X - Nekfeu

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« J'dis qu'ça va mais là j'ment, j'ai juste envie d'dire lâche-moi »
- Écrire, Nekfeu


    Alexander arriva devant sa maison à dix heures tapante du matin – pas une minute de plus, pas une minute de moins. Il trouva ça amusant et il en fit la remarque à son meilleur-ami qui leva les yeux au ciel, blasé. Mais l'étudiant choisit d'en rire alors qu'il rentrait la clef à l'intérieur de la serrure pour ouvrir la porte.

    Sauf que la porte était déjà ouverte.

    Étrange.

    Il jeta un coup d'œil derrière lui et tomba dans le regard de Dory qui semblait tout aussi surpris que lui. Maintenant méfiant, Alexander ouvrit la porte d'entrée avec précaution. Il y avait deux raisons possibles à ce que celle-ci ne soit pas fermée à clefs. Scénario numéro un : au moins une personne était déjà levée et avait pensé à ouvrir la porte, ce qui aurait été fort étonnant dans la mesure où Marc et Sophia n'avaient pas dormi ici et ne devaient pas rentrer avant un moment,et que Raphaël et Neil se levaient rarement avant onze heure trente un dimanche matin. Scénario numéro deux : les garçons avaient oublié de fermer la porte. Le plus probable, malheureusement. Et le jeune homme n'était pas confiant quand à tout ce que cela pouvait impliquer.
    L'odeur qui l'assaillit dès qu'il pénétra à l'intérieur de la maison n'apaisa pas ses craintes : ça sentait la transpiration et la nourriture, l'alcool et le shit. Son meilleur-ami toujours derrière lui, Alexander avança jusqu'à ce qui avait un jour été le salon et se retint de justesse de faire un commentaire à haute voix devant le malheureux, l'affligeant, le misérable, le méprisable – il ne savait quel terme convenait le mieux – spectacle qui se jouait devant lui. A priori, nombre de convives avaient abusé sur la consommation de drogues. Et, également a priori, vu l'âge que paraissaient avoir les fauteurs de troubles qui squattaient la pièce, les invités devaient être ceux de Neil, et non ceux de Raphaël. Pas qu'il en ait douté un instant mais sait-on jamais.

    -Je ne savais pas qu'il devait y avoir une fête, fit prudemment remarquer Dory.
    -Et bien moi non plus,figures-toi. Viens, ordonna-t-il en esquissant une grimace de dégoût, essayons de trouver quelqu'un d'à peu près sobre ici. Du moins, si la chose est possible, ce qui est beaucoup moins certain, commenta Alexander en progressant dans la maison.
    -Commençons par l'étage. Ton mec a dormi ici, non ? Avec un peu de chance il ne s'est pas mêlé à la soirée.
    -Très bien. Tentons de trouver Raphaël, acquiesça l'étudiant en ignorant le qualificatif qu'avait employé Dory pour parler de l'adolescent.

    Les deux hommes montèrent à l'étage où une scène tout aussi pitoyable que celle du salon s'étalait sous leurs yeux.

    -Non mais c'était même pas une fête à ce stade, c'est carrément un putain de jour de l'an qu'a mal fini qu'a été organisé ici ! Si quelqu'un a dormi dans ma chambre je le..
    -Chuttt, l'interrompit son ami. Évitons de réveiller qui que ce soit, ça compliquerait nos affaires.
    -Je crois qu'à ce stade je m'en bas littéralement les couilles. Ça pu le vomi et la pisse.Je vis ici moi, merde !
    -Je comprends que tu puisses être énervé mais il faut que tu te calmes. On ne veut pas de quarante mecs potentiellement encore bourré et/ou encore soumis aux effets d'autres drogues inconnues contre nous. Il faut qu'on trouve..
    -Alex ?

    Les deux étudiants se retournèrent d'un même mouvement et firent face à un adolescent aux cheveux noirs et aux yeux marrons. Raphaël semblait plus que fatigué, on aurait dit que tout son être portait un poid immense et qu'il allait s'effondrer d'un moment à l'autre. C'était déroutant de le voir apparemment souffrir à un point inimaginable,en particulier lorsque vous l'aviez vu rire aux éclats moins de quarante-huit heures auparavant. Que diable s'était-il passé ?

    -Désolé, reprit le brun en ébouriffant ses cheveux, j'ai emprunté ta chambre. Et tes fringues aussi.
    -On va dire que je te pardonne pour cette fois. Dis-moi que tu es le seul à avoir été dans ma chambre.
    -Ouais, t'inquiète. Mais ton pote a raison, on devrait pas réveiller les crétins qui dorment sur l'sol, on sait jamais. Certains frappentplus forts et s'déplacent plus vite qu'on pourrait l'penser.

    Comprenant le messages, ils suivirent Raphaël jusque dans la chambre d'Alexander. Il faisait sombre et l'étudiant s'empressa de remonter le store de sa fenêtre pour y remédier, puis il s'assit sur son lit en invitant ses deux invités à faire de même mais Raphaël préféra rester debout.

    -Raphaël,Dory. Dory, Raphaël. Dory est le frère d'Océane, fit rapidement Alexander en guise de présentation.

    L'adolescent hocha la tête mais ne serra pas la main de son interlocuteur, laissant ses bras autour dans sa poitrine comme pour se protéger, et cette constatation désarçonna l'étudiant un court instant.

    -Il s'est passé quoi ?
    -Mon frère a voulu faire une « petite soirée ». Sauf qu'il a jamais bien compris l'expression « petite soirée ».
    -Je vois ça, ouais.
    -Ouais, les choses ont vite dégénéré, comme tu peux voir. Et, hum... J'avais pas spécialement envie d'prêter ma chambre alors, vers deux heures, deux heures-trente, j'm'suis enfermé dans la salle de bain en fermant la porte à clef.
    -Pourquoi est-ce que t'es pas juste resté enfermé dans ta chambre ?

    Raphaël grimaça, ça le rendit encore plus suspicieux.

    -Neil a l'alcool... plutôt mauvais. Très mauvais, en fait. J'm'suis dit qu'il valait mieux... disparaître.
    -Oui mais la salle de bain, sérieusement ?
    -Oui ba on fait c'qu'on peut avec c'qu'on a.
    -Et comment t'as atterri dans ma chambre, alors ?

    Alexander n'aurait pas pensé possible que le corps de Raphaël puisse exprimer encore plus clairement sa gêne que quelques secondes auparavant.

    -Neil m'a peut-être retrouvé au bout de deux ou trois heures et m'a peut-être obligé à sortir pour lui ouvrir la porte de ma chambre.
    -Peut-être ?
    -N'en rajoutes pas une couche, marmonna l'adolescent, c'est assez humiliant comme ça.

    Il y eut un silence pendant lequel personne ne parla avant que Raphaël ne reprenne.

    -Bref. Tu avais laissé ta clef sur la porte de ta chambre et j'l'avais fermé bien avant qu'la soirée commence en f'sant croire que c'était toi qu'avait la clef, histoire qu'ta chambre se r'trouve pas envahit comme la mienne. Et, du coup, j'en ai un peu profité. J'étais grave fatigué et j'voulais dormir, se justifia-t-il.
    -C'est rien, Raph, je comprend, t'avais de très bonnes raisons. Merci de n'avoir laissé personne d'autre entrer.

    Alexander voulut toucher l'épaule du lycéen qui avait fini par s'asseoir sur le lit mais celui-ci se releva alors brusquement,l'évitant de justesse. L'étudiant le regarda un haussant un sourcil mais l'autre fuyait son regard. Il était vraiment bizarre aujourd'hui, au moins aussi bizarre que le récit de la soirée qu'il leur avait fait, et Alexander sentait que son cerveau pas tout a faitremis du jour de l'an ne parvenait pas à assembler toutes les pièces qu'il avait entre les mains. Son attention fut alors détournée par Dory qui lui glissa quelques mots à l'oreille. Son sang se glaça dans ses veines alors que son meilleur-ami partageait avec lui ses observations et théories sur l'état actuel de Raphaël. Putain,mais comment il s'y était prit pour ne pas y penser plus tôt ? Sur sa vie, si son complice avait vu juste, il allait buter quelqu'un.

    -Raph, fit-il en se levant du lit, quel moyen, au juste, à utiliser ton frère pour te convaincre de lui prêter ta chambre ?

    Plus il se rapprochait de l'adolescent et plus il pouvait voir l'angoisse qu'éprouvait Raphaël monter en lui. Alexander le saisit par le poignet et, malencontreusement, croisa son regard. Il relâcha aussitôt sa prise.
    Terrifié,Raphaël était juste totalement terrifié. Il paraissait désorienté,effrayé et même un peu honteux et Alexander se demanda s'il ne tremblait pas. Il paraissait tellement vulnérable à cet instant que l'étudiant voulait juste le prendre dans ses bras et le serrer fort contre lui.

    -Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda-t-il plus bas dans un souci d'intimité il sedoutait que la présence de Dory n'aidait pas le fils de Sophia à se sentir en confiance.
    -Rien, lui répondit l'adolescent dans un murmure.

    Ses bras étaient toujours croisés sur sa poitrine et Alexander se demanda si ce qu'il avait prit pour un réflexe de protection servait en fait à cacher quelque chose. Ou peut-être que c'était les deux en même temps. Quoiqu'il en soit, il saisit avec douceur les mains de Raphaël et les écarta fermement de son torse. L'adolescent ne dit rien maisrefusait toujours d'établir un contacte visuel entre eux. Continuantsur sa lancée, Alexander saisit les pans du t-shirt que lui avait emprunté le lycéen et hésita un court instant avant de le lever légèrement ; il devait être sûr.
    Il laissa retomber le vêtement et croisa enfin le regard de Raphaël. Ils restèrent ainsi un long moment, les yeux dans les yeux, se demandant respectivement ce qui devait se passer ensuite.
    Alexander était très incertain quand à la démarche à suivre.Devait-il lui poser des questions ou faire comme si de rien n'était ? Devait-il réconforter l'adolescent au risque que celui-ci le prenne mal et le rejette ? Devait-il le dire aux parents, surtout ? Parce qu'après tout, ce n'était pas lui que cette histoire concernait. Et est-ce que c'était la première fois ? Peu probable,au vu de la réaction du lycéen : il s'était littéralement enfermé dans la salle de bain pour se protéger. Mais rien n'était sûr et, dans cette situation, l'étudiant ne pouvait pas se permettre de se baser seulement sur des suppositions, aussi éclairées soient-elles.
    Finalement, le plus vieuxrecula et revint s'asseoir sur le lit. Il réglerait cette affaire plus tard, quand Dory et toutes les personnes bourrées qui squattaient la maison seraient partis. D'ici là, il ne dirait rien.

    -Bon, il faut ranger cette maison. Dory...
    -Je vais vous aider.
    -Merci, mec, et désolé.
    -C'est rien, t'inquiète. Mais, eeeeh... vous avez une idée pour virer tout le monde d'ici ?
    -Bien-sûr, c'est très simple, assura Alexander. On va réveiller Neil et il va faire ça pour nous.

    Raphaël ne put s'empêcher d'éclater de rire à ses paroles. Réveiller son frère constituait déjà à lui seul un sacré exploit, mais alors le forcer à se lever et à virer tous ses potes bourrés et défoncés de la maison ? L'adolescent pouvait affirmer que c'était, au mieux, impossible, au pire, suicidaire. Nul doute que si c'était lui qui s'y collait, il s'agirait plutôt de la deuxième option.

    -Bon, je sais que c'est pas le meilleur plan qu'il est jamais pondu, intervint le dénommé Dory en pointant Alex du doigt, mais de là à rire jusqu'aux larmes presque...
    -Non mais c'est juste... vous connaissez pas mon frère. Ce plan marchera genre jamais, wesh.
    -Et pourquoi pas ? Moi je suis assez optimiste, déclara l'étudiant avec enthousiasme.
    -Tu l'es même un peu trop là, mec.
    -J'écoute pas les rageux, affirma Alex en se relevant. Il est dans ta chambre, c'est ça ?
    -Ne fais pas ça, l'avertit Raphaël.
    -T'inquiète, je gère.
    -C'est bien ce qui me fait peur, soupira Dory.

    Alexander ne prit même pas la peine de répondre, il leva seulement les yeux au ciel puis quitta la chambre. Dory sortit à sa suite, soupirant et haussant les épaules et, après un instant d'hésitation, Raphaël les suivit. « C'est de la folie », marmonna le jeune homme, maisles deux autres firent mine de ne pas l'avoir entendu. Sales cons.
    L'étudiant ouvrit la porte de sa chambre à la volé et alluma la lumière en s'écriant :

    -Debout là-dedans ! Puis il se mit à chantonner. Il est l'heure de se réveiller, encore une belle journée, et la maison à ranger !

    Il se rendit jusqu'à la fenêtre et remonta le store, laissant le soleil envahir la pièce sous les grognements des deux personnes allongées dans le lit et des deux autres qui dormaient à même le sol.

    -Qu'est-ce tu fous ? demanda Neil dans un français difficilement compréhensible.
    -J'ai dis debout, Ledieu ! Ne me fais pas me répéter encore une fois. Je ne plaisante pas,crétin, fit-il en le voyant se réfugier sous la couverture. La maison est sans-dessus, dessous, il faut la ranger. Allez, lève-toi ou j'appelle directe mon oncle pour lui dire que t'as défoncé sa baraque.
    -M'en bas les couilles, trouffion.
    -Bon, on va faire autrement alors.

    Alexander saisit la couette sous les protestation des deux dormeurs et l'envoya valser un peu plus loin. Suite à quoi il fit rouler Neil hors du lit à l'aide d'une technique de self-défense etde beaucoup de pratique. Celui-ci jura quand son dos vint taper contre le sol et il se releva si précipitamment qu'il tomba de nouveau, faisant rire ses deux copains que le bruit avait finit par réveiller. Quant à la fille avec qui il avait dormi, elle se releva, ses petits yeux fatigués parcourant la chambre, sûrement à la recherche des vêtements que son amant lui avait enlevé la veille. Sa nudité ne gêna aucunement Alexander qui reprit :

    -Tu vas commencer par virer tout le monde. Sans aucune exception, TOUT LE MONDE. Une fois débarrassé de ce handicap, nous allons pouvoir évaluer les dégâts infligés à cette pauvre maison qui sont, je n'en doutes pas, colossales. Il va falloir qu'on range tout, et quand je dis tout c'est vraiment tout. Ensuite,on passera un coup de balaie et, enfin, on fera les sols. Ah, et on va ouvrir les fenêtres aussi parce que ça pue la mort et pas qu'un peu.

    Neil l'observait comme s'il était un extraterrestre vraiment très moche qui ne parlait pas la même langue que lui. Ce constat l'agaça un peu plus encore et Alexander soupira en fronçant les sourcils, signe de contrariété. Cette histoire commençait à sérieusement l'énerver.

    -Tu entends ce que je te dis ?
    -Bordel mais t'es qui toi ?
    -Tu m'fatigues. T'as dix minutes pour te lever, t'habiller et me rejoindre dans le salon. Dix minutes, pas une de plus. Si tu n'es pas prêt à ce moment là... et bien mon oncle apprécie moyen qu'on foute sa maison en bordel et il peut s'énerver plus vite qu'on ne le croit. Et en plus tu devras ranger tout seul.

     Alexander sortit de la chambre sans rien ajouter de plus, entraînant ses deux compagnons à sa suite. Bon, la première partie de son plan s'était bien passée.

    -Ma chambre, ils ont saccagé ma chambre. Ils ont vomi sur un d'mes coussins et ça sentait l'shit et la tease à domph ! Encore le shit, j'veux bien,mais l'alcool, putain ! Et ils ont dormi sur mes fringues, bordel, mes fringues ! Ça veut dire qu'il ont fouillé dans mon armoire en plus...
    -Désolé pour toi.
    -Je le déteste.

    Alexander se tourna légèrement pour jeter un regard au fils de Sophia. Celui-ci avait de nouveau passé ses mains autour de son torse, semblant bouder, et ça fit repenser à l'étudiant à ce qu'il avait vu dans sa chambre un peu plus tôt, si bien qu'il dû se retenir de serrer les poings. La présence des marques sur ses côtes ne lui plaisaient pas. C'était bleuis et pas qu'un peu ; il avait prit des méchants coups. Par son frère ou à cause de son frère, la nuance n'était pas très importante ici car le résultat était le même : le garçon avait eu peur de le laisser lui toucher l'épaule. Alexander n'avait même pu s'approcher sans qu'il ne se mette à trembler, bon sang ! Ce n'était pas normal.

    -Dis, Raphaël, ton frère fait souvent ce genre de soirée ?
    -Ça dépend des périodes. Dites, vous croyez que l'un d'entre eux est mort ? questionna l'adolescent en désignant la bande d'asticots qui dormait dans le salon.
    -Et bien, répondit Dory, statistiquement, c'est tout à fait possible mais je ne penses pas.
    -Ne nous prenons pas la tête là-dessus, on verra bien qui se réveille ou pas.
    -T'es beaucoup trop calme.
    -Oh, il n'est pas calme du tout. En fait, il est très énervé et la nonchalance dont il fait preuve sert à le cacher.

    Alexander jeta une regard assassin à son meilleur-ami avant de s'absorber dans l'évaluation des dégâts du salon. S'il devait être honnête, il dirait qu'il s'attendait à pire. La télé était toujours en un seul morceau, tout comme l'ensemble des meubles. Le canapé semblait avoir souffert d'un petit vomis mais rien de plus. Le sol avait besoin d'être récuré de fond en comble et la pièce aérée mais c'était un peu près tout. Rien de compliqué, rien d'infaisable. Il avait peut-être un peu surréagi en rentrant dans la maison.
    Neil arriva alors dans le salon, un air profondément énervé peint sur son visage. Il était vêtu d'un simple pantalon, laissant son torse nu où un pendentif en forme de croix se relevait et s'abaissait au rythme de sa respiration. Ses yeux bleus délavés semblaient lancer des éclaires et son habituel sourire avait disparu de son visage. Alexander le détailla rapidement du regard et songea que son demi-frère n'était pas si moche, tout compte fait. Alors, certes, il avait certainement besoin de reprendre une activité physique et une douche ne lui ferait pas de mal, mais, sans son rictus cruel, il n'était pas moche. En fait, pour être tout à fait honnête, Alexander le trouvait presque... beau. Oui, c'était cela, beau. Comme Raphaël.
    Alexander arrivait pour la première fois à trouver la ressemblance entre les deux frère et cela le perturba beaucoup. Alors, assurément, les traits de l'aîné étaient plus matures, son corps d'avantage développé, mais il retrouvait en lui ce qui l'avait séduit chez son frère : ses cheveux bouclés, bien que plus claire chez l'aîné, le teint légèrement tanné, les longs cils, les lèvres pulpeuses et abîmées. Oui, Neil était beau, même s'il lui coûtait de le reconnaître.
    L'étudiant reprit contenance et se força à adopter un visage neutre.

    -Tu as finit par recouvrer l'usage de tes jambes ? prononça-t-il sarcastiquement.
    -Va t'faire, cracha presque le jeune homme.
    -Vire-moi tout ce beau monde, tu veux ?

    La question était rhétorique et Neil choisit de ne pas y répondre. À la place de quoi il se mit à fixer son frère dans les yeux, cherchant à l'effrayer par simple plaisir d'une démonstration de pouvoir qui était devenu courante pour lui. Cela sembla fonctionner puisque l'adolescent se tassa sur lui-même, cherchant à se faire le plus petit possible. Alexander, lui, eut juste un peu plus envie de lui mettre son poing dans la figure.

    -Alors, ça vient ? le pressa l'étudiant, de plus en plus impatient et tendu.

    Neil rompit le contact visuel avec Raphaël et regarda brièvement son demi-frère avant de se mettre au travail en soufflant. Il grimpa sur la table sous le regard désapprobateur d'Alexander qui s'abstint néanmoins de tout commentaires, et se mit à crier.
    Les gens émergèrent, râlant,grognant, s'énervant contre ce réveil intempestif et tout sauf agréable. Mais, apparemment, Neil se fichait éperdument qu'ils soient fatigués, qu'ils aient la gueule de bois ou que savait-il encore, parce qu'il continua de leur ordonner de bouger. Et ce n'était certainement pas Alexander, Dory ou Raphaël qui demanderaient au brun de cesser de les presser de la sorte. Pour eux, plus vite la foule serait partie et plus vites ils seraient tranquilles.
    En attendant que tous les squatteurs ne repartent, les trois garçons s'installèrent dans la cuisine pour prendre un petit déjeuner bien mérité.

    -Vous avez passé une bonne soirée ? leur demanda Raphaël pour entamer la discussion.
    -Bof, une soirée de lendemain de jour de l'an, quoi. On avait rien fait de la journée et on a rien fait non plus de notre soirée. Mais c'était cool, on s'est reposé. En revanche, je te demande pas comment s'est passé la tienne, hein ?
    -Vaut mieux pas, non, grimaça le lycéen. D'toute façon y a pas grand chose à dire, c'était juste une soirée bien chiante.
    -C'est bien ce que j'avais cru comprendre.
    -Eh, au fait, Raph ?
    -Hum ?
    -Tu t'entends bien avec ma sœur ?J'arrive pas à saisir si elle te déteste ou si elle t'adore.
    -Océane ? Ouais, plutôt. J'irais pas jusqu'à dire qu'on est meilleurs-amis mais on traîne ensemble quoi.
    -Et comment elle est au lycée ?
    -Super reloue, wesh. Mais elle rigole bien. 'Fin elle est cool, quoi.
    -Elle est toujours à fond sur le féminisme et tout ? questionna Alexander en mordant dans sa biscotte.
    -Mais ouais, putain, elle en parle H24 ! Genre : la femme est l'égale de l'homme et blablabla. Mais j'dois t'avouer qu'j'l'écoutes pas trop. Et chuis pas l'seul d'ailleurs.
    -Et ça va ? les gens l'insultent pas trop pour ça ? questionna Dory, et Raphaël comprit enfin où il voulait en venir.
    -Non, ça va. Y a pas mal de gens qu'évitent de traîner avec elle parce qu'ils trouvent ça chiant mais elle s'fait pas trop emmerder par contre.
    -Et l'homophobie ? Ça aussi elle en parle toujours autant ?
    -Un peu. Mais moins, on évite d'en parler au lycée, c'est encore moins bien vu qu'les délires féministes là, alors même Océane préfère fermer sa gueule sur c'sujet, expliqua-t-il.
    -Et c'est très bien comme ça, intervint Neil en arrivant dans la cuisine. Les tapettes méritent pas qu'on parle d'eux.
    -Je vois que vous êtes du genre tolérant dans la famille, releva ironiquement Alex.

    Raphaël aurait voulu lui dire qu'il était différent, que cette manière de penser n'était pas la sienne, mais la présence de son frère fit que les mots restèrent coincés dans sa gorge.

    -Et moi j'vois qu'vous êtes du côté des pédés dans la votre, cracha l'homme.
    -Ouais, grave. On est plutôt du genre tolérant, nous.
    -C'est parce que t'es un des leurs, c'est ça ?
    -J'ai l'impression qu'il parle d'une secte, fit remarquer Dory à son meilleur-ami. Il prit un air conspirateur. Tu fais partie des hommes qui mettent des talons et s'habillent en rose pailleté en se déhanchant sur Brittney Spears, hein, pas vrai ?

    Alexander ricana à la raillerie ; Neil beaucoup moins. Et comme ce n'était pas le moment pour un débat idéologique, l'étudiant recentra le propos :

    -Bon, cette conversation est... forte intéressante, dirons-nous, mais nous avons plus important à faire. Pour commencer, je vous propose qu'on ramasse toutes les bouteilles – vides ou pleines – et toutes les diverses ordures qui traînent dans le salon. Ensuite, il va falloir qu'on passe un bon coup de balaie et on finira par nettoyer le sol. Idem pour l'étage. Tout le monde est d'accord ? Personne ne lui répondit. Je prend ça pour un oui. Allez, au boulot !

    Aussitôt dit,aussitôt fait, les quatre garçons s'empressèrent de se mettre au travail, même Neil, bien qu'il affichait ouvertement son mécontentement – sans doute ne crachait-il pas sur des bras supplémentaires pour ranger le bordel qu'il avait foutu. Ils sortirent de grands sacs poubelles et s'activèrent dans le salon.
    Les paquets de chips vides ainsi que toutes les bouteilles et les verres encore pleins furent ramassés et jetés, vidés et lavés en un peu moins d'une demi-heure. Alexander se saisit ensuite de deux balaies qu'il donna aux deux frères en leur ordonnant de ne laisser aucunes poussières dans le salon. Pendant ce temps, Dory et lui se chargeaient de mettre le lave-vaisselle en route et de nettoyer latable et le plan de travail de la cuisine. Encore une fois, ce travail ne prit pas plus d'une demi-heure et, lorsque Neil et Raphaël revinrent dans la cuisine, les deux étudiants récupérèrent leurs balaies en échange d'une serpillière et d'un seaux remplie d'eau et de javel. Ainsi, la cuisine fut balayé et le salon décrassé.
    Le temps passa rapidement sans qu'Alexander ne le voit s'écouler. C'est en se rendant compte que sa montre affichait maintenant quatorze heure que l'étudiant prit conscience qu'un moment s'était écoulé depuis qu'il avait été réveillé Neil,presque quatre heures, pour être précis. Il soupira et s'adossa à un mur.

    -Qu'est-ce qu'il y a ?
    -Je fais une pause.

    Raphaël, qui était son partenaire du moment, s'adossa à ses côtés.

    -Il nous reste quoi à ranger ?
    -Pas grand chose. La salle de bain, dit-il en désignant la pièce dans laquelle il se trouvait, et ta chambre.
    -J'ai faim.
    -Je sais, moi aussi. C'est pour ça que Dory et Neil font à manger.
    -Tu crois qu'ils en ont pour longtemps ?
    -J'en sais rien, Raph, soupira Alexander, irrité.

    L'étudiant se rendit immédiatement compte que la façon dont il avait parlé à l'adolescent l'avait surprit et quelque peu blessé car ces deux émotions transparaissaient sur son visage. Raphaël s'éloigna de lui, recommençant à nettoyer la salle de bain en silence, et Alexander soupira, sentant déjà la culpabilité s'infiltrer sans ses veine. Il n'avait vraiment pas été cool. Désireux de faire oublier son brusque sursaut d'irritation, l'étudiant s'approcha de l'adolescent et se positionna dans son dos, passant son bras autour de sa taille et posant sa tête sur son épaule. Raphaël se tendit immédiatement à ce contact et tenta de se dégager. Sa respiration s'accéléra brusquement et Alexander fut tellement surprit par cette réaction qu'il mit quelques instants à comprendre que l'adolescent était entrain de paniquer.

    -Du calme, Raph. Tout va bien, d'accord ?
    -S'il te plaît, Alex, lâche-moi.

    L'étudiant desserra alors son étreinte et se recula un peu, lui laissant le choix de mettre complètement fin ou non à leur contact, et cela sembla immédiatement rassurer Raphaël qui se remit à respirer normalement.

    -Je suis désolé de t'avoir mal parlé, reprit Alexander en le fixant dans les yeux à travers la glace. Je suis juste un peu sous pression en ce moment, et... Il soupira à nouveau. Je dis parfois des choses que je regrette.
    -C'est rien.

    Le reflet d'Alex observa celui de Raphaël dans la glace et l'étudiant se colla une nouvelle fois à lui, reposant sa tête sur son épaule sans rompre leur contacte visuel. Et si l'adolescent se tendit à nouveau, il ne se dégagea pas pour autant. Il se sentait plus en confiance, plus serin. Il savait que l'étudiant ne lui ferait aucun mal et que, s'il voulait partir, il le laisserait faire.

    -Ne dis pas que c'est rien.
    -C'est juste une phrase.
    -Oui, mais si cette phrase t'a blessé alors ce n'est pas rien. Je t'ai mal parlé sans aucune raison et ce n'est pas rien non plus. Alors, que tu le prennes mal ou pas, je me serais excusé de toute façon. Ça s'appelle le respect.

    Raphaël baissa la tête pour qu'Alex voit que ses mots l'avaient touché. Il n'y avait pourtant aucune raison à ce qu'il réagisse d'une manière aussi excessive mais il était fatigué, physiquement et émotionnellement, et la gentillesse de d'Alex contrastait tellement avec la violence dont son frère avait fait preuve hier soir...C'était agréablement douloureux, la manière dont le traitait le neveu de Marc.
Soudain, Alex le retourna doucement pour le mettre face à lui, plantant son regard dans le sien.

    -Que s'est-il passé hier soir, Raph ?
    -De quoi tu parles ?
    -Tu as pris des coups, n'essaye pas de le nier, je l'ai vu. Et j'aimerais savoir pourquoi. C'était ton frère ?

     Raphaël ne répondit pas mais tressaillit et cela suffit à le trahir aux yeux d'Alex.

    -C'est pas normal, tu sais ?
    -Bien-sûr qu'j'le sais ! s'énerva un peu le garçon. Ch'uis pas débile non plus. C'était la première fois, se sentit-il obligé de préciser. Neil est toujours un peu violent quand il est bourré mais c'était la première fois qu'il m'frappait.
    -Est-ce qu'il était seul ?

    Est-ce qu'il était seul ? C'était une bonne question. Sûrement pas, non. Les amis de son frère étaient toujours partant pour se servir de lui comme d'un punching-ball, mais il ne se souvenait pas vraiment de qui l'avait frappé : quand Neil lui avait donné le premier coup, il avait presque aussitôt fermé les yeux pour ne pas voir la suite.

    -Oui.
    -Tu es sûr ? Alex ne le croyait pas et ça se voyait.
    -Enfin... j'crois. Je m'souviens plus trop à vrai dire, marmonna l'adolescent.

    Alex posa son front contre le sien en soupirant et Raphaël dû se retenir de fermer les yeux.

    -Promets-moi d'rien dire.
    -Je peux pas faire ça, Raph. Ce qui s'est passé... Ce n'est pas rien, c'est pas d'anodin. Et s'il recommençait ?
    -Ça arrivera plus, j'te l'jure.
    -Raph...
    -J'te l'jure ! Dis rien, s'te plaît. C'est déjà suffisamment humiliant comme ça pour moi. Raphaël devait vraiment avoir l'air désespéré parce qu'Alex accepta finalement d'un hochement de tête. Merci, souffla le garçon, et il ferma les yeux, fatigué.
    -Est-ce que je peux t'embrasser, Raph ? Le lycéen sourit mais garda les paupières closes.
    -Bien-sûr que tu peux.

    Alors l'étudiant décolla son front du sien et lui releva le menton. L'adolescent rouvrit les yeux, surprit, et tomba immédiatement dans ceux de son interlocuteur.

    -Je préfère quand tu me regardes, souffla celui-ci avant de poser tout doucement ses lèvre sur les siennes, faisant louper un ou deux battements à son pauvre cœur.

    Le baiser était tranquille, rien à voir avec ce qu'ils avaient pu échanger dernièrement. Il n'y avait ici aucune intention sexuelle comme les autres fois, ils s'embrassaient seulement par plaisir d'embrasser. Et c'était agréable.
    Lorsqu'ils se séparèrent,Raphaël se réfugia dans les bras d'Alexander qui l'accueillit sans se poser de question. Il sentit l'étudiant lui caresser le cuire chevelu, allant même jusqu'à embrasser son crane. Et c'était bien, il était bien.

    -Et si tu dormais avec moi ce soir ?
    -Seulement si mon frère risque pas d's'en rendre compte.
    -D'accord. Alors faisons en sorte qu'il se barre d'ici, j'ai vraiment envie qu'on reste ensemble cette nuit.
    -Moi aussi.

    Alex l'embrassa à nouveau, passant délicatement sa langue dans sa bouche et ses mains dans ses cheveux. Raphaël en voulait encore et encore, jusqu'à se fondre en lui. Mais l'air lui manqua rapidement et Neil pouvait arriver à tout moment alors, doucement, il se décolla. Alex essuya un filet de bave sur son menton, le faisant rougir.

    -Je ferais plus attention, la prochaine fois.
    -Parce qu'il y aura une prochaine fois ? sourit l'adolescent.
    -Oh oui. Enfin, si tu le veux, bien-sûr. Mais je ne crois pas que la question se pose.
    -Pas vraiment, non.
    -Tant mieux. On devrait descendre maintenant, histoire de s'assurer que ton frère et Dory ne sont pas entre-tuer.
    -Dommage...

    L'étudiant rit doucement et l'embrassa une dernière fois, juste avant de sortir de la salle de bain. Et Raphaël soupira de dépit en le suivant.
    Quand ils arrivèrent dans la cuisine, Neil et Dory étaient entrain de se disputer. Enfin, « disputer » n'était pas le mot exacte :Neil semblait s'énerver un peu plus à chaque seconde qui passait, tandis que Dory lui répondait calmement, adoptant un comportement froid qui traduisait son agacement grandissant. Et, en voyant cette situation, Alexander se dit qu'il avait vraiment eu du flaire en proposant de descendre car, aussi drôle que soit la scène, il savait à présent de quoi son demi-frère était capable et il ne voulait pas, sous aucun prétexte, que son meilleur-ami ne prenne ne serais-ce qu'un coup.

    -Allez, les enfants, on se calme. Vous ne pensez pas qu'on a passé l'âge pour ce genre de gamineries ?
    -Mais d'quoi tu t'mêle toi, bordel?!
    -Suffit. Vous pouvez bien vous supporter pendant deux petites heures. Non ? Dory haussa les épaules, Neil ne répondit pas. Je prends ça pour un oui. Où en est la cuisson des pâtes ?
    -C'est prêt, répondit son meilleur-ami en sortant l'égoutte nouille.
   -Je vais mettre la table, dans ce cas.

    Ils mangèrent tous les quatre dans un silence de mort. Neil regardait tout le monde en chien de faïence, guettant leurs moindres faits et gestes, rêvant sans doute de leur infliger une gifle à tous mais Alexander était prêt à parier que Raphaël serait le seul qui finirait par la recevoir. Et lui aussi devait s'en douter puisqu'il affichait une mine mi-angoissé, mi-résigné. Quand à Dory, son visage ennuyé arrivait presque à cacher le profond agacement qu'il ressentait. Presque. Et le tout donnait réellement quelque chose de déplaisant, un repas pénible auquel l'étudiant aurait aimé pouvoir se soustraire.

    -Quand est-ce que tu repars, Neil?

    La question avait été prononcé avec un calme plat mais tous attendaient impatiemment la réponse.

    -En quoi ça t'regarde ?
    -Arrange toi pour disparaître pendant une semaine et je dis à mon oncle que c'est moi qui ait cassé la boite à bijoux de sa grand-mère.
    -J'vois pas l'rapport, putain !
    -Elle était intacte avant ta petite soirée. D'ailleurs, si tu acceptes de partir, ça aussi, je le tien sous silence. J'en peux plus de te voir, j'ai besoin d'une semaine là.

    C'était un coup de bluff. Marc n'avait jamais possédé de boite à bijoux héritée de sa grand-mère et, quoi que décide son demi-frère, il dirait tout de la soirée au propriétaire de la maison, il s'arrangerait seulement pour que celui-ci garde le silence sur cet événement. Il était prêt à tout pour que ce connard se tienne hors de sa vue pour les sept prochain jours.

    -Sale fils de pute!
    -Oui, oui, si ça t'amuse, répondit Alex avec un geste vague de la main. Alors, qu'est-ce que tu décides?
    -J'm'en fou d'c'que tu peux dire à ton oncle et de c'qu'il peut faire ! Il peut pas m'punir d'toute façon !
    -Non, mais il peut te virer de chez lui.
    -Ma mère f'ra jamais ça !
    -Oh, je n'en doute pas une seule seconde, effectivement. Seulement voilà, la maison appartient à mon oncle, et non à ta mère. Neil ne répondit pas. Je vois que tu commences à comprendre.
    -Va t'faire foute !
    -Alors, c'est oui ?

    Le silence et l'expression enragé de Neil était une réponse en sois alors Alexander se détendit soudainement. Neil avait accepté, il s'était enfin débarrassé de lui. Même si ce n'était que temporaire et qu'il reviendrait, ils en étaient débarrassés pour un moment. Et c'était toujours mieux que rien.
    Il détourna son regard pour le plonger dans celui de Raphaël et lui fit un clin d'œil. Le jeune homme baissa la tête mais Alexander eut le temps devoir un sourire s'étaler sur son visage. Et rien que ça, ça valait tout l'or du monde.

Le temps qu'il fautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant