« Madame Lawless ? »
Je tourne la tête au son de cette voix qui m'appelle, et je cesse de fixer le mur devant moi.
Mon psychologue me fixait en haussant les sourcils.
« Je trouve que ça vous arrive souvent, vous savez?
— Quoi ? » demandais-je, curieuse.
« D'être ailleurs pendant nos séances », s'explique l'homme aux cheveux rares, « j'ai l'impression d'être seul à nos séances, vous êtes rarement avec moi. Vous fixez le plafond, le mur, la bibliothèque. À quoi pensez-vous dans ces moments-là pour que cela occupe tant vos pensées ?
— Je ne suis pas sûre que cela soit d'un quelconque intérêt, Docteur », répondis-je d'une voix neutre.
Son cabinet est des plus simples, mais je l'aime bien, car tout est bien ordonné. Rien ne dépasse, même les stylos sont méticuleusement alignés sur son bureau. J'aimerais savoir s'il consulte lui aussi. Je me demande ce que contient l'armoire contre le mur. À part des dossiers, y a-t-il un système vidéo pour qu'il regarde ses patients allongés sur cette banquette ? À-t-il une arme dans cette armoire, ou dans le tiroir de son bureau ? Le coupe-papier est esthétique et, bien utilisé, sera mortel, mais encore faut-il avoir le courage de poignarder quelqu'un. Un homme diplômé comme lui préfèrera une arme de poing, c'est toujours mieux de tuer à distance, c'est moins intime, ça demande un minimum de courage... ou de folie. Quoi que, sentir une arme dans sa main confère aussi un sentiment de puissance. Il faudrait consulter là-dessus.
La décoration est sobre. Mon précédent psychologue avait des tableaux au mur. Cela m'énervait car je ne comprenais pas. Les formes étaient censées signifier quelque chose, mais je ne voyais pas ce qu'il voulait que j'y vois. Des tests de Rorschach qu'il appelait ça. Je crois qu'il a cherché à me vexer. J'aurais eu des émotions, je l'aurais peut-être mal pris mais, dans le doute et cherchant à améliorer mon aptitude aux relations sociales, je lui ai éclaté la tête avec ses tableaux de Rorschach. Il avait un sérieux problème celui-là. C'est lui qui aurait dû être allongé à ma place. Bon, c'est vrai que l'on ne m'a pas forcée, je suis venue de mon plein gré c'est juste que je ne sais pas quoi faire, j'ai bien compris qu'il ne me poserait pas de question, que c'est à moi de parler. Là, on risque de tourner en rond tous les deux. Chez ce nouveau psychologue, la décoration est moins complexe. Un simple tableau représentant un ponton en bois s'avançant dans la mer. J'attends juste qu'il me demande ce que j'y vois, pour que je lui en colle une. Je ne paye pas pour discuter de sa décoration. Par contre, je lui demanderais de déplacer sa banquette. Quelle idée de me placer dos à la porte et aux fenêtres, franchement ce n'est pas brillant.
Je n'ai toujours pas répondu, me contentant de le fixer alors qu'il griffonne des notes sur son carnet, et qu'il jette un coup d'œil à son horloge.
« Je vois », souffle-t-il en croisant les jambes avant de reprendre, « alors, et si l'on parlait de vous aujourd'hui ? »
Je soupire.
Il esquisse un faible sourire.
« Madame Lawless, il faut que vous compreniez que je ne suis pas votre ennemi, vous êtes venu me voir en me demandant de vous aider. Mais comment puis-je seulement essayer de vous aider si vous ne dîtes rien ? Vous m'avez simplement expliqué à notre première rencontre que vous exerciez un métier à risque, c'est la seule information que j'ai. Tenez, parlez-moi de votre enfance.
Il me fixe avec insistance, je décide alors de laisser tomber.
« Très bien », fis-je.
Je commençais par lui raconter que j'avais été abandonnée par mes parents dans une institutions où l'on avait tenté de m'agresser et où j'avais dû me défendre, violemment. Très violemment. Dénuée de toute émotion, je relatais mes actions sanglantes devant un psychologue dont je voyais la main trembler alors qu'il prenait des notes, et son visage trahissait la répulsion qu'il éprouvait. Il attendit un moment avant d'éclaircir sa voix et de chercher à en savoir plus.
« Pouvez-vous me parler de votre maladie ? »
Je laissais échapper un ricanement malaisant.
« Enfant, j'ai été diagnostiqué comme souffrant d'un syndrôme dissociatif de dépersonnalisation associé à une légère analgognosie.
— Parlez-m'en, de ce syndrôme.
— Vous n'êtes pas supposé avoir une base en médecine ?
— Ce que je veux c'est que vous me dites, c'est comment cette maladie vous affecte, Tessa ?
— Je suis complètement détachée de mes émotions, de ce qui m'entoure et je ne ressens que faiblement les stimulis sensoriels. En clair, je ne ressens rien et peu la douleur », récitais-je d'une voix monocorde, comme un texte appris par cœur.
« En souffrez-vous ?
— Je n'ai pas mal, je n'ai jamais mal.
— Et dans la vie de tous les jours, comment le gérez-vous ? Qu'est-ce qui vous fait le plus souffrir des deux syndrômes ?
— Je dois faire attention à tout. Je dois sans arrêt vérifier que je ne suis pas blessée, que je ne me suis rien cassé. Vous ne pouvez même pas imaginer ce que c'est. Par exemple, je trébuche et en tombant je me casse un bras, tant que je n'en aurais pas besoin pour ouvrir une porte par exemple, je continue d'avancer. Ça fait son effet quand vous arrivez à une soirée, je vous le garantis. Mais soyons réaliste, je ne suis pas en verre, je ne me casse pas un os toutes les cinq minutes. J'ai les mêmes capacités physiques que tout le monde, je marche, je courre, je monte des escaliers. Je me casse une jambe en tombant dans des escaliers, je vais m'en rendre compte, la différence c'est que je ne le sentirais pas, pas plus que je paniquerai en voyant l'état de ma jambe. J'ai conscience que mon manque d'émotion est le pire, je suis inadaptée socialement.
— Est-ce que vous en voulez à vos parents de vous avoir placée en institution ?
— Non, bien sûr que non, je comprends que cela devait être compliqué de m'élever. S'ils l'ont fait, c'est pour moi, pour me donner une chance.
— À quoi, Tessa ?
— L'espérance de vie des personnes comme moi est assez courte, sans suivi médical.
— Vous vous pensez condamnée ?
— Je me sais condamnée, Docteur. »
La minuterie posée sur son bureau sonne, annonçant la fin de la séance. Je me redresse et pivote pour poser les pieds à terre.
« C'est la fin de la séance, Docteur », dis-je en me levant.
« Une dernière question, si vous le voulez bien. Qu'est-ce que ce syndrôme vous apporte au quotidien ? »
Décrochant ma veste en cuir de la patère et me la passant sur le dos, je me retourne, le regardant de mes yeux inexpressifs.
« Je ne connais pas la peur. »
Je sortais du bureau, me demandant si je ne devais pas l'éliminer. Il ne me servait à rien. De m'être confié ne m'avait rien fait. Comment se sentir mieux après une thérapie quand on ne ressent rien ? Je ne me sentais pas différente, pas de poids enlevé de mes épaules, pas de cœur léger non plus. J'étais comme toujours, moi-même. Je décidais de poursuivre, jusqu'à la séance suivante, juste pour voir.
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Tueuse à gages
ActionTuer pour de l'argent... C'est un métier comme un autre, je suis comme les éboueurs, je nettoie les rues pour de l'argent. J'en vis bien, je n'ai pas d'états d'âmes. C'est mon travail, et je le fais bien. Sans attache, sans émotion. Ça, c'était avan...