Chapitre 8

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30 avril 1939

Je m'appelle Catrina Armitage. J'habite Acharn, un petit village de la région de Perth où mon père élève des moutons et des cochons et où ma mère donne des cours de rattrapage aux élèves en difficultés dans la petite école primaire du village. J'ai d'ailleurs été l'une de ses élèves, sa favorite, évidemment.

Je me sens stupide d'écrire tout ça, mais Jon dit que tout bon auteur doit un jour faire une introspection sur sa vie et que tenir un journal intime est la meilleure manière d'y parvenir.

Jon est le troisième fils de la boulangère, et le plus rebelle aussi. Son frère ainé est rentré dans les ordres tandis que le plus jeune se destine à reprendre l'affaire familiale et que le second est professeur à Oxford. Jon lui est un véritable baroudeur qui est parti à l'aventure il y a deux ans en embarquant pour l'Australie, juste après avoir obtenu son diplôme d'histoire de la faculté d'Oxford, rien que ça.

C'est que son père et sa mère ont beau mener une vie simple, ils n'en sont pas moins des gens aisés, mais ils ont la bienveillance de ne pas étaler leurs richesses sous le nez des villageois qui sont pour la plupart bien moins lotis qu'eux.

Mon père m'avait raconté qu'ils avaient débarqué tout droit de Londres plusieurs années avant ma naissance. Madame Findlay était enceinte de son second fils tandis que le premier courait déjà partout comme un beau petit diable.

Papa aussi est de Londres, même s'il a grandi dans le Yorkshire et qu'il a fini par s'installer en Ecosse après avoir rencontré ma mère, Maeve. 

C'est que papa aussi vient d'une famille bourgeoise. De l'aristocratie pour être plus précise. On ne dirait pas quand on voit l'état de notre petite maison à l'intérieure de laquelle suinte l'humidité et où tombe même parfois la pluie qui s'invite dans la cuisine, pile au milieu de la table à manger d'où on ne retire jamais le vieux seau en fer rouillé.

Je ne crois pas qu'il ne se soit jamais destiné à une carrière de fermier, mais ma mère était fille de fermier. Elle avait assez d'éducation pour pouvoir obtenir son certificat d'enseignante, mais certainement pas assez pour rentrer dans les critères très sélectifs de mes grands-parents paternels.

Mon père a rencontré ma mère pendant la Grande Guerre. Il avait été blessé sur le front en France et on l'avait envoyé dans une maison de convalescence située dans la campagne écossaise pour qu'il se remette de ses blessures. La plus grave était celle qu'il avait à la jambe et qui l'a laissé boiteux. Il ne peut plus se déplacer sans une canne, mais ça ne l'empêche pas d'être un travailleur acharné.

Sa rencontre avec ma mère est son histoire préférée, mes frères et moi la connaissons par cœur et je crois que c'est aussi un peu notre histoire préféré même si au fil du temps elle s'est modifiée pour devenir plus romanesque.

Alors qu'il avait péniblement réappris à marcher, le médecin lui avait prescrit de longues heures de marche pour remuscler sa jambe. C'était sa première sortie en-dehors de la maison de repos. Il avait encore des doigts qui portaient des atèles pour être refixés et un gros pansement sur le front, mais globalement, d'après papa bien sûr, il était tout de même très élégant, ce que maman confirme toujours.

Lorsqu'il est arrivé sur la petite place du village, sa canne a glissée sur un caillou et il était tombé à plat sur le ventre sans savoir se rattraper.

Alors qu'il tentait vainement de se remettre debout, une jeune fille aux longs cheveux blonds qui volaient à leur guise était venue le secourir. Il se souvenait même de la robe bleue à fleurs blanches qu'elle portait ce jour-là quand elle lui avait tendu la main pour l'aider à se relever.

Entre deux mondes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant