Sal revint à lui sitôt qu'ils eurent laissé la clairière derrière eux et ce fut bien plus facile de fuir à présent que ses jambes répondaient à l'appel. Lucas s'était placé de l'autre côté, de sorte qu'ils l'aidaient tous les deux à marcher, et Brandon puisait dans tout ce qu'il possédait pour couvrir leurs traces et retrouver le chemin du camp. Ce dont ils avaient attiré l'attention était vraisemblablement habitué à piéger et traquer des humains, mais heureusement pour eux, lui n'en était pas un, donc il pouvait utiliser ça à leur avantage. D'autant que le feu qu'il avait allumé en début de soirée lui servait de point de repère et de balise pour se diriger, l'empêchant de se perdre dans la forêt, en dépit de tous les efforts du chemin pour les faire tourner en rond.
Enfin, après ce qui parut être une éternité de course en sous-bois à éviter les branches basses et les racines tordues, il aperçut les premières lueurs entre les arbres et accéléra, imité par Lucas. Brusquement, ils débouchèrent auprès de l'une des cabanes en ruines les plus éloignées du feu, envahie par les ronces. Au milieu du camp, leurs amis attendaient nerveusement, blottis les uns contre les autres dans la lumière rassurante des flammes. Jule et Kenny semblaient monter la garde alors que Benji et Leah faisaient de leur mieux pour rassurer Aline. À les voir tous sains et sauf, Brandon se détendit un peu et sentit Lucas faire de même, mais Sal ne réagit pas, raide comme un piquet entre ses bras.
— Sal ? appela le démon. Sal, mon cœur, est-ce que tu m'entends ?
Ses yeux étaient toujours écarquillés mais le saignement avait enfin cessé, le diable soit loué. En revanche, il était affreusement pâle, le brun chaleureux de sa peau désormais gris comme de la cendre, et il tremblait de tous ses membres comme s'il avait de la fièvre.
— Je ne me sens pas très bien, répéta-t-il en clignant lentement des yeux. J'ai l'impression que... Qu'est-ce qu'il y a là-bas ?
Le ton de sa voix avait changé, la peur fatiguée laissant la place à une autre forme de frayeur plus alerte. Son regard était rivé sur l'une des cabanes en mauvais état à proximité, dont la bâche abîmée pendait comme une aile blessée. Elle était à la lisière des arbres, à peine atteinte par la lumière du feu, et ne donnait pas du tout envie de s'en approcher.
— Je ne vois rien, répondit Brandon en lui frottant les épaules. Viens, tu devrais aller auprès du feu.
Il n'avait pas envie de le laisser s'attarder sur cette cabane toute moisie et il le fit pivoter mais Sal résista soudain et releva la tête vers lui avec une expression hantée et terrifiée.
— Non. Il faut que j'aille voir. Je ne veux pas mais... ça m'attire, tu vois ? Comme quand j'ai ouvert le four où tu étais arrivé... Ça... ça m'appelle. Mais je ne veux pas y aller. Je ne veux pas voir ce qu'il y a là-bas... Sauf que je n'arrive pas à résister. Me laisse pas seul avec ça, je t'en prie...
Avec un bruit étranglé et brisé, il s'agrippa à la main de Brandon pour la serrer contre son cœur, les yeux humides de frayeur, et le démon n'hésita pas une seconde.
— Lucas, va rejoindre les autres auprès du feu. Sal et moi on va vérifier un truc d'abord, puis on vous rejoint.
Il attendit que leur ami soit en sécurité dans le cercle de lumière pour se tourner vers Sal qui serrait sa main si fort que c'en était douloureux. Il ne cessait de regarder vers la cabane qui l'attirait, visiblement partagé entre une terreur tout à fait normale et la tentation surnaturelle d'aller voir, de vérifier. Alors Brandon l'accompagna, parce qu'il était hors de question qu'il le laisse faire face à ça tout seul, tout en essayant de déterminer à l'avance ce qu'ils allaient trouver là-bas, et comment en protéger Sal.
Le bois vermoulu et pourri des marches de la cabane manqua céder sous leur poids et l'odeur qui se dégagea quand Sal déplaça la bâche était épouvantable, évoquant la mort, la décomposition et l'horreur. Pourtant, Brandon était prêt à parier que ce n'était encore une fois qu'une illusion, parce que la cabane avait paru absolument normale plus tôt dans la journée. Sans lâcher la main de son petit ami, il leva la lanterne que Lucas lui avait rendue, essayant de repousser l'obscurité opaque qui les entourait. Et même s'il savait que rien de tout cela n'était réel, le hoquet d'horreur de Sal exprimait assez bien son sentiment lorsque la lumière dévoila une forme allongée dans un coin.
— Oh bordel, gémit Sal. Oh. Putain. De. Bordel.
Le corps se trouvait encore dans un sac de couchage, au long d'un mur maculé de traces sombres laissées par des mains affolées ou désespérées. Le tissu était imprégné de décomposition qui avait moisi sur le sol tout autour de lui et le visage du cadavre était masqué par des sacs plastiques, bourrés à l'intérieur de son sac comme pour l'étouffer. C'était tout bonnement effroyable, et Brandon devait reconnaître que l'illusion était efficace. Il s'y était presque fait prendre, et Sal complètement.
— Ce n'est pas un corps, dit-il sombrement. Ce truc-là n'est pas et n'a jamais été humain.
Comme pour lui donner raison, la chose émit un long râle avant de se relever maladroitement, mais bien plus souplement qu'elle aurait dû, ainsi empêtrée dans le sac de couchage. Les plastiques bougèrent sur son visage au rythme de ses inspirations rauques et sifflantes, et Brandon n'attendit pas d'en voir davantage. Il attrapa Sal par le bras pour le tirer avec lui et le faire sortir de là, mais il était déjà trop tard. Il était trop tard depuis que son sang avait coulé dans la forêt et attiré l'attention sur lui.

VOUS LISEZ
Une Nuit d'Enfer
TerrorPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...