Chapitre 30

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23 aout 1941

Je ne me suis pas encore tout à fait remise des évènements qui ont eu lieu il y a trois jours. Tout ce que je peux dire, c'est que je n'ai pas de blessures graves, juste des égratignures et des contusions.

Je suis partie avec les docteurs Varez et Ardechais ainsi qu'avec trois autres infirmières pour rejoindre un camp médical de fortune non loin de la forêt de Compiègne où des attaques au corps-à-corps avait eu lieu. Plusieurs officiers étaient gravement blessés et ne pouvaient être déplacés.

Arrivés sur place, nous n'avons pu que constater les dégâts qui étaient bien plus important que ce qui nous avait été dit par radio. D'autres médecins et d'autres infirmières étaient présents ainsi qu'un général et ses hommes qui assuraient notre protection tout en nous aidant au mieux à déplacer les blessés. 

Notre environnement ne nous aidait pas dans la tâche ardue qui s'étalait sous nos yeux sous la forme d'êtres gisants et gémissants, se tortillant dans tous les sens. Certains perdaient la tête tant la douleur leur était insupportable. Il avait plu plusieurs jours durant  et même si le soleil s'était enfin décider à nous gratifier de quelques rayons diffusant une agréable chaleur, la clairière où avait eu lieu l'attaque improvisée était humide et glissante.

- Infirmière Armitage, occupez-vous de celui-là, m'avait dit le docteur Ardechais en pointant du doigt un soldat recouvert de plusieurs draps souillés.

C'était un jeune garçon qui n'avait pas l'air d'avoir plus de dix-huit ans. Il était apeuré et ne semblait pas vouloir que je m'occupe de lui. J'ai d'abord pensé qu'il ne voulait pas qu'une femme lui vienne en aide. Ça ne m'était jamais arrivée et au vu de la situation, il aurait dû avoir des préoccupations bien plus importantes que le fait de se faire soigner par une femme. J'ai ignoré ses gémissements et ai retiré doucement les draps qui le recouvraient. C'est là que j'ai compris. Il devait avoir peur que je n'essaye pas de le sauver mais plutôt de le tuer.

Sur son uniforme vert-gris était cousu l'écusson du Troisième Reich. En retirant complètement le dernier drap, j'ai eu un hoquet d'horreur. Je me suis reculée sans le vouloir, faisant de mon mieux pour ravaler la bile qui m'était montée à la bouche et qui menaçait de faire repasser mon petit-déjeuner. 

Il avait été touché par une machette en plein dans le bas ventre et une plaie béante laissait apparaître ses tripes. Il allait mourir, je l'ai su dès que j'ai vu un liquide brunâtre qui n'était pas du sang se répandre en lui. 

Je crois que le malheureux le savait aussi. Le teint blafard, du sang coulant sur le côté de sa bouche, il me regardait avec les mêmes yeux que d'autres hommes avant lui, de ceux qui savent que la mort s'est arrêtée de danser pour venir les cueillir. 

- Docteur Varez, ai-je appelé.

Varez n'en a pas l'air, mais il est plus ouvert que la plupart des autres médecins et il ne se montre pas sélectif quand il s'agit de soigner des blessés. Leur nationalité lui importe moins que de sauver des vies, mêmes des vies allemandes. Quand le docteur Ardechais lui disait qu'il perdait son temps avec ce genre de vermines alors qu'il y avait de vraies victimes à soigner, Varez répondait toujours qu'il avait fait le serment de soigner quiconque aurait besoin de lui. 

J'admirais ça chez lui. Il avait la capacité à continuellement remettre en perspective le monde dans lequel il vivait et se plaisait à rappeler à quiconque le critiquait sur ses choix que nous ne connaissions jamais la personne dont nous prenions soin, que nous devions voir au-delà de l'ennemi car dans une guerre, il arrivait que certains hommes soient contraint de faire des choses qu'ils ne voulaient pas. C'est en général à partir de là que de vifs débats se mettaient à éclore pour finir en dispute que seul une bonne bouteille du whisky de l'infirmière chef pouvait stopper. 

Entre deux mondes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant