Chapitre dix

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— C'est ridicule, lui dis-je.

— Ce qui est ridicule, me corrigea-t-il, c'est ton idée.

Cela faisait plusieurs fois qu'il me répétait la même chose, toujours exactement dans ces mots. Je devais l'admettre, je commençais à être profondément agacée. Et épuisée. 

— As-tu un meilleur plan ? 

— Un qui nous éviterait de nous faire tuer serait déjà mieux. J'y réfléchis. 

— Réfléchis vite, lui ordonnais-je sèchement, car nous sommes à court de temps. 

La culpabilité me rongeait surtout, dévorante et aveuglante. Je savais avoir besoin de sommeil, car je ne fonctionnais plus normalement. Pourtant, une seule chose m'obsédait : trouver des réponses.

Nous avions trois nouveaux corps sous les bras. Sans parler de ceux dont je venais d'apprendre l'existence, lors de la soirée de Kyros. Si le Covent Ambré avait réellement un rapport avec notre affaire, alors je voulais en finir au plus vite.

Malheureusement, et cela me tuait de l'avouer, Samael avait raison. Nous ne pouvions pas juste arriver là-bas. La police avait une façon très particulière d'agir avec les mages, et organiser une réelle descente prendrait des semaines. Du temps que nous ne possédions pas.

Si nous y allions juste lui et moi, et qu'ils étaient réellement derrière tout cela, alors nous risquions de mourir. Ce qui n'avancerait rien, ni personne. 

Je me tenais appuyée contre le mur froid d'un café de quartier. Nous nous trouvions dans une allée peu fréquentée, presque seuls. Samael s'accrochait à la tasse cartonnée entre ses mains comme s'il s'agissait de l'objet le plus précieux au monde.

— Tu es sûre que tu n'en veux pas ? me demanda-t-il lorsqu'il remarqua que je l'observais. 

— Non, je vais être malade si j'avale quoi que ce soit de plus. 

— Tu sais qu'il n'y a pas d'alcool là-dedans, n'est-ce pas ? 

— Non, sans blague ? rétorquais-je en le fusillant du regard.

Il savait parfaitement ce que je voulais dire. Rester debout était déjà une torture. 

— Je t'en supplie, lançais-je finalement. Dis moi que tu connais quelqu'un qui peut nous organiser une rencontre.

— Tu es en boucle, me fit-il remarquer. 

Sans doute, mais c'était ma seule piste. Alors il était hors de question que je la laisse aller. 

— C'est aussi possible que Kyros se soit trompé, continua-t-il. Tu as conscience de ça ? 

Bien sûr, il avait à nouveau raison et s'attira un regard noir de ma part. Nous restions dans le silence quelque minute, tandis qu'il sirotait son café en faisant les cents pas. Kyros nous avait fournit cette information, mais cela pourrait aussi être un plan élaboré de sa part

Voir un piège.

Cependant, Samael s'obstinait à m'affirmer que Kyros ne le trahirait pas de son plein gré. Car il lui "devait quelque chose" quoi que cela signifie.

— Alors on découvrira cela en temps et en heure, finis-je par rétorquer. 

— Tu es sûre de toi, hein ? 

— Oui.

Samael soupira.

— Et j'imagine que si je ne t'accompagne pas, tu iras sans moi ? 

— Oui. 

Il y eut un nouveau silence, encore plus long. 

— Je vais organiser... une rencontre comme tu le dis. D'accord ? Laisse moi juste... faire quelque chose.

— Il faut faire...

— Vite, oui je sais.

Samael cessa enfin de faire ses aller-retours. Il se planta devant moi, ses yeux d'un vert hypnotisant vissés au mien. Autour de nous, il y avait peu de passage, mais les quelques passants présents ne regardaient que lui. Je ne pouvais pas leur en vouloir.

Même exténué, Samael gardait cette aura si particulière. Comme s'il était en contrôle constant de la situation.

C'était, sans aucun doute, toujours le cas. Je ne sais pas quel genre de personne je serais si j'avais un pouvoir comme le sien. Je passerai mon temps à m'entrainer, avec un désir constant de devenir meilleure.

Au final, c'était un miracle que les mages n'aient pas pris contrôle de ce monde. Je me demandais ce qui les en empêchait, car ce n'était certainement pas un problème de puissance. 

— Tu vas rentrer chez toi, me dit-il.

— Samael, l'avertis-je d'un ton sec.

— Ta-ta-ta, m'interrompit-il. Laisse moi finir.

Il prit une profonde inspiration, un air de défi dans son regard. 

— Tu vas rentrer chez toi, recommença-t-il. Prendre une douche, parce que tu en as désespérément besoin. 

— Toi aussi, je te signale. 

— Seigneur Jade, est-ce que tu laisses les gens parler parfois ? 

Je le fusillais du regard. J'avais la terrible habitude d'interrompre mes interlocuteurs, c'était vrai. D'autant plus quand ils parlaient pour rien dire, comme Samael le faisait régulièrement. 

— Bref, continua-t-il. Prends soin de toi et moi je vais aller faire... Ma magie. Ok ? Fais moi confiance. 

— Tu vas nous trouver un rendez-vous ? 

— Je te promets que oui. Je vais faire tout mon possible, mais j'ai besoin que tu restes hors de mes pattes. Peux-tu faire ça ? 

Je ne répondis rien.

— Jade, peux-tu faire ça ? 

— Oui, marmonnais-je finalement. 

Un grand sourire éclaira son visage tandis qu'il se penchait pour claquer un baiser sur ma joue. Le contact fut soudain, mais la chaleur qu'il laissa sur ma peau était presque brûlante. Il me regarda, les yeux pétillants. 

— À demain ! s'exclama-t-il.

Et, une fois de plus, il disparut sans laisser de traces. 

Déchéance [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant