Ma position serait désagréable pour n'importe qui, mais moi, elle ne me dérange pas. Je me donne des coups sur les jambes de temps en temps afin que mes muscles ne se tétanisent pas, j'aurais besoin de partir plutôt précipitamment, alors autant que mes jambes répondent quand j'aurais besoin d'elles. Je suis d'une patience infinie. Une fois que j'ai sécurisé ma zone de tir, plus rien ne me dérange. Qu'il pleuve, qu'il vente, voire qu'il neige, qu'un pigeon s'installe près de moi, je reste concentrée sur ma fenêtre de tir. Aucune pensée ne vient parasiter ma concentration. Je peux rester dans la même position pendant des heures, si nécessaire.
Une voiture approche, du modèle et de la couleur correspondant à celle de ma cible. Je le suis depuis plusieurs jours, ses déplacements recoupent les informations que l'on m'avait communiquées. Le temps est venu de laisser mon message. Je relève le cache de ma lunette de visée. Alors que la voiture s'arrête et qu'une portière côté passager arrière s'ouvre, je regarde à travers mon viseur. À la seconde où j'ai confirmation qu'il s'agit bien de ma cible, je bloque ma respiration et je caresse la détente, quittant aussitôt ma position en me faufilant par la fenêtre entrouverte de l'entrepôt où je m'étais installée. Le tout n'aura duré que quelques secondes. En moins de temps qu'il faut à un politicien corrompu pour glisser une enveloppe dans sa poche, j'ai démonté mon fusil et l'ai glissé dans sa housse adaptée, et rangé le tout dans mon sac à dos. L'opération aura pris moins d'une minute.
J'entends les cris des gardes du corps cherchant à savoir d'où le coup est parti. Je devine leurs regards sur les toits, ne pensant jamais à vérifier les poteaux électriques, les enseignes commerciales. Les endroits improbables. Les endroits d'où je frappe. Le temps qu'ils vérifient les toits environnants, je suis déjà loin, quittant la zone en silence à bord de mon scooter électrique, avant de regagner mon van que j'ai garé dans une ruelle un peu plus loin, où je fais monter mon scooter grâce à une petite rampe, et que je fixe contre la paroie avec des sangles. Démarrant, je regarde l'heure sur le tableau de bord. 20:55.
J'ai le temps.
Je démarre et je sors tranquillement de la ruelle, me dirigeant vers le Club où ma voisine du dessous joue. J'ai du mal à l'appeler mon amie, comme elle le fait depuis plusieurs semaines. Mais il est indéniable que si c'est ce qu'elle est, Sam est alors ma première amie.
Le videur me connaît maintenant et me fait signe, me laissant passer devant tout le monde. Je n'entends pas leurs soupirs, leurs insultes. Ça ne me touche pas. Je pense que le videur, Rory, m'aime bien, en fait je n'en suis pas sûre, mais il sait que Sam m'apprécie beaucoup alors, malgré l'aura à donner la chair de poule qui émane de ma personne, je dois être quelqu'un de bien à ses yeux.
Je m'installe à une table, une serveuse me reconnaît et me salut avant de m'apporter un verre en me souriant, sachant que j'y toucherais à peine, mais que je laisserais un pourboire parce que c'est ce que l'on doit faire, je l'ai lu sur internet. Par politesse pour son travail, je pose mes lèvres sur le verre d'eau et en aspire une goutte avant de le reposer puis de regarder et écouter Sam jouer. Je préfère quand elle est seule sur scène, mais je comprends qu'elle aime et doive, contractuellement, jouer avec d'autres musiciens, même si le piano ou la guitare ne me parle pas. Je ne ressens rien. Mais Sam rayonne. Son sourire s'élargit quand elle me voit et, après un clin d'œil, elle se lance dans un solo, ne me quittant pas des yeux. J'ai mis du temps à comprendre qu'elle jouait pour moi, en fait il a fallu qu'elle me l'explique, sinon je ne l'aurais pas encore compris. Je la regarde, l'imite quand elle ferme les yeux, laissant le son du saxophone venir me chercher, me transporter. Sam et son saxophone, c'est un peu une thérapie. J'ai l'impression de ressentir une émotion sincère quand elle joue. Il n'y a qu'elle, le saxophone et moi, le reste est accessoire, illusoire, ne compte pas, ne m'intéresse pas. Je reste jusqu'à la fin de la soirée, pour la raccompagner. Elle me l'avait demandé la première fois où j'avais été la voir, quelque jours après notre rencontre, c'est devenu régulier. Elle n'aime pas trop rentrer seule le soir, ayant une confiance limitée aux chauffeurs de taxi ou Uber. Quand elle me l'a expliqué, je me suis proposé et j'ai donc pris pour habitude de venir la chercher. Cela ne me dérange pas, je m'en fiche même un peu. C'est juste que s'il lui arrive quelque chose, je n'aurais plus accès au son du saxophone. Elle m'a offert un CD, quelques jours après que je sois venu la voir à son Club, c'est différent je n'aime pas vraiment. Il n'y a aucune vibration. Alors je ramène Sam. C'est depuis le premier raccompagnement qu'elle m'a tutoyé et m'appelle son amie.
Je me suis renseignée sur internet. Ça semble être normal. La relation que nous avons est bien amicale selon la définition du dictionnaire. Je fais attention à elle, lui demande si elle à passé une belle soirée, elle fait de même. Je fais la part des choses, ne lui dévoilant que ce que je peux sur mes activités professionnelles réelles. L'écoutant, je reste concentrée sur ma conduite, tout en calquant mon timbre vocal au sien, riant quand elle rit. Je ne comprends pas la moitié de ce qu'elle me raconte, certaines blagues ou histoires. Mes conversations sont limitées, je n'ai aucune opinion politique, aucun parti pris, enfin ça c'était avant de la rencontrer. Aujourd'hui, alors que nous nous connaissons depuis quelques semaines, je prête attention à certaines affaires qui paraissent dans les médias.
Sam a une certaine influence sur moi, malgré elle. Les sujets qui la touchent m'intéressent désormais. Quand elle se scandalise sur le fait qu'un pédophile soit remis en liberté par exemple. Je comprends que c'est important pour elle, pour la société, et que cela devrait l'être pour moi. Ce soir, je lui raconte ma journée, la création de nouveaux produits, des tests de goût. J'ai mis au catalogue deux nouveaux produits. Un porc à l'étouffé et un éclaté de gâteau aux carottes. Mes clients sont satisfaits de mon travail », dis-je en souriant.
On apprendra le lendemain aux nouvelles que le corps d'un membre de la mafia irlandaise a été retrouvé la veille, assassiné d'une balle dans la tête. Quelques jours plus tard, le cadavre d'un pédophile est retrouvé, mort étouffé dans son appartement depuis plusieurs jours, c'est l'odeur qui a alerté les voisins. Un godemichet était enfoncé dans la gorge.
Travaillant le soir, Sam reste debout une partie de la nuit aussi elle m'invite souvent chez elle. La première fois que je suis entrée, j'ai fait mon tour, repérant tout ce qui me serait utile, au cas où. Le pied de la lampe, la guirlande lumineuse accrochée au mur, le pilon en marbre et son bol. Chez moi, les murs sont blancs. Ils étaient comme ça quand j'ai emménagé, je n'y ai pas touché. Chez Sam, c'est jaune, c'est bleu, c'est coloré. Je regarde la disposition de ses meubles, superposant mentalement mon appartement au sien. Rien ne correspond. Mes meubles sont placés afin de me permettre d'avoir une vue d'ensemble sur la porte d'entrée, les fenêtres, les issues de secours et notamment la conduite qui court le long du mur.
Chez Sam, le sofa est dos à la porte. C'est curieux. Ça démontre une grande confiance aux autres, ou un mépris total de la plus élémentaire sécurité. Je l'écoute, lui parle de ce que j'ai lu dans le journal qui correspond à ses sujets de prédilection comme la maltraitance et les injustices. Je note ce qui la fait réagir, me promettant d'agir.
Bien que je sois payée pour éliminer des indésirables, j'ai immédiatement découvert que mon talent pouvait aussi rendre service à des individus et à la société, comme un travail d'intérêt général, ou du bénévolat. C'est ça, je fais du bénévolat.
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Une ⭐ ça ne coûte pas grand-chose et ça fait plaisir. Merci ❤️ !
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Tueuse à gages
AcciónTuer pour de l'argent... C'est un métier comme un autre, je suis comme les éboueurs, je nettoie les rues pour de l'argent. J'en vis bien, je n'ai pas d'états d'âmes. C'est mon travail, et je le fais bien. Sans attache, sans émotion. Ça, c'était avan...