16 - Deuil

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J'imagine que le deuil doit être différent pour tout le monde. Mais Max le gère de la même manière que moi. Le silence, l'éloignement et la dépression. Cela fait un mois qu'il m'a dit que sa soeur était morte dans un accident de voiture et il m'a demandé de l'annoncer aux autres parce que c'était trop dur pour lui. Les autres et moi sommes restés à disposition de Max et de sa famille au cas où ils auraient besoin de nous. L'enterrement était magnifique, j'avais l'impression de ne pas être à ma place puisque je ne connaissais pas sa soeur. Je voulais juste être là pour mon ami. Il nous a d'ailleurs tous remercié d'être venu le soutenir mais qu'il avait besoin d'être avec sa famille.

La première semaine, nous ne l'avons pas vu excepté ceux qui lui apportaient ses cours. La deuxième semaine, Max est venu en cours mais on aurait dit un zombie. Il ne parlait pas, il avait des cernes énormes et ses yeux étaient toujours humides. Les gars ont essayé de lui remonter le moral mais il n'a réagi à aucune de leurs idioties. Katerina et moi avons essayé de l'amadouer avec sa nourriture préférée mais rien y a fait. La troisième semaine il est resté chez lui, dans son lit tous les jours. La semaine dernière il a commencé par aller à des fêtes, boire comme un trou et déclencher des bagarres. Les garçons ont été réveillés maintes et mainte fois par les patrons de bars ou les propriétaires des fêtes étudiantes.

La mère de Max m'a appelée hier pour me parler de son fils. Je lui avais donné mon numéro en déposant les cours de Max une fois. Elle veut que je passe le voir, que j'essaie de lui parler. Alors je me retrouve devant la porte de sa chambre, attendant qu'il me réponde.

- Max, tu m'ouvres ?

Pas de réponse. J'ouvre la porte, une odeur de transpiration mélangé à de la vieille bouffe me prend aux tripes. Je m'avance vers la fenêtre pour l'ouvrir en grand.

- Ca pue ici Max. Aller, je sais que tu dors pas. Lève-toi et va prendre une douche.

Etonnement il se dégage de sa couette et prend des affaires propres dans son dressing avant d'aller s'enfermer dans la salle de bain. J'en profite pour défaire son lit, mettre des draps propres. Ramasser tous ce qui traîne et les descendre. Madame Jones me remercie avant de disparaître dans l'une des nombreuses pièces de cette villa. Je retourne dans la chambre de mon ami, bien décidée à lui dire de se bouger un peu les fesses.

- Merci, pour le rangement.

- T'allais pas le faire Maximax, t'inquiète.

Il me gratifie d'un maigre sourire. On avance.

- On peut parler ?

- Est-ce que j'ai le choix ? demande-t-il avec des yeux tristes et une moue adorable.

- Ton air de chien battu fonctionnerait en temps normal mais là non. Tu n'es pas obligé de parler, mais au moins écoute moi. S'il te plaît.

- D'accord. Viens t'asseoir Wiwi.

Je lui donne une tape sur l'épaule pour ce surnom débile. Un ricanement sort de sa bouche. Nous sommes assis face à face. Lui contre sa tête de lit et moi au bout de ses jambes.

- Tu sais, tout l'alcool que tu ingères c'est pas bon pour ton foie. Je te donnerai volontiers un morceau du mien mais quand t'auras 70 balais, pas 19.

- J'ai pas envie de parler de mes conneries ok ? Je sais, c'est pas bien. Mes parents m'ont déjà fait le discours ainsi que les gars. Katerina m'a hurlé dessus en me disant à quel point j'étais con. Alors si t'es là pour me faire la morale, c'est vraiment pas la peine. J'ai eu ma dose.

- Bien, c'était pas pour ça que j'étais là.

Il hausse un sourcil. Je suis la carte de la dernière chance alors je dois tout donner.

- Je vais pas te demander comment tu vas. C'est une question stupide qu'il ne faut pas poser aux gens qui sont en deuil.

- Comment tu peux savoir ce que c'est le deuil ? Ton frère est vivant.

- Oui. Mais pas mon père.

- Ah. Désolé. Comment il s'appelait ?

- Pas grave. Il s'appelait Henry. Tu sais, j'étais là quand il est mort. Anthony aussi. Il avait 15 ans et moi 10. On était entrain de prendre notre petit déjeuné dans le restaurant du coin comme tous les matins. Notre mère bossait alors on était que tous les trois. Mon père c'était mon héro. Anthony était plus proche de notre mère mais n'empêche qu'il l'était aussi de notre père. Enfin bref. On était assis ensemble à notre table habituelle, tout ce passait bien.

Un sourire triste se dessine sur le visage de Max, il me prend la main pour que je continue. Avec son soutient.

- La cloche du restaurant a retentit, comme elle le faisait toute la journée. Seulement cette fois, l'homme ne venait pas manger. Il avait une kalashnikov. Il a commencé à tirer sur les employés derrière le comptoir, mon père nous a dit de nous mettre à terre en dessous de la table. J'avais peur, j'étais pétrifiée à en perdre la parole. Mon frère débitait un flot de paroles incompréhensibles et notre père tentait de nous rassurer.

Mes larmes abondent sur mes joues. Je n'avais pas reparlé de ce jour là depuis que c'était arrivé. Anthony et Marla non plus. C'était aussi interdit que de parler du Caire pour MacGyver et Jack.

- Cet homme, celui qui a assassiné des dizaines de personnes ce jour là, il a tiré sur le pied de mon père. Il a disparu d'en dessous de la table en quelques secondes. Anthony a levé la nappe pour regarder notre père se faire trouer le crâne par cet envoyé de l'enfer. Je n'ai pas bougé jusqu'à ce qu'un flic ne vienne me porter hors du restaurant. Ce jour là, j'ai perdu bien plus que mon père Max.

- Tu as perdu ton héros, fini-t-il a ma place.

- Oui. Mais je ne te raconte pas la mort de mon père pour te la raconter. Le fait est qu'après sa mort, je n'ai pas parlé pendant plusieurs semaines. J'ai repoussé mes amis, ma famille. J'ai fais une dépression. Mais grâce à Anthony je m'en suis sortie. Il a fait son deuil d'une manière différente à la mienne. M'aider à aller mieux lui faisait du bien. Parce qu'il avait l'impression de l'aider lui.

- Comment ça ?

- Je lui ressemble traits pour traits.

Max me prend dans ses bras alors que je séchais mes larmes. Ses larmes viennent mouiller mon pull. Il s'accroche à moi comme au dernier rempart de sa vie.

- Elle me manque tellement si tu savais. J'arrive pas à imaginer un monde sans elle.

- Même si tu me crois pas aujourd'hui, ta douleur s'estompera un peu au fil des ans. Tu souffriras toujours mais moins fort, d'une manière que tu pourras supporter. Et t'auras des moments de nostalgie qui te rendront triste mais on sera là pour toi.

- Merci, Wiwi.

- Je t'aime Maxou.

PersonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant