Entre deux mondes - Tome 1

Chapitre 14

Je me suis réveillée avant Blaine. Nous avions passé la nuit dans ma chambre. J'avais hésité pendant une petite heure à le réveiller et l'envoyer dans son lit, mais le fait de savoir qu'il n'y aurait personne de toute la journée aujourd'hui au manoir m'avait fait relativiser et j'avais fini par m'endormir à ses côtés. 

Il ne travaillait pas aujourd'hui. Décidant de le laisser profiter de quelques heures de sommeil en plus, je me suis levée sur la pointe des pieds, attrapant au passage le journal de sa grand-mère posé sur la table de nuit, et me suis assise sur l'appui de fenêtre pour pouvoir lire à la clarté du jour. Je ne fermais jamais les tentures. Rien ne m'oppressait plus que le noir complet et rien n'était plus agréable qu'être réveillée par la lumière naturelle du jour.

27 mai 1939

Jon est venu me chercher à dix-neuf heures pile. Je venais juste d'avoir fini de me préparer. Dans l'après-midi, j'avais pris un bain et j'avais soigneusement lavé mes longs cheveux noirs avec un shampoing qui promettait de les faire sentir le jasmin toute la soirée et de les rendre plus volumineux et brillants qu'ils ne l'étaient déjà.

Le reste de l'après-midi n'avait pas suffi à les faire sécher et maman est allée demander à la coquette mademoiselle Jenkins, à qui elle vend du lait et du fromage tous les mercredis, si elle voulait bien me prêter son sèche-cheveux. Toujours avide de commérage, elle s'est empressée d'aller chercher son sèche-cheveux tout en questionnant maman sur mes activités nocturnes : « Je suis certaine que votre magnifique fille a trouvé un gentil jeune homme pour l'inviter au bal de ce soir. ».

Ce n'était d'ailleurs pas une question mais une affirmation. Elle a bien essayé de savoir qui avait eu mes faveurs, mais maman est restée muette comme une carpe, esquivant et changeant de sujet, puis en lui disant que si elle ne se pressait pas à m'apporter son aide pour sécher mes cheveux, je ne serai jamais prête.

C'était la première fois que j'utilisais un sèche-cheveux. Nous avions toujours déclarés à l'unanimité que c'était là une dépense inutile. Les cheveux séchaient seuls ou avec l'aide d'une serviette depuis la nuit des temps. Cependant, je n'ai plus trouvé cette invention si inutile que ça hier après-midi.

Nous avons ensuite débattu sur ce qui convenait de faire de ma masse capillaire. Je voulais les laisser longs. Il m'arrivait au bas du dos, voir un peu plus bas, et je sais que Jon aime les filles aux cheveux longs, il me l'a avoué lui-même. Maman était d'avis que je devais les relever en chignon, cela rendrait plus élégante ma tenue.

C'est finalement papa qui a tranché en disant qu'il adorait quand je me faisais des tresses. Maman a donc passé son temps à me faire une longue tresse toute en cascade qui tombait d'une jolie façon dans mon dos tout en donnant l'impression que j'avais des boucles. Elle a ensuite déposer au sommet de la tresse un peigne argenté qui représentait plusieurs petites fleurs blanches qui tombaient sur un fin fil d'argent qu'elle a pris le temps d'enrouler le long de ma tresse. Chaque petite fleur était surmontée d'un faux diamant, ce qui faisait briller de mille feux ma crinière à présent domptée.

Il était déjà dix-sept heures passés quand nous avons eu terminé cette besogne. Je suis vite descendue avaler quelque chose pour ne pas mourir de faim toute la soirée et être morte de honte devant Jon quand mon ventre se mettrait à protester par des borborygmes peu discret afin de me signifier son mécontentement d'être resté vide toute la journée. Je suis ensuite remontée pour mettre la robe de grand-mère et les perles de madame Claude. J'ai enfilé les escarpins dorés de maman au bas des marches et je suis allez défiler dans le salon où tout le monde m'attendait.

- Tu es très belle, a dit papa d'une voix émue.

Il n'a rien ajouté d'autres et son expression est restée indéchiffrable. Iain et Domhnall furent quant à eux beaucoup plus expressif, sifflant et me faisant tourner sur moi-même sans jamais être avare de compliments.