Une Nuit d'Enfer

28. Camping

Brandon n'avait plus vraiment conscience du temps qui filait, concentré sur la lutte mentale qu'il menait avec Sal pour empêcher le cauchemar de prendre trop d'ampleur. Il sentait son petit ami faiblir et faisait de son mieux pour compenser avec tout ce qu'il avait. Et puis un rugissement de moteur déchira le silence de la nuit, précédant de peu la lumière éblouissante des phares qui illuminèrent les arbres autour d'eux.

Une Camaro orange avec une énorme croix noire peinte sur le capot dérapa sur le chemin avant de se ranger brusquement au long du 4x4 de Brandon. Les portières s'ouvrirent avant même que le moteur ne s'arrête et trois hommes en sortirent rapidement. À la vue du pasteur, Brandon se permit un soupir de soulagement qui fit écho à un frisson de crainte de la part du cauchemar. Bien, les forces s'équilibraient enfin.

En un rien de temps, les trois nouveaux venus se déployèrent dans le camp, prenant la direction des opérations. Le pasteur se dirigea droit vers eux, suivi par un homme assez jeune avec une moustache de duc espagnol qui portait une rapière à la hanche, comme sorti tout droit d'un film de cape et d'épée. Derrière eux, le troisième homme, un colosse noir qui devait être celui à la voix grave que Brandon avait eu au téléphone, s'approcha du groupe blotti auprès du feu. Lucas vint à sa rencontre et Brandon partagea avec Sal le soulagement de savoir leurs amis en sécurité avec quelqu'un qui saurait les rassurer.

— Sal ? appela le pasteur en s'accroupissant à leur hauteur. Brandon ? Est-ce que vous pouvez m'entendre ?

Le démon essaya de parler, mais il n'avait plus assez de force et dut se contenter d'aider Sal à hocher la tête.

— Rodrigue et moi, nous allons vous débarrasser de ce vilain parasite. Laissez-moi une seconde pour déterminer ce qui...

— C'est un cauchemar, intervint son compagnon. Gorgé de peur et... relié au sang de ce garçon.

Il l'avait dit avec le ton d'un médecin vous annonçant que vous aviez une sale grippe et le pasteur grimaça en se frottant la nuque.

— Je suis désolé Brandon, je vais devoir exorciser Sal et ça risque d'être un peu désagréable pour vous deux. Accrochez-vous bien, d'accord ?

À ce stade, ils étaient si fatigués tous les deux que n'importe quelle solution leur convenait, pourvu que le cauchemar dégage. Distraitement, Brandon songea qu'en une seule nuit, il allait vivre sa première possession et son premier exorcisme, ce qui lui valut une plaisanterie silencieuse et épuisée de Sal qui répliqua qu'il voulait bien être son premier en tout. Le pasteur se releva pour aller chercher quelque chose dans le coffre de la voiture, les laissant seuls avec le dénommé Rodrigue qui leur offrit un sourire rassurant.

— Vous n'avez pas eu de chance avec votre choix de camping, remarqua-t-il sur le ton de la conversation. Ce cauchemar devait être sacrément affamé pour s'accrocher à Sal comme ça. Dieu sait depuis combien de temps il errait dans le coin... Mais ne vous en faites pas, d'ici peu il sera de retour aux Enfers et vous serez libérés. Ce ne sont pas les plus difficiles à exorciser, même s'il a goûté au sang de Sal. Et si Brandon se bat à nos côtés, ça devrait même aller assez vite !

Une minute plus tard, le pasteur était de retour avec une grosse sacoche dont il tira trois petits cierges qu'il plaça autour d'eux, puis une longue chaîne très fine pour former un cercle destiné à enfermer le cauchemar loin de leurs amis. Un miroir fut ajouté juste devant eux, pour ouvrir un portail vers les Enfers, et Rodrigue tira sa rapière de son fourreau. À la lumière de leur feu de camp, Brandon reconnut l'acier infernal de la lame et frémit malgré lui parce qu'il connaissait le pouvoir de ce métal sur les démons. Il n'y avait pas plus efficace pour en éliminer un, comme l'argent pour les vampires et les loups-garous.

Un autre éclat de lumière attira leur attention sur l'anneau qui brillait à l'annulaire du pasteur et ils reconnurent tous les deux un petit rosaire avec des pierres pour marquer les prières. Ce qui était plus curieux, c'était que Rodrigue portait le même, en acier infernal, exactement au même endroit. Comme une alliance. Mais avant qu'ils ne puissent pousser cette réflexion plus loin, l'exorcisme débuta.

C'était un exercice périlleux, parce que Brandon et Sal devaient contrôler leur peur afin d'éviter qu'elle permette au cauchemar de s'accrocher, mais ils n'étaient pas vraiment sereins. Sal ne connaissait des exorcismes que ce qu'il avait vu au cinéma, et Brandon avait seulement entendu des histoires d'autres démons, à peine plus rassurantes. De chaque côté du cercle, le pasteur et son... assistant récitaient des prières qui ressemblaient terriblement à une invocation pour attirer le cauchemar hors du corps de Sal. Ils faisaient appel à Dieu et à sa protection, demandaient au Diable de retirer son serviteur de là, et forçaient peu à peu le parasite à sortir.

Brandon devait se concentrer pour ne pas être happé au passage et il fut un peu rassuré de sentir l'esprit de Sal s'enrouler autour du sien comme s'il s'agrippait à lui pour le retenir. C'était franchement désagréable et son petit ami lui communiqua l'image d'un jeu de tir à la corde qui illustrait très bien leur situation. Et puis soudain, le cauchemar se retrouva dehors, comme une sorte de nuage sombre au-dessus de la tête de Sal. Alors Rodrigue leva sa lame et l'abattit gracieusement à quelques millimètres seulement des boucles brunes, tranchant net le lien de sang qui reliait encore le parasite à son hôte. Avec un drôle de bruit, le cauchemar fut aspiré par le miroir et la forêt perdit immédiatement de son aspect menaçant.

— Et voilà, sourit le pasteur après avoir éteint les cierges. Vous êtes libres !

— Mais Brand est toujours avec moi, remarqua Sal d'une voix fatiguée. J'ai réussi à l'appeler, mais encore une fois... je ne sais pas comment le sortir de là.

Le démon ne le savait pas non plus et devait se concentrer pour ne pas flipper, parce qu'il ne voulait pas rester coincé dans le corps de Sal. Lequel lui offrit l'équivalent mental d'un câlin, confiant dans l'aide du pasteur.

— Il te suffit de l'embrasser, s'amusa Rodrigue avec un clin d'œil. Brandon glissera naturellement dans son propre corps.

Avant ça, ils eurent besoin d'aide pour se lever parce que maîtriser un corps quand on était deux aux commandes était franchement compliqué. C'était comme essayer de marcher avec les chevilles attachées ensemble et ils devaient se concerter pour chaque geste. Mais enfin ils furent à genoux auprès du corps inanimé de Brandon et leurs lèvres se touchèrent doucement. Le démon se sentit attiré par cette enveloppe mais juste avant de s'y glisser, il sentit Sal l'entourer d'une énorme bouffée d'amour, comme s'il voulait profiter de leurs dernières secondes de possession pour non seulement lui avouer qu'il l'aimait, mais surtout le lui montrer de la manière la plus claire. Et la première chose que Brandon fit en ouvrant ses propres yeux pour croiser son regard fut de sourire et lui rendre son baiser.

— Je t'aime autant que ça, assura-t-il en pressant son front contre le sien. Mon Sal si courageux...