8. Allumette

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Tétanisé et peinant à comprendre ce qui lui arrivait, Sal attendit que le démon fasse un geste ou l'attaque. Mais la grande silhouette se contenta de s'étirer lentement, comme un chat qui se réveille, avant que l'éclat des flammes ne diminue un peu pour révéler un corps vaguement humanoïde. Il ressemblait à un homme dont la peau serait faite de lave solidifiée, parsemée de veinures flamboyantes, avec des yeux rougeoyants comme des braises. Malgré sa terreur, Sal devait bien reconnaître qu'il était d'une beauté à couper le souffle, dangereuse et effrayante. Et puis le démon ouvrit la bouche, dévoilant l'éclat d'une fournaise intérieure.

— Merci de m'avoir sorti de là, j'ai bien cru que j'allais rester coincé là-dedans. Ce n'est pas très grand, et encore moins confortable.

Il avait une voix grave et rocailleuse, aussi chaude que les flammes qui l'entouraient, et bien plus douce que ce à quoi Sal s'attendait. Trop surpris pour répondre, il resta silencieux alors que le démon faisait craquer ses articulations avec un murmure de bien-être et un crépitement de braises.

— Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi ? demanda-t-il dans le silence qui s'éternisait.

Sal sursauta et releva la tête pour croiser le regard ardent du démon. Rien ne se passait comme prévu et il ne savait plus du tout comment réagir, parce que sa peur s'évaporait sans trop savoir quoi devenir, le laissant étourdi.

— Euh... murmura-t-il bêtement. Je ne sais pas. Je veux dire... je n'ai pas réfléchi à ça ! Ce n'était pas censé fonctionner ! Comment est-ce qu'un groupe d'idiots comme nous a pu réussir une invocation ? C'était pour rire !

Il commençait à se dire que l'alcool bu pendant la séance l'avait atteint plus gravement que prévu et qu'il hallucinait à moitié, mais le démon paraissait bien réel, tout comme les vagues de chaleur qui émanaient de lui et caressaient sa peau.

— Et pourtant ça a fonctionné, répondit patiemment le démon, puisque je suis là. La flamme que tu as déposée en offrande dans le cercle a complété l'invocation et m'a appelé ici. Ce qui fait que tu es plus ou moins responsable de ma présence. Tu as eu de la chance que ce soit moi qui réponde à l'appel et pas quelque chose de plus dangereux. C'est très imprudent d'invoquer à tort et à travers sans être préparé, même quand on fait ça « pour rire ». Tu ne sais jamais si ça va fonctionner ou pas, et tu n'as aucune idée de ce qui peut arriver si tu ne t'es pas préparé correctement.

Cela sonnait comme un reproche mais Sal ne protesta pas, parce qu'il était encore en train de se rendre compte de l'énormité de ce qu'il avait fait. Lui qui se targuait d'être un minimum intelligent, ou au moins prudent, il avait vraiment merdé dans les grandes largeurs par ignorance. Lucas n'allait jamais le croire.

— Je suis... je suis désolé, bredouilla-t-il. Je ne sais même pas comment ça fonctionne, une invocation. Je voulais juste faire peur aux autres avant de les laisser s'amuser.

Il se sentait fatigué, d'un seul coup, subissant de plein fouet le contrecoup de la peur et de la tension des heures précédentes. Mais au lieu de lui faire des reproches, le démon se rapprocha en laissant ses flammes diminuer, jusqu'à ce qu'il ressemble bien plus à un humain, toujours avec cette peau volcanique et ses yeux flamboyants.

— Tu n'es pas le premier à qui ça arrive, dit-il doucement, et il n'y a pas eu de mal. Une invocation c'est un peu comme... comme un appel téléphonique, mais inter-dimensionnel. À moins d'appeler un numéro précis, tu ne sais jamais sur qui tu vas tomber, ou qui va te répondre.

— Et ce soir, c'est toi qui as décroché... réfléchit Sal. J'espère juste que tu sais comment retourner d'où tu viens, parce que je n'ai pas la moindre idée de comment t'y renvoyer.

— Ne t'en fais pas pour ça, sitôt que tu n'auras plus besoin de moi, il te suffira de le dire et je repartirai. Ton invocation ne me coince pas ici, c'est juste la malchance qui m'a fait arriver dans le four parce que le feu appelle le feu. J'aurais probablement pu faire sauter la porte, mais on ne sait jamais ce qu'il y a de l'autre côté.

À l'entendre, Sal avait l'impression d'avoir mis le doigt sur quelque chose de bien plus compliqué qu'il l'imaginait, et il était reconnaissant au démon pour sa patience, son calme et surtout ses explications claires et succinctes. À présent qu'il s'était suffisamment approché, les traits de son visage lui apparaissaient plus clairement, comme sculptés dans la lave dont il était constitué. Son regard de braise pétillait de malice et il avait un sourire en coin absolument craquant. Sal avait toujours eu un faible pour les bad boys et il fronça les sourcils lorsqu'un doute l'envahit.

— Tu ne vas pas essayer de t'emparer de mon âme ? demanda-t-il.

— Je ne suis pas ce genre de démon, répondit l'autre avec une moue malicieuse. Je n'ai pas besoin de ton âme, je ne saurais pas quoi en faire.

Rassuré, Sal sentit ses joues chauffer un peu sans pouvoir dire si c'était dû à la chaleur dégagée par son compagnon où s'il rougissait face à son sourire canaille et son clin d'œil complice. Comme s'ils partageaient une plaisanterie.

— Parce que j'ai eu de la chance dans mon invocation ? releva-t-il sur le même ton.

— Exactement.

Les derniers restes de peur s'évaporèrent et Sal tendit la main vers lui en soutenant son regard, décidé à savourer chaque instant de cette rencontre inattendue. Après tout, s'il avait vraiment réussi à invoquer un démon, autant en profiter.

— Moi c'est Sal.

— Brandon, répondit le démon en lui serrant la main. Mais tu peux m'appeler Brand.

Sa poigne était solide et chaude, sans être brûlante, et Sal s'amusa de son nom, parce qu'il correspondait vraiment très bien à un démon du feu. Avec sa peau sombre parcourue de braises, il ressemblait effectivement à un brandon, vivant et décidément très charmant. Rien à voir avec les monstres des films d'horreur, décharnés et sanglants, qu'il s'était à moitié attendu à trouver au bout du tunnel.

Une Nuit d'EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant