se brisa dans sa voix alors qu'il attrapait la main de Sal pour la serrer, fort.
— Les autres pensaient que tu allais bientôt revenir mais... je n'avais pas la tête à m'amuser alors que je ne savais pas où tu étais dans un foutu crématorium abandonné en pleine nuit après tous ces bruits flippants. Pour ce que j'en savais, tu étais blessé quelque part ou coincé ou pire, pendant qu'on flirtait et buvait et je... je...
— Je suis désolé, répéta Sal. Vraiment, vraiment désolé. Il m'est arrivé un truc complètement fou mais je ne peux pas te raconter ça là. Je veux juste manger un peu et me poser...
La prise de Lucas sur son poignet se relâcha et son ami leva la main pour frotter quelque chose sur sa joue, comme une mère désapprobatrice.
— Tu as de la suie sur le visage. Et tu as intérêt à me raconter tout ça demain.
Sal promit, sincère, et se laissa raccompagner dans le salon de recueillement où les autres riaient toujours. En le voyant arriver, ils se montrèrent malgré tout plutôt rassurés et lui demandèrent s'il avait trouvé quelque chose mais il se contenta d'éluder le sujet en disant qu'il avait perdu la notion du temps à fouiner auprès des vieux fours. Et alors qu'on lui tendait un paquet de chips et une canette de coca, il se prit à sourire parce que sa solitude s'était atténuée. Certes, tous les autres étaient en couple et pas lui, mais il venait plus ou moins de coucher avec un démon adorable, alors ça en valait carrément la peine. Il se demandait juste si Brandon aurait aimé se joindre à eux pour la soirée.
Et bien plus tard, lorsqu'il se coucha tout seul dans son sac de couchage alors que les autres ricanaient ou gloussaient avec excitation entre deux baisers, il n'éprouva pas le moindre regret. D'autant que le duvet n'était pas humide et glacial comme il s'y attendait, mais aussi chaud que le nid de couvertures qu'il avait partagé avec Brandon. Comme une sorte de dernière caresse, vraiment réconfortante. Rien ne s'était passé comme prévu, mais Sal n'arrivait pas à s'empêcher de sourire, réchauffé de l'intérieur et le visage enfoui dans son oreiller alors qu'il se repassait leur étreinte.

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Une Nuit d'Enfer
HorrorPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...