Entre deux mondes - Tome 1

Chapitre 31

- BLAINE -

Mon avion n'allait pas tarder à atterrir à Darwin. Etant partis à l'improviste, je n'étais pas certain de trouver un endroit où dormir mais j'espérais trouver une chambre en auberge de jeunesse sans trop de difficulté.

J'avais enfoncé pêle-mêle des vêtements dans mon sac sans vraiment faire attention et j'avais sans doute oublié tout un tas de choses importantes comme du savon ou des rasoirs ou même le chargeur de mon téléphone dont la batterie m'avait lâché quand j'ai fait escale à l'aéroport de Singapour.

A ma grande surprise, j'avais pu compter sur mon père. Je n'étais pas parvenu à anticiper sa réaction mais lorsque je lui ai tout révéler, il n'a pas été en colère, juste indifférent. Cela m'a soulagé, je savais que je pourrais au moins compter sur lui si j'avais besoin d'aide, d'argent ou d'un toit sur ma tête si mon voyage se passait mal.

Je n'avais pas prévu de rester longtemps à Darwin. Juste le temps nécessaire pour m'occuper de la paperasse et de l'ouverture d'un compte en banque. Ensuite, je partirai pour le ranch de mon contact dont j'avais rangé bien précieusement un papier avec son numéro et son adresse dans la poche intérieure de mon blouson.

S'il était toujours d'accord pour m'accueillir, je me retrouverai dans un ranch près de la ville de Katherine. Quelle ironie. Tout me la rappelait même le bout du monde.

J'avais prévu de continuer la lecture des journaux de ma grand-mère pendant l'interminable vol qui devait m'emmener jusqu'ici, mais mon esprit était trop préoccupé pour que je puisse me concentrer assez longtemps sur quoi que ce soit d'autre que Catherine et Catrina.

Catherine, parce que je savais que c'était elle, celle avec qui je voulais être jusqu'à la fin de ma vie, celle dont j'avais vu l'incertitude au fond de ses beaux yeux verts à chaque fois que je lui parlais de nous, celle dont j'avais compris les hésitations quant à notre relation, celle pour qui j'étais prêt à mettre dix milles kilomètres de distances entre nous pour lui laisser le temps de savoir si elle me voulait moi tout entier ou juste une passion secrète qui vous embrase mais qui s'éteint aussi vite une fois les premières étreintes passionnées terminées.

Catrina, dont j'avais lu la fin du premier journal. Des écrits à la va-vite sur un mélange de feuilles de papiers dégoutantes et de papiers toilettes. Parce que la fin de son journal présageait des jours sombres. Parce que je savais que j'allais découvrir toute une zone d'ombre sur le passé de ma grand-mère, un passé dont elle n'avait jamais parlé à personne pas même à ses enfants. Un passé sordide, tragique et beau à la fois parce que je connaissais déjà la fin de l'histoire. A la fin, elle était revenue en vie.

27 août 1941

Il fait froid. Ca fait déjà quatre jours et je ne pense qu'à ça. Au froid qui imprègne jusqu'à l'intérieur de mes os et qui meurtrit mon corps tout entier. Plus encore que le manque d'eau ou de nourriture il n'y a que le froid qui me torture.

L'humidité ambiante qui se rajoute à la sensation de geler sur place fait couler de longues trainées d'eau le long des murs que nous buvons avidement en plaquant notre joue contre la paroi froide, la langue collée contre le mur pour pouvoir nous abreuver du précieux nectar qui est la source de la vie.

Comment ai-je pu en arriver-là ?

Papa, si tu lis ces mots, et j'espère que tu la liras de tout mon cœur, ne t'en fait pas, tout va bien se passer. Je le sens au plus profond de moi. Je vais bien et nous nous retrouverons, même si cela doit prendre dix ans.

Je t'aime tant mon cher papa. J'espère que Valentine a bien posté la dernière lettre que je vous ai écrite à maman et à toi. Je suis certaine qu'elle l'a fait. Elle est gentille Valentine et rend toujours service. Elle partage toujours sa dernière pomme-de-terre avec celles qui ont encore faim, les tablettes de chocolat que sa maman lui envoie avec les patients et elle est toujours volontaire pour poster le courrier des autres infirmières ou pour leur ramener des petites bricoles du village.