Leur procession aussi effrayée qu'excitée s'équipa des lampes pour quitter la salle de cérémonie plongée dans le noir. Par prudence, Sal avait soufflé les bougies parce qu'il ne tenait pas à être l'un de ces idiots qui foutaient le feu par mégarde au lieu abandonné qu'ils visitaient par effraction. Ils étaient venus pour s'amuser et se faire peur, pas se mettre en danger aussi bêtement.
À la suite de Lucas qui avait repris la direction des opérations, Kenny juste derrière lui, ils s'enfoncèrent pour de bon dans les profondeurs obscures du crématorium. Les lieux autrefois si accueillants étaient désormais plus que sinistres, avec leurs fenêtres barricadées et les traces laissées par l'humidité comme des larmes sombres sur la peinture qui s'écaillait. Le silence était toujours total, presque trop lourd, alors qu'ils avançaient lentement dans les pièces désertées, promenant le faisceau blafard de leurs lampes sur les ruines d'une époque révolue. La tension était palpable, chacun s'attendant à voir surgir quelque chose, qui n'arrivait pas.
Après deux bureaux vides et tristes, ils entrèrent dans une pièce bien plus lugubre, où s'étalaient des rangées et des rangées d'urnes funéraires, certaines renversées par les rats qui étaient passées entre elles à de nombreuses reprises. Quelques-unes s'étaient brisées en tombant au sol, jonchant le carrelage d'éclats de porcelaine. Dans la lumière pâle de leurs lampes, les étiquettes des noms semblaient innombrables, comme autant de fantômes emprisonnés dans ces sinistres petits contenants.
— Par-là, chuchota Lucas en éclairant une porte où était indiqué « PRIVÉ ». Je parie qu'il y a un accès au sous-sol derrière.
Il fallut forcer un peu pour pousser le battant, qui s'ouvrit sur un petit couloir au bout duquel se trouvait l'entrée vide et noire d'un escalier. S'il s'était trouvé seul, Sal n'aurait jamais mis les pieds là-bas, mais l'effet de groupe et l'assurance de Lucas qui ne semblait avoir peur de rien suffirent à le convaincre d'avancer en direction de cette zone d'ombre impénétrable.
L'escalier, poussiéreux et humide, parut interminable comme une descente aux enfers. Accroché à sa lampe, Sal n'entendait presque plus rien que les battements assourdissants de son cœur affolé. Et puis enfin, ils atteignirent le bas et ce fameux sous-sol dont il avait fait toute une histoire. À son grand soulagement — et avec peut-être une pointe de déception — ils n'y trouvèrent aucun ange pleureur, seulement une pièce sinistre et poussiéreuse remplie de décors mortuaires à moitié rongés par les rats et les mites. Deux couvercles de cercueil étaient posés contre le mur, tachés de moisissure, et sur une étagère croulante se trouvaient quelques plaques de marbre aux messages macabres dont les lettres à demi effacées leur donnaient un aspect plus lugubre encore.
Lentement, Sal promena sa lampe sur les étagères, survolant tout un stock de bouquets funéraires dont les fleurs de plastique avaient pâli jusqu'à prendre la couleur de la poussière. Il dénicha quelques crucifix, plusieurs petites statues de la vierge, mais rien d'aussi terrifiant que les anges pleureurs qu'il avait évoqués. Et il n'y avait rien d'autre.
— On ne trouvera pas le démon ici, chuchota Jule qui reprenait confiance. À mon avis, c'était juste un courant d'air.
L'ambiance du groupe changeait petit à petit, au fur et à mesure que la peur et l'appréhension retombaient, faute d'évènement vraiment effrayant. Lucas savait reconnaître quand la partie était perdue, et il ne chercha pas à prolonger plus longtemps leur recherche vaine dans l'obscurité, la poussière et le froid.
— Tant pis, nous avons manqué notre chance, dit-il avec désinvolture. Nous réessaierons une autre fois.
— On devrait remonter, acquiesça Benji. On se les pèle ici.
Malgré tout, Sal avait l'impression que quelque chose clochait et il ne cessait de regarder vers une autre porte, à demi dissimulée par une armoire remplie de papiers. Il mourait d'envie de l'ouvrir, de savoir ce qui se trouvait derrière, et il s'en approcha au lieu de suivre les autres. Lentement, prudemment, il tendit la main vers la poignée et...
— Sal ? appela Lucas, le faisant sursauter.
En se retournant, Sal le vit debout au pied de l'escalier, l'air hésitant et inquiet. Le fait qu'il soit resté pour s'assurer qu'il suivait le réchauffa et il lui offrit un sourire confiant.
— Tu viens ? ajouta Lucas.
— Je veux juste vérifier un truc, promit-il. Je vous rejoins vite, c'est promis.
Il fut vraiment touché de voir son ami hésiter, visiblement tiraillé entre l'envie de remonter avec les autres pour continuer à diriger leur groupe, et le besoin de s'assurer qu'il allait bien. Réconforté, Sal lui fit même un clin d'œil.
— File retrouver Kenny, chuchota-t-il. Je n'en ai pas pour longtemps.
Amusé par le léger hâle rouge qui colora ses joues, Sal attendit que son ami se détourne, mais Lucas ne bougea pas, les sourcils toujours froncés.
— T'es sûr ?
— Ouais, je veux jeter un coup d'oeil, au cas où. T'inquiète pas pour moi.
— C'est pas prudent de se séparer, on sait pas ce qu'il y a derrière. Je viens avec toi.
— C'est gentil mais vraiment, t'inquiète. Je ne vais pas loin, peut-être jusqu'aux fours, mais c'est tout. Ne fais pas attendre Kenny pour moi, je vous retrouve.
La diversion ne fonctionna qu'à moitié mais Lucas finit par pousser un soupir en baissant les épaules.
— Okay, mais si t'es pas de retour dans une heure, je descends te chercher par la peau du cul. Et il ne restera pas une seule chips pour toi.
— Raison de plus pour ne pas traîner, rit-il. Mais, tu sais... Kenny n'osera jamais t'approcher tant que je suis là, alors profite de tes quelques minutes de chance, mec.
Son clin d'oeil finit de convaincre Lucas qui le lui rendit avant de se détourner pour rejoindre les autres. Avec son départ, la lumière décrut et Sal prit une profonde inspiration en se tournant vers la porte pour l'ouvrir enfin.
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Une Nuit d'Enfer
TerrorPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...