De l'autre côté de la porte, l'obscurité était totale, au point d'être quasiment opaque. Le mince faisceau de la lampe de Sal ne parvenait pas à la percer et n'éclairait pas plus loin qu'un mètre ou deux. Dans son dos, la porte se referma avec un petit claquement qui résonna dans le silence total. En sursaut, Sal se retourna pour essayer de la rouvrir et crut s'effondrer de soulagement lorsque la poignée tourna et que le battant pivota. Quoi qu'il arrive, il n'était pas coincé de ce côté-là. Et quand bien même, Lucas savait où il était, il lui avait laissé une heure. Si jamais il se retrouvait piégé, tout ce qu'il aurait à faire serait de se calmer et d'attendre qu'on vienne le chercher. Ou que le jour se lève pour qu'il puisse retrouver son chemin à la lumière si jamais Lucas ne le retrouvait pas ou l'oubliait.
Mais pour l'instant, la curiosité le poussait en avant, plus forte que la peur, droit dans le sinistre couloir qui menait vers l'inconnu. Les yeux rivés sur le petit rond pâle dessiné par sa lampe, Sal avança lentement en faisant bien attention à ne pas trop regarder autour de lui et à ne surtout pas agiter sa lumière dans tous les sens. D'expérience, il savait que cela ne ferait que lui montrer des choses qu'il n'avait absolument pas envie de voir, et il s'empêchait de détourner le regard de son faible halo. Par conséquent, ses oreilles étaient tendues au maximum, à l'écoute du silence épais dans lequel résonnaient chacune de ses inspirations. Son cœur battait si fort qu'il en devenait assourdissant et il entendait chacun de ses pas crisser sur le sol sale et couvert de débris de plâtre.
Il faisait froid en bas, au point qu'il en venait à regretter de ne pas avoir pris sa parka en plus, mais il était incapable de déterminer si les frissons qui le parcouraient et lui donnaient la chair de poule étaient dus à la température ou à l'angoisse. Lentement, il s'obligea à respirer profondément, même si l'air sentait le renfermé et la moisissure, avec une autre odeur plus faible, familière mais difficile à reconnaître.
— J'aurais dû accepter l'offre de Lucas, souffla-t-il entre ses dents serrées. Qu'est-ce que je fous là ?
À ce stade, il se fichait bien du regard énamouré de Kenny, il voulait la présence rassurante d'une autre personne à ses côtés, quelqu'un qui remplisse cet épouvantable silence et lui assure qu'il n'était pas soudainement passé dans une dimension figée et morte. Mais sa curiosité ne le laissait pas en paix et l'incitait à continuer, ne serait-ce que pour aller voir ce qu'il y avait au bout du couloir. De toutes ses forces, il luttait contre son cerveau qui essayait de lui rappeler ces photos qu'il avait vues du tunnel de la mort dans le sanatorium de Waverly Hills, même s'il avait l'impression de s'y trouver. Sa lampe torche n'arrivait pas à percer l'obscurité, donnant l'impression d'avancer vers une obscurité épaisse qui avalait tout, et le silence n'arrangeait rien, sans parler du léger courant d'air qui effleurait parfois sa peau comme un souffle fantôme.
Soudain, il crut entendre du bruit par-dessus le crissement de ses pieds sur le sol et il dut s'arrêter pour écouter en essayant d'ignorer les battements frénétiques de son cœur. Quelque part, droit devant lui, le bruit résonna encore, plus fort. Des coups sourds et irréguliers. Comme quelque chose qui taperait contre une surface dure.
Glacé, Sal eut l'impression que son estomac chutait dans ses chaussures et il envisagea un instant de faire demi-tour avant de se raisonner. Quoi que ce soit qui fasse ce bruit-là, la probabilité pour que ce soit dangereux était faible. C'était certainement un volet qui claquait avec le vent, ou une bestiole qui faisait son nid. Ils n'avaient vu personne d'autre depuis qu'ils étaient arrivés, et Sal n'avait pas l'impression que l'un de ses amis aurait pu le contourner pour s'amuser à lui faire peur. Et de toute manière, il avait vraiment envie de savoir ce qui se trouvait au bout du chemin. Tellement envie d'ailleurs qu'il commençait à se demander où était passé son instinct de préservation et à craindre que l'influence de Lucas et, pire, celle de Rory aient pris le dessus sur son naturel posé et prudent.
Soudain, sa lampe torche accrocha un reflet métallique alors que les coups sourds devenaient plus forts. Il s'approchait, il pouvait le sentir, et ce qui se trouvait devant lui n'était autre que les vieux fours du crématorium, dont les lourdes portes étaient fermées. Il avait l'impression que les coups provenaient de l'intérieur de l'un d'eux et déglutit en se demandant ce qui pouvait bien s'être retrouvé coincé là.
— Je vais le regretter, marmonna-t-il en s'approchant. Je vais tellement le regretter...
À présent qu'il se trouvait dans cette situation, il commençait à comprendre pourquoi les personnages de films d'horreur faisaient toujours des trucs débiles qui les menaient à leur perte. La curiosité était bien trop forte pour qu'il s'arrête maintenant, même si son coeur battait aussi fort que ce truc terrifiant qui résonnait tout autour de lui. Il tremblait tellement que sa lampe semblait clignoter et il dut la poser sur un vieux chariot rouillé pour éclairer la porte du four alors qu'il cherchait à l'ouvrir. L'estomac noué et les yeux écarquillés, il trouva enfin le mécanisme et tendit la main pour l'actionner, presque malgré lui.
Une vague de chaleur s'en échappa, en même temps que la lueur orangée d'un feu, et Sal fit deux pas en arrière alors que la porte s'ouvrait brusquement. Une gerbe de flammes accompagnée d'une nouvelle bouffée de chaleur en sortit, enveloppant une grande silhouette sombre. Cette fois, Sal sentit son cœur louper un battement pour de bon et il recula maladroitement, complètement terrifié, les yeux rivés sur la créature cornue qui se dépliait hors du four. Les flammes l'entouraient comme de grandes ailes, et tout ce que Sal parvint à dire sortit comme un faible couinement d'horreur.
— Oh merde. Merde, merde, merde. Oh bordel. Un balrog.
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Une Nuit d'Enfer
TerrorPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...