Après le temps qu'ils avaient passé dans la tente, Brandon s'attendait vraiment à ce que les autres les aient grillés et se moquent d'eux sitôt qu'ils mettraient le nez dehors. Pourtant, hormis Lucas qui leur jeta un regard un peu appuyé, personne ne fit la moindre réflexion. De toute manière, ils étaient tous impatients de s'installer autour du feu pour commencer à faire griller la viande et lancer leur soirée.
Le soleil était bien descendu à présent, colorant le ciel de rose et d'orange ensanglanté au-dessus des arbres, et leur plus grande source de lumière était désormais le feu allumé par Brandon qui brûlait joyeusement dans son cercle de pierre. Grâce aux essences de bois que le démon y avait placées, la fumée provoquée maintenait les moustiques à distance, ce qui était vraiment appréciable. En dépit de l'obscurité qui s'étendait entre les arbres et des silhouettes fantomatiques des cabanes abandonnées, l'ambiance était toujours détendue et joyeuse, surtout avec les délicieuses odeurs de viande rôtie qui s'échappaient de leurs grillades. Brandon se demandait un peu quand est-ce que Lucas et Sal se lanceraient sur leurs histoires effrayantes, mais il pouvait voir que les deux voulaient d'abord profiter du calme de la soirée.
Alors ils mangèrent leurs grillades avec des chips et des salades composées tout en jouant à «deux mensonges, une vérité» et à «Je n'ai jamais...», leurs rires résonnant à nouveau sous les frondaisons. Sal était lové contre lui, la tête posée sur son épaule, et cette tendresse toute simple alimentait la chaleur que Brandon ressentait au fond de son cœur. Il se sentait merveilleusement bien, repu de plaisir, installé auprès du feu, avec le garçon qu'il aimait pelotonné contre lui et des amis autour d'eux.
— Qui est partant pour des s'mores ? proposa-t-il après la disparition des dernières chips.
— Mec, je pourrais t'épouser rien que pour ça, répliqua Jule sans s'écarter de Leah. Je ne connais personne qui les réussisse mieux que toi, sans jamais les cramer.
— Parce que c'est le meilleur, sourit Sal avec suffisance.
Avec une pointe de fierté, Brandon s'occupa de piquer les chamallows sur des brindilles pour les approcher du feu, non sans remarquer le regard que son petit ami échangea avec Lucas. L'heure était venue de passer aux choses sérieuses, visiblement.
— Bien, sourit Lucas en attrapant le s'more que Brandon lui tendait, est-ce que vous savez pourquoi le camp a été abandonné ?
— Sal a parlé d'un trou sans fond, répondit Aline avec de grands yeux. Et il disait que l'eau du lac était devenue rouge.
En essayant vaillamment de ne pas sourire, Brandon se concentra sur la préparation des s'mores pour laisser à son petit ami le loisir de raconter une nouvelle histoire aussi effrayante que fausse.
— C'est l'idée, répondit Sal en se redressant un peu. Ce camp a très bien fonctionné pendant des années, je me souviens que ma mère y est allée lorsqu'elle avait notre âge. Mais plus récemment, des travaux ont été entrepris dans une autre partie de la forêt. Je ne sais pas ce qu'ils voulaient construire, mais en creusant ils sont tombés sur ce qui ressemblait à un puits. Pas forcément très large, ni très profond, mais maçonné avec soin et fermé par une lourde plaque de fer. En fait, c'était si bizarre qu'il ne soit pas plus profond que les ouvriers ont pensé qu'il avait été remblayé, alors ils se sont dit...
— Pourquoi ne pas le vider ? compléta Lucas.
— Exactement. Alors ils ont creusé, mais c'était un peu comme le puits d'Oak Island avec tous ses paliers. Et puis un matin, quand ils sont arrivés, ils ont trouvé le puits entièrement ouvert, comme une porte vers le centre de la terre. Les ouvriers qui avaient passé la nuit-là avaient disparu et on ne les a jamais revus. Ils ont tenté de mesurer la profondeur du trou, sans succès. Aucune longueur de fil n'a pu atteindre le fond. La rumeur veut que ceux qui sont tombés dedans continuent à tomber, comme le terrier du lapin d'Alice, mais en pire. Par contre... il y a des choses qui en sont sorties. Personne ne sait quoi, exactement. Elles n'ont pas de forme définie, on ne peut les voir que du coin de l'œil. Et elles ont faim.
Impossible de manquer le frisson qui secoua tout le monde, ni la manière dont ils évitèrent tous de regarder ailleurs que dans leur cercle de lumière. Bien conscient de son effet, Sal en rajouta et leur raconta l'histoire d'une girl scout qui était tombée dans le puits et avait été remplacée par... autre chose. Il rebondissait sur chaque question, modulait sa voix, et parvenait vraiment très bien à instiller la peur avec l'aide du cadre un peu intimidant.
— Mais tant que le feu brûle, on ne risque rien, dit-il finalement. Les choses du puits viennent de l'obscurité, elles ne supportent pas la lumière. Le feu nous protège.
En disant ça, il entremêla ses doigts à ceux de Brandon qui sourit en lui tendant un s'more. Inspirés par l'histoire de Sal, chacun y alla de son anecdote et de son petit récit effrayant, générant une bonne dose de peur mêlée d'excitation. En revanche, le bruit soudain en provenance des broussailles à la lisière du camp les fit tous sursauter et Brandon vit bien qu'ils évitaient de regarder dans cette direction, fixant leurs yeux écarquillés sur Sal et Lucas. Sauf que le démon pouvait parier que les deux amis n'y étaient absolument pour rien, d'autant que Sal s'était raidi dans ses bras, écoutant comme lui les bruits de pas dans la végétation.
— Quelqu'un vient, murmura inutilement Brandon.
Dans la tension épaisse, une silhouette sortit du bois et s'avança dans la lumière, dévoilant un jeune homme parfaitement humain. Mais au lieu de se détendre, Sal et Lucas ne firent que se raidir davantage en dévisageant le nouveau venu.
— Rory... le salua Sal d'une voix glaciale.
— Vous ne devriez pas camper là. C'est dangereux. Des trucs rôdent par-là.
Il ne fallut pas longtemps à Brandon pour comprendre pourquoi ce type était un réel danger. Contrairement à Lucas et Sal, l'histoire qu'il leur sortit était vraiment effrayante et bien plus dérangeante, évoquant des meurtres atroces et des monstres attirés par la peur, sans rien de rassurant à la fin. Il voulait instiller une terreur abjecte et poisseuse, pas un petit serrement de cœur qui s'effacerait au matin. Mais malgré toute sa tension, Sal ne se démonta pas et ne le lâcha pas du regard.
— Tu racontes n'importe quoi, affirma-t-il sèchement. Tes histoires ne tiennent pas debout, ça se voit que c'est des conneries. Fous le camp d'ici, tu gâches la soirée avec tes salades.
Son assurance suffit à rasséréner les autres et à dégonfler un peu Rory qui finit par comprendre que ses efforts étaient tombés à l'eau. Mains dans les poches, il s'éloigna par le chemin en laissant tomber derrière lui un «je vous aurai prévenu» que Sal repoussa d'un haussement d'épaules.
— Il bluffe, assura-t-il aux autres. Il veut juste qu'on se tire d'ici et gâcher notre soirée en nous faisant peur. Tout ça ce sont des mensonges, il ne s'est jamais rien passé d'effrayant ou de bizarre dans les environs.
Qu'il soit prêt à démonter sa propre histoire pour rassurer les autres prouvait à quel point il tenait à eux, mais Brandon pouvait deviner à la façon dont il tremblait légèrement qu'il n'était pas du tout certain de ce qu'il avançait. Et ce n'était pas rassurant, du tout.
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Une Nuit d'Enfer
HororPour fêter Halloween, Sal et ses amis ont une idée d'enfer : squatter le vieux crématorium désaffecté pour essayer d'y invoquer un démon. Après tout, il n'y a que dans les films que ça tourne mal, pas vrai ? Sal est persuadé que cela n'a aucune chan...