Chapitre neuf

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— Qu'est-ce qu'il fait là ? 

Son ton dégouté me fit pousser un profond soupir. 

— Park, c'est mon coéquipier. 

Je devais bien l'admettre, nous donnions un piètre spectacle. Samael n'avait pas eu la chance de se changer, car je l'avais forcé à partir le plus vite possible. Ainsi il sentait les vapeurs d'alcool, les cheveux décoiffés, et portait une chemise blanche tachée, au premier bouton ouvert. 

Au moins, j'avais pu me rincer le visage et mettre un pantalon. Mais je n'avais pas dormi de la nuit, et je devinais bien l'image que je renvoyais. Surtout au regard sévère que mon collègue me donnait. 

— Les mages ne sont pas admis sur les scènes de crime, s'obstina-t-il. Tu devrais le savoir mieux que tout le monde.

C'était vrai, et j'étais connue pour mon amour des règles. Mais, plus je côtoyais Samael plus je réalisais que la plupart d'entre elles étaient stupides. Créées par haine des siens, sans aucune raison apparente.

Et une forte partie de moi avait envie de lui faire confiance. Il ne m'avait donné aucune raison de ne pas croire en lui, et avait même risqué sa vie pour me protéger. Ainsi, mon regard las rencontra celui de mon collègue.

— Park, lui dis-je d'un ton qui trahissait ma fatigue, laisse nous passer. 

Ce dernier, tout en me regardant avec incrédulité, se décala. J'essayais d'ignorer le sourire hautain que Samael lui lança tandis que nous passions à côté de lui. 

Un haut le coeur me saisit. L'odeur putride des corps m'arrivait jusqu'ici. Samael et moi échangions un regard dégouté, tout en progressant sur la scène de crime. Pour la première fois dans cette enquête, nous nous trouvions en extérieur. 

Sous un pont, plus précisément. Je pouvais entendre les voitures passer au-dessus de nous et ne put retenir mon frisson. Le béton qui nous encerclait rendait l'air terriblement froid, et je n'étais pas au meilleur de ma forme.

— Ça va aller ? me demanda Samael.

— Oui, et toi ? 

— Oui.

J'avais vu des dizaines de corps au fil de ma carrière. Mais aucune enquête ne m'avait atteinte comme celle-ci. Une sorte d'amertume me serrait les entrailles. Il y avait quelque chose de terriblement cruel à voir les corps mutilés ainsi.

De l'impuissance, également. J'étais démunie, incapable de leur rendre la justice qu'ils méritaient, de rendre leurs corps à leurs familles. Je me sentais terriblement inutile. 

— On va aller rendre une visite au Coven Ambré, dis-je à Samael.

La surprise qui se lit sur son visage me fit presque sourire, mais je n'avais pas le coeur à cela. La scène de crime grouillait de monde, pourtant il y avait un périmètre de sécurité autour des trois corps.

Ces derniers étaient disposés d'une façon presque cérémoniale, en cercle. Les têtes manquantes, bien sûr, et l'odeur putidre ajoutait à l'horreur de la scène. 

— C'est une mauvaise idée, rétorqua-t-il.

— Des gens meurent, Samael. Je me fiche de savoir ce que tu penses de mon idée. 

Il secoua la tête sans toutefois oser me répondre. On lui fournit, et à moi aussi, de l'équipement afin de ne pas contaminer la scène de crime. Pendant que je suis concentrée sur les corps, je le vois tourner en rond.

Samael observe le béton du pont avec un interêt non feint. 

Ces pauvres personnes. Il est trop tôt pour savoir s'il s'agit d'humain ou de mage, mais dans tous les cas la scène est malheureuse. Les corps se trouvaient dans la terre, à même la boue. Salis, abandonnés. 

— Jade, m'appela Samael. Il faut que tu viennes voir ça. 

Je me redressais tout en levant les yeux au ciel. Mais, mon intérêt était piqué lorsque je lis la peur sur le visage de Samael. 

J'ignorais comment, mais il avait trouvé une lampe UV. En pleine journée, même à l'ombre du pont, c'était compliqué de réellement l'utiliser. Pourtant, si je me concentrais suffisamment, je pouvais deviner des signes sur le mur. 

— Qu'est-ce que c'est ? lui demandais-je.

Il était si pâle que je me demandais presque s'il allait s'évanouir. 

— Je ne m'y connais pas beaucoup en nécromancie, commença-t-il. Mais...

Samael avala sa salive de travers.

— C'est une incantation. Une cérémonie de... 

— Accouche, lui dis-je d'un ton sec.

J'étais trop épuisée pour jouer au jeu des devinettes. Samel inspira un grand coup, comme pour se calmer et se donner du courage.

— Jade, reprit-il. Je ne m'y connais pas beaucoup en nécromancie, mais je sais que ces signes là sont signes d'une invocation.

Les mots me heurtèrent si fort que j'eus l'impression de me faire frapper. Nous restions dans un silence lourd, pendant quelques minutes. Je dus devenir aussi pâle que lui, car il tendit le bras pour me soutenir. 

— Invoquer qui ? demandais-je.

— Surtout quoi.

À nouveau, son ton était glaçant. La terreur sur ses traits étaient non feintes. Ainsi, c'était cela qui se passait. Le groupe, le ou les meurtriers, essayait d'invoquer quelque chose ou quelqu'un. 

Et au vu de l'horreur de la cérémonie, cela ne pouvait rien présager de bon.

— On va aller voir le Covent Ambré, répétais-je désormais sûre de moi.

— Non, tu ne vois pas ? s'exclama Samael. Ils sont dangereux.

— Alors on va y aller avec Kyros ou quelqu'un d'autre, mais on a besoin de réponse.

Je ne pouvais pas arriver avec une équipe de police armée sans plus de preuve. Sinon, je risquais je lancer une guerre civile dont je me passerai largement. 

— D'accord, soupira Samael. Mais...

J'en avais assez de ses pauses. 

— Mais quoi ?

— J'ai besoin d'un café. 

Déchéance [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant