29. Oh-oh

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Avec l'aide du pasteur et de son assistant, Brandon et Sal parvinrent à se lever et à marcher lentement vers le feu en se soutenant mutuellement. À présent que le cauchemar avait été banni, le camp abandonné paraissait aussi paisible qu'à leur arrivée, baignée des lueurs dorées des flammes, avec le chant des grillons, d'un hibou occasionnel, et le murmure joyeux du vent dans l'air doux. Leurs amis paraissaient plus détendus et un éclat de rire s'envola même sous les frondaisons avant que Lucas ne se lève d'un bond pour venir à leur rencontre.

— Comment vous allez ? Venez vous asseoir, Paolo a apporté une sorte de tisane au rhum qui devrait vous faire du bien.

L'homme en question se tourna à demi pour croiser le regard du pasteur et de Rodrigue avant de leur adresser un sourire très doux et de se concentrer à nouveau sur ce qu'Aline était en train de lui dire. Avec un lourd soupir endolori, Sal se laissa tomber auprès du feu à côté de Lucas, entraînant Brandon avec lui pour se pelotonner contre son épaule.

— C'était une sacrée putain de nuit, marmonna-t-il avant de bâiller. Je préfère quand c'est moi qui gère les invocations.

Brandon se sentait plus épuisé que jamais, avec l'impression que même ses os étaient fatigués, et il savait très bien comment Sal se sentait après avoir lutté contre le cauchemar plus longtemps que lui. On lui passa une tasse de tisane agréablement tiède qui fleurait bon le rhum et il devina que cela n'arrangerait pas leur fatigue mais adoucirait les restes de peur laissés par le cauchemar. Distraitement, il remarqua que Paolo avait une main artificielle, à l'annulaire de laquelle brillait un rosaire semblable à ceux portés par le pasteur et son assistant. L'homme dut sentir son regard puisqu'il releva les yeux et lui offrit un sourire complice qui dévoilait juste assez de dents pour confirmer la théorie de Brandon. Tout comme le pasteur, ce type n'était plus humain depuis longtemps.

— Aline était en train de me raconter ce qu'elle a vu plus tôt dans la nuit, expliqua Paolo de cette voix grave si calme. Je pense que cet énorme chien était un appât créé par le cauchemar pour vous attirer vers lui jusqu'au cercle d'invocation dont il était encore prisonnier. Je pense que vous devriez aller jeter un œil par là-bas, ajouta-t-il à l'attention d'Armando et Rodrigue. Ça m'étonnerait que cette chose soit arrivée là toute seule.

Les deux hochèrent la tête et se détournèrent du feu pour s'enfoncer dans la forêt sans hésitation. En attendant leur retour, Brandon laissa Sal somnoler vaguement contre lui tout en écoutant Paolo discuter avec leurs amis. Cet homme dégageait une autorité naturelle accompagnée d'une assurance franchement rassurante, comme un chef de camp ou un parent compétent, quelqu'un à qui on pouvait confier toutes les responsabilités et ne plus s'inquiéter de rien. Il avait réussi le tour de force de rassurer leur petit groupe sans pour autant leur cacher la nature de ce qui les avait attaqués, et sa présence suffisait à faire oublier la terreur passée.

Sal était en train de s'endormir pour de bon lorsque des bruissements de végétation précédèrent de peu le retour du pasteur et de son assistant, qui escortaient fermement un jeune homme que Brandon peina à reconnaître. Au-dessus de l'épaule de Sal, il croisa le regard écarquillé de surprise de Lucas alors qu'Armando et Rodrigue ramenaient Rory auprès du feu.

— La côte est claire, Capitaine, annonça Rodrigue en poussant Rory à s'asseoir. Le cercle d'invocation est clos et scellé, Armando a purifié les lieux par précaution, et nous avons trouvé ce rat de cale à proximité.

Le visage fermé, le pasteur s'assit à son tour auprès de Rory pour poser une main sur son front en murmurant une prière de purification. Même à cette distance, Brandon pouvait sentir la puanteur de la peur qui s'accrochait à lui, et il grimaça de dégoût. Dans ses bras, Sal s'agita un peu et se figea en découvrant Rory. Mais au lieu de s'effrayer, il fronça les sourcils avec lassitude.

— Qu'est-ce qu'il fout encore là, sérieux ? Il n'en a pas assez fait pour ce soir ?

— Je pense qu'il en a trop fait, répondit Rodrigue avec désinvolture. Ce crétin a voulu invoquer un truc, probablement pour vous faire peur, et s'est retrouvé avec le cauchemar sauvage qui s'en est pris à toi. Mais ça n'a pas été sans conséquence et il s'est fait prendre à son propre piège. Brandon t'a protégé d'une grosse partie de l'influence de ce truc qui essayait de t'atteindre, sauf que lui n'a eu personne pour atténuer l'effet du truc quand ça s'est retourné contre lui. C'est bien fait pour lui, si vous voulez mon avis.

Cette condamnation sans équivoque fit du bien à Sal qui échangea un sourire avec Lucas en se redressant un peu. De l'autre côté du feu, le pasteur acheva ses prières et relâcha Rory qui frissonna brusquement sans paraître réellement conscient de ce qui l'entourait.

— Nous n'avons pas beaucoup de patience pour ceux qui invoquent des entité pour causer du mal, dit-il. Cette histoire aurait pu vraiment très mal tourner, si vous ne nous aviez pas appelés nous n'aurions jamais pu intervenir à temps pour sauver son esprit. À mon avis, il y réfléchira à deux fois avant de refaire une connerie pareille, subir de plein fouet ses peurs les plus profondes, ça a tendance à pousser à reconsidérer certains choix de vie.

— Donc ce truc était un genre d'épouvantard ? releva Leah. Ou de Pennywise ?

— C'est un peu l'idée, sourit Rodrigue. Ce petit malin s'est fait prendre à son propre piège.

— Nous allons le garder en observation pour cette nuit, décida le pasteur. Et demain j'aurai une petite conversation avec lui. En attendant, je pense qu'il serait judicieux que vous rentriez tous chez vous. La nuit a été chargée et quelques heures de sommeil vous feront le plus grand bien. Brandon, si tu veux bien confier tes clefs à Paolo, il va vous ramener chez Sal. Vous n'êtes pas en état de conduire, ni l'un ni l'autre.

Une Nuit d'EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant