Observing End [LPM]

CHAPITRE III - 22 : De fil en aiguille

Décidément, Achroma a décidé qu'elle ne me laissera pas me reposer plus d'une journée, cette semaine. J'ai à peine eu le temps de déjeuner qu'elle m'a proposé de rejoindre Eleanor et Ringo pour les regarder créer des costumes. J'ignore ce qu'elle cherche à faire exactement, mais en attendant elle m'a tirée dans la chambre du cosplayeur qui est plus « tissus » que chambre. La seule chose un peu épargnée c'est son lit, sans doute car c'est là qu'il dort, et l'évier de sa salle de bain.

Je me sens un peu de trop. J'ai toujours trouvé certains trucs attirants esthétiquement, et la couture c'est impressionnant, mais je fais rien de tout ça moi. Ringo explique en japonais à Achroma qu'il n'a pas de perruques, ici, ce qui l'empêche de faire une chose qu'il aime beaucoup alors que Eleanor fait un choix entre deux tissus qui me semblent terriblement similaires.

Apparemment, je suis là pour servir d'inspiration, car Ringo et Eleanor se tournent vers moi pour avoir une idée de ce qu'ils veulent travailler ensemble. Heureusement pour moi, on dirait que les mots « homme-oiseau steampunk » ça leur suffit car ils échangent des idées plus vite que je ne peux comprendre, entre leurs accents respectifs.

C'est assez drôle, de constater maintenant que Ringo a un accent britannique plutôt que japonais. Ça fait sens avec ce qu'il a dit de sa vie, bien sûr, mais ce n'est pas vraiment quelqu'un que j'associe à l'accent presque posh qui sort de sa bouche. Et ne parlons même pas d'Eleanor et de ses expressions bien écossaises que je ne comprends qu'une fois sur deux.

A côté, Achroma a un accent relativement clair, sans doute à cause d'années loin de sa ville natale, à Haïti. Et mon accent ? N'en parlons pas, je préfère ne pas imaginer ce qu'on peut dire là dessus.

J'aide Ringo à départager deux couleurs différentes pour des morceaux de machinerie, et il commence un travail de peinture qui me fait penser à l'application d'Achroma sur ses portraits à l'huile ou même de comment je prends mon temps pour colorer une nouvelle figurine pour mes jeux.

C'est fascinant, de voir le bleu de la mousse faire place à une couleur cuivrée à force de coups de pinceau, de voir la concentration dans les yeux de mon camarade. Il a reprit de la vie, depuis la fête, son énergie lui est revenue et il a l'air prêt à faire face à n'importe quoi, avec ses cheveux attachés comme ça pour que les deux longues mèches à l'avant ne tombent pas dans le pot de peinture.

Je ne sais pas quand est son jour d'appel, j'espère qu'il a pu parler avec son copain un peu, même si c'est pas grand chose ici. Mon jour à moi est dans encore quelques temps, j'ai le temps de faire un peu ce que je veux de mes matins avant de pouvoir appeler ma famille.

Achroma me tend la main, une invitation à regarder le travail d'Eleanor sur un mannequin. En général, quand on pense « maquillage », on pense pas aussi « couture » ou « prothèse », mais je vois bien la manière dont Eleanor prend son temps pour coller des morceaux de tissus à des plumes en mousse, la manière dont elle prend soin de détailler chaque plume pour qu'elles soient plus vraies que vraies. Je la vois même griffonner des brouillons que n'importe qui ne sachant pas dessiner comme moi n'arriverait pas à déchirer à coté de trucs plus clairs comme un bec et des idées de comment en faire un.

Mon regard se perd sur son visage et sa concentration, la manière dont sa langue sort un peu pour humidifier ses lèvres qui ne sont pas maquillées. Ses cils blancs qui se referment sur ses yeux vairons trop concentrés pour remarquer comment je la regarde.

Je n'aime pas beaucoup les tâches de rousseurs sur les gens, en général. J'y peux rien, c'est comme ça, mais celles d'Eleanor se perdent dans des constellations et des formations qui me fascinent, et j'ai envie d'embrasser le grain de beauté juste sous sa bouche.