41 - Echange Houleux

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Max entre dans la chambre, les yeux voilés par la tristesse. Il déteste me voir dans cet état et il doit lui aussi supporter le deuil d'un de ses meilleurs amis. Heureusement, il a Théo pour le soutenir. Merde, je suis jalouse de lui. Théo ne lui ferait jamais un truc pareil. Seulement, Max est suivi par deux adultes d'une cinquantaine d'années. Ils sont habillés en noir, dans un ensemble classe et élégant.

- Voici les parents d'Isaac, dit Max.

Une colère et un mépris profond me viennent pour ces deux personnes. Max me demande si j'ai besoin de lui et je lui dis qu'il peut y aller.

- Comment allez-vous mademoiselle Mickaels ? demande le père.

- Comme une femme qui vient de perdre l'amour de sa vie, je crache.

- Veuillez m'excuser, c'était maladroit.

- Sans blague. . .

La mère reste en retrait, elle a des lunettes de soleil dans ses mains gantées de cuir. Ses yeux reflètent un mal-être profond mais je n'en ai rien à faire. Elle a abandonné Isaac. Elle est en partie responsable de son suicide. Je ne pourrais jamais avoir une once d'empathie pour elle.

- Qu'est-ce que vous voulez ? je demande, amère.

- Nous voulions juste. . . commence-t-elle.

- Ma femme et moi-même sommes là pour nous assurer que notre fils ne vous a pas mise enceinte avant son. . . départ.

J'en reste sur le cul. Ils ne manquent pas de culot ces deux-là. Je rêve ! Ils viennent de perdre leur deuxième enfant et la seule chose dont ils s'inquiètent c'est de l'argent qu'ils devront dépenser pour un petit enfant si il arrive. Dans quel monde ils vivent ?

Je pars dans un rire jaune.

- Qui a-t-il de drôle ? se risque à demander monsieur Phillips.

- Vous êtes vraiment deux monstres antipathiques. Vous venez le jour de l'enterrement de votre propre fils, où vous n'avez même pas daigné vous présenter, pour demander à sa copine si elle est enceinte afin d'être sûr de n'avoir rien à dépenser. Vous ne manquez pas de culot. Je me demande sincèrement comment vous avez pu engendrer deux merveilleux enfants, aux antipodes de vous. Vous méritez tous les deux une place auprès de Lucifer.

- Comment osez-vous. . .

- Vous comment osez-vous vous pointer chez moi !? C'est de votre faute si il s'est suicidé ! je crie, ma voix se brisant.

Madame Phillips recule d'un pas sous la force de mes paroles, choquée.

- Qu'est-ce que vous avez dit ? murmure-t-elle, incapable de parler plus fort.

Je me lève du lit dans lequel j'étais restée pour prendre la lettre d'adieu qu'Isaac m'a écrite. Je la colle contre la poitrine de sa mère avec un tel dédain que je me surprends moi-même. Elle prend la lettre de justesse avant qu'elle ne tombe, l'ouvre puis commence à la lire. Des larmes roulent le long de ses joues au fur et à mesure et à peine elle lève les yeux que je la lui arrache des mains.

- Vous pouvez aller vous faire foutre. Si jamais je découvre que je suis enceinte vous n'en saurez absolument rien. Les décisions que je prendrais vous serons proscrites d'accès. Maintenant, si vous voulez bien retourner dans le faste qui est le vôtre et ne jamais revenir ici.

J'ouvre la porte puis me dirige vers l'entrée. Mes amis dans le salon ont dû entendre la plupart si ce n'est la totalité de la conversation. Mais j'ouvre la porte en attendant que ces serviteurs de Satan s'en aillent. Ils marchent lentement, le père avec un visage confiant néanmoins impassible et la mère, anéantie. Quand la porte se referme sur eux, un sanglot m'échappe et je suis aussitôt rejointe par mes amis. Un câlin général m'entoure, et je me calme dans leurs bras.

- Merci, je souffle.

Nous allons nous asseoir sur les canapés du salon, tous dépités par cette journée, ces derniers jours. Le temps a avancé sans vraiment qu'on s'en rendre compte et en même temps, il était d'une lenteur extrême, celle qui vous oppresse, celle qui vous empêche de respirer, qui met votre vie en pause. Soudain j'étouffe. Je n'ai pas quitté l'appartement depuis que nous sommes revenus de l'hôpital. J'étouffe. J'ai besoin de sortir alors je sors. Je sors de la maison sans me retourner, sans écouter les voix de mes amis qui hurlent mon prénom, ne faisant pas attention aux personnes autour de moi.

Je me retrouve devant le premier restaurant que Isaac et moi avons testé. Je vérifie mes poches, j'ai de l'argent. Avec une conviction nouvelle je rentre dans le restaurant, m'installe à la table où nous étions et commande le menu que nous avions partagés. Je ne pensais pas avoir faim mais je mange pour quatre.

Une jeune serveuse asiatique, les cheveux attachés dans une queue de cheval basse, habillée d'un tablier, passe à côté de moi en regardant son calpin sans faire attention où elle va. Je l'observe déambuler entre les tables, toujours les yeux rivés sur son bloc-notes, les sourcils froncés. Peut-être essaye-t-elle de retenir les commandes de ses clients. Toujours est-il, elle s'apprête à rentrer dans une femme. Elle est propre sur elle, des vêtements semblables à de la haute couture, un air hautain collé au visage et des yeux perçants. Elle n'en fera qu'une bouchée.

- Mademoiselle ? j'appelle la serveuse, espérant qu'elle relève le nez vers moi.

Elle ne m'entends pas. Elle est enfermée dans sa bulle de concentration, elle me rappelle moi quand je bosse sur mes cours. Je décide de me lever pour aller lui éviter un scandale avec cette femme. J'arrive près des deux femmes qui sont sur le point d'entrer en collision.

- Excusez-moi, mademoiselle ? je demande en touchant l'épaule de la serveuse.

Elle se défait de son monde pour tourner la tête vers moi. Je prends l'initiative de la décaler légèrement quand cette autre femme passe à côté de nous. La serveuse le remarque et fait le rapprochement plutôt rapidement. Elle me montre toute sa gratitude dans les yeux. Puis son regard change et j'ai l'impression qu'elle sait exactement ce que je suis entrain de vivre. Un frisson désagréable me parcours l'échine. Mon menton se met à trembler imperceptiblement mais tout de même.

Je bredouille une excuse avant de prendre la direction des toilettes. Soudain, tout deviens flou, mes joues sont trempées et tout ce que j'arrive à faire c'est ne pas tomber par terre. Comment ? Elle savait. Elle a compris en un seul regard. Je l'ai vue. Elle a lu en moi avec tellement de facilité. Je fais les cents pas en essayant de me calmer. J'avais réussi à apaiser un peu ma douleur en venant ici. J'étais replongée dans mes souvenirs heureux avec lui. Je. . .

- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire pleurer.

Je me tourne brusquement vers la porte d'entrée des toilettes, où se trouve la serveuse. Elle me regarde, désolée.

- C'est rien, je souffle.

Elle s'approche de moi avec un papier mouchoir et me le tends. Je le prends pour essuyer les résidus d'eau qui stagnent sur mes joues. Je reste silencieuse et je sens qu'elle meurt d'envie de ce silence.

- C'était qui ? demande-t-elle.

- Mon copain.

Elle acquiesce comme si elle savait exactement ce qu'il s'était passé. Cette douleur qui est mienne, je la vois dans ces yeux apparaître l'espace d'une seconde. Et c'est là que je comprend qu'elle a perdu quelqu'un elle aussi.

- Je m'appelle Riley.

- Willow.

PersonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant