Suiko

Chapitre 14 : Libre !!!

Cinq ans auparavant.

Je me suis redressé. Mais bon, vu la forme de mon corps, on ne peut pas parler de redressement. Disons juste que la brume que je suis maintenant s'est un peu étirée. Bientôt, je serais libre.

En effet, la faille dans le sortilège qui m'enchainait à cette maudite bague s'était enfin stabilisée. Elle s'était installée quand un de mes maitres, moins soigneux que les autres, l'avait fait tomber le bijou, fendillant l'émeraude. Bien entendu, une fissure n'aurait pas pu voir le jour si la magie de la bague avait été à son meilleur niveau, mais au fil des siècles l'enchantement de Nihr avait lentement décru. Et depuis, j'avais observé les fluctuations des tentatives de colmatage de la brèche du sortilège. Mais maintenant, la faille s'était entièrement stabilisée, et je pouvais tenter ma chance.

Il y avait maintenant plus de mille ans, un voleur avait « emprunté » la bague à Nihr. J'étais donc passé de main en main, au fur et à mesure que mes propriétaires mouraient ou étaient détroussés. J'en avait connu des bons, des moins bons, et des franchement mauvais. Un éventail complet sur le genre humain et ses différents visages.

Certains avaient essayé de me libérer, d'autres renforçaient les sortilèges patiemment défaits. Au final, je n'avais pas tellement changé de position. Cependant une de mes anciennes propriétaires, et je bénirai son nom jusqu'à la fin des temps pour ça, avait pu faire en sorte que je puisse refuser certains ordres de mes maitres. Personne n'avait pu détruire ce qu'elle avait fait. Cependant, elle n'avait pas pu terminer son travail visant à me libérer, car une malaria foudroyante l'avait emportée vers la faucheuse bien plus tôt que prévu.

Mais maintenant, la magie de Nihr, qui était plus puissante de toutes celles qui m'enchainent à cette bague, s'est bien amoindrie au fil des siècles. Et avec la fissure qui avait, petit à petit, continué à laisser filer la magie, j'avais maintenant une chance de pouvoir m'échapper. Une chance de pouvoir sortir de cet enfer d'un blanc si pur.

Je me suis concentré. Je n'avais pas suffisamment de magie pour forcer le passage sans y laisser ma brume, donc il allait falloir la jouer finaud. J'allais essayer de sortir hors de la bague à travers la fissure dans l'émeraude. Je devrais arriver à me faufiler hors de cette prison en passant au milieu de la magie qui s'écoulait sans discontinuer de la bague. Si j'allais à la vitesse du flux, et que je restais bien dissimulé, la bague pourrait me prendre pour un énième sortilège lancé par un de mes ex-possesseurs. Il y en avait eu tellement...

Je me suis étiré en un long fil nuageux, et ai commencé mon périple. Tout allait se jouer maintenant.

Bien plus tard, le dernier millimètre de brume a enfin franchi la fissure. Je me suis recomposé, reprenant la forme d'un nuage vaguement ovale.

J'étais libre !!!! LIBRE !!!!!

Cependant, un problème restait. La bague. N'importe qui pouvait la trouver, la prendre, et me faire retourner dans mon esclavage. Il fallait que je trouve une personne digne de confiance, ou que je puisse aisément manipuler.

Ou que je prenne enfin mon envol, indépendant.

La réponse s'imposa à moi avec une évidence des plus satisfaisantes.

Cependant, je ne pouvais pas l'appliquer ici. Il me fallait un endroit sûr. Je me suis prudemment déployé. Actuellement, je me trouvais dans le grenier d'un de mes propriétaires, un vieux rabougri qui m'avait acheté pour sa femme, morte il y a une dizaine d'années.

Heureusement, quelques corbeaux étaient tranquillement posés sur le toit de tuile. J'en ai possédé un, m'infiltrant dans son corps. Je l'ai ensuite fait entrer dans le grenier grâce à une fenêtre ouverte, et lui ai fait ouvrir l'écrin où se trouvait mon ancienne prison. Après l'avoir fait prendre ma bague, je l'ai forcé à voler.

Direction le Japon, pays de mon père.

Le corps de cet oiseau ne ferait pas tout le trajet, mais comme je pouvais transplaner sous cette forme animale, ce n'était pas un problème.