Chapitre 20

17 2 0
                                    

25 septembre 1939

Iain est partit de la maison. Ça va faire deux jours.

Il a eu une violente dispute avec mon père juste après nous avoir annoncé durant le souper qu'il avait pris contact avec le frère d'un certain Allister Lloyd. Ce nom m'a semblé familier lorsqu'il l'a prononcé, mais je n'ai pas tout de suite compris pourquoi.

Le frère de cet Allister est un homme de trente-et-un ans est pilote pour l'armée britannique. Il a proposé à mon frère de venir le rejoindre à Londres dans quatre jours à savoir vendredi de cette semaine.

- Et pourquoi tu dois rencontrer ce... Travor, Travers, bref le frère d'Allister, ai-je voulu savoir.

- T-r-a-v-i-s, a articulé exagérément Iain en roulant des yeux. Pour m'engager dans l'armée bien sûr.

Un silence aussi froid qu'un hiver dans la lande écossaise c'est abattu dans la cuisine. Maman a écarquillé les yeux en pressant ses mains l'une contre l'autre, les yeux rivés sur papa, l'implorant silencieusement de ne pas réagir. En vain. Papa est entré dans une colère noire. Le ton est vite monté entre Iain et lui. Des insultes ont été échangés, les habituels où Iain était traité de bon à rien, d'idiot, de honte de la famille.

A un moment, papa l'a giflé violemment. Une fois, deux fois. La troisième fois, c'est moi qui ai reçu la gifle qui lui était destinée.

Mon père m'a regardé avec effroi, incapable de croire qu'il venait de me frapper alors que j'étais venue me mettre entre lui et mon frère. Ce n'était pas la première fois que je voyais Iain se faire frapper ou insulter par notre père, mais c'est la première fois que j'ai vu ma mère se lever pour venir se mettre entre lui et nous.

Elle tremblait de colère, le regard noir, une poêle à la main.

- Avises-toi de lever encore une fois la main sur mon fils et je jure sur la tombe de mes parents de te fracasser le crane jusqu'à ce que tu en meurs, a-t-elle sifflé froidement.

Nous l'avons tous regardée stupéfait. Elle qui avait toujours été une gentille épouse soumise et obéissante, elle qui ne s'était jamais interposée pour défendre Iain préférant me laisser se rôle, voilà qu'elle se tenait droite, déterminée et je n'ai pas douté un instant qu'elle pourrait tuer notre père s'il touchait encore à un cheveux de mon frère.

Plusieurs émotions sont passées sur le visage de mon père. De la colère, de la honte, de la peur et autre chose que je n'ai compris qu'après qu'il ait persiflé une dernière méchanceté à Iain.

- J'aurais dû te noyer dès que tu es sorti du ventre de ta trainée de mère.

- DECLAN ! a crié maman.

- Tu as raison Maïra. Ce n'est pas lui que j'aurais dû noyer mais toi quand tu me l'as annoncé. Pour te punir de m'avoir humilié de la sorte, moi qui ai tout abandonné pour toi !

J'ai jeté un coup d'oeil à mes frères mais eux non plus ne savaient pas de quoi papa voulait parler.

- Mais je t'aimais tellement, a-t-il dit dans un souffle. Jamais je n'aurais pu te faire de mal, a-t-il continué la voix étranglée. Alors j'ai accepté. J'ai prié d'avoir l'abnégation nécessaire pour pouvoir l'élever comme s'il était de moi, mais je n'ai jamais pu. A chaque fois que je vois ce sale bon à rien je vois ce salaud pour qui tu étais prête à me quitter.

Maman s'est mise à pleurer. Iain, lui était blanc comme un linge. J'ai pris sa main dans la mienne et l'ai serrée aussi fort que j'ai pu pour qu'il sache que j'étais là. Que j'étais toujours son ancre. Que rien de ce qui était en train d'être révélé n'allait changer quoi que ce soit. Il m'a jeté un regard vide de toute émotion. C'était comme-ci il le savait déjà. Et au fond, je crois que nous l'avions tous toujours su.

- J'ai élevé le bâtard d'un laird, s'est écrié papa.

Il roulait des yeux fous, les joues rougis de colère, des larmes de rages coulant sur son menton.

- Oui, sale petit bâtard, a-t-il dit en s'approchant de Iain. Ta mère s'est fait sauter par un laird !

J'ai reculé en poussant Iain pour empêcher notre père de l'approcher de trop près. Il ne me faisait pas peur. S'il avait voulu encore faire du mal à mon frère, je l'aurais arrêté quitte à prendre les coups à sa place.

- Un beau parleur marié qui lui avait promis de s'enfuir avec elle. Et elle, elle ne rêvait que de ça. Échapper à sa vie misérable, échapper à son estropié de mari.

- Declan arrête, a supplié maman en sanglotant.

Il lui a jeté un regard de mépris avant de poursuivre, prêt à tout pour briser Iain.

- Mais tu t'en doutes petit, ce n'était que des mots. Du vent. Des paroles qui se sont envolées aussi vite qu'elles ont été prononcées. Quand il a su qu'il l'avait engrossée, il l'a abandonnée pour retourner vivre sa vie d'opulence. Une vie que j'avais moi aussi avant de renier mes parents pour cette trainée.

- Je t'interdis d'insulter ma mère, a froidement dit Iain.

- Oui, oui. Entre moins que rien vous vous comprenez.

Iain a serré les poings et je me suis accrochée à son bras. J'espérais qu'il pouvait sentir à quel point je l'aimais. Que je serais toujours là pour lui. Que tout ça n'avait aucune importance. Que jamais mon père compterait plus que lui.

J'espérais aussi que ce dernier arrête, mais il était comme possédé. Il a craché une dernière insulte à mon frère.

- Tu es encore pire qu'un moins que rien. Une abomination. Un sale morveux bâtard sans aucune reconnaissance pour l'homme qui l'a élevé pendant vingt-et-un ans.

Raide, Iain s'est dégagé de mon emprise, il a contourné maman en évitant la main qu'elle tendait vers lui et sans qu'on s'y attende, il a décoché un violent coup de poing à mon père qui s'est effondré au sol.

- J'ai bien peur que tu n'aies réussi à élever que tes porcs, a-t-il déclaré avec véhémence en crachant à ses pieds.

Sans attendre de réponse, il est partit en claquant la porte. Domhnall qui était resté en retrait jusque là s'est levé d'un bon pour venir voir notre père tandis que je courrais à la poursuite de Iain sans me soucier de maman qui venait de s'effondrer au sol en pleurant.

- Iain ! ai-je crié dans la nuit.

Il ne s'est pas retourné. J'ai crié encore une fois son nom mais il a disparut dans la nuit étoilée, la seule à qui j'ai laissé voir mes larmes avant de les essuyer pour rentrer.

Papa n'était plus dans la maison et Domhnall essayait de réconforter notre mère qui était toujours en train d'hoqueter par terre.

- Maman, ai-je dit en m'agenouillant à côté d'elle.

- Ne dis rien. S'il te plait. Ne dit rien. Tu n'aurais jamais dû savoir ça. Aucun de vous.

Elle s'est levée, refusant l'aide que Domhnall lui proposait et s'est assise dans le divan.

- Iain n'aurait jamais dû savoir, a-t-elle répété plusieurs fois d'une voix rauque.

- Maman, je crois qu'il le savais, ai-je dit timidement.

Elle s'est remise à pleurer. Domhnall l'a serré contre lui en lui caressant le dos. Je n'avais jamais été très proche d'elle, mais ce soir, pour la première fois, j'arrivais à la voir, à percevoir les souffrances de son âme. Je ne sais pas si je comprenais la femme qu'elle avait été à l'époque où elle en avait aimé un autre que mon père, mais je comprenais qu'elle avait dû laisser partir certains de ses rêves, de ses espoirs, qu'elle avait dû continuer à vivre une vie qui ne lui convenait plus.

Entre deux mondes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant