La semaine qui défile est une abomination. Un ramassis de remarques sexistes et de discussions autour de mes menstruations. Sérieusement, la vie des lycéens est-elle si fade pour que ce même sujet soit le centre des préoccupations une semaine durant ?
Je peine à garder la tête haute dans les couloirs du lycée, et j'ai ressorti mes jupes les plus longues. J'ai un style de mamie, c'est acté depuis que Kélyan a posté un mème là-dessus sur Instagram durant l'année de seconde. Il avait fait des centaines de j'aime. La honte.
Je porte chaque jour de l'année de jolies jupes que je trouve en friperies ou que je couds moi-même, lorsque l'inspiration me vient. L'été je laisse mes jambes nues dessous, et l'hiver je porte de gros collants bien chauds. Mes chemisiers à col, tantôt manches longues tantôt manches courtes, sont toujours assortis à la jupe que je choisis. Et puis, la prunelle de mes yeux, le cadeau que ma mère m'avait offert pour mes quinze ans et que je ne quitterais pour rien au monde : mes bottines dans un style des années 40'. Elles sont incroyables, brunes, lassées, un talon qui me grandit, qui allonge mes jambes. Quand je marche dans les couloirs, elles font un bruit de femme importante, celui des talons qui tape contre le sol. Ma confiance en moi est boostée par mille quand je les porte.
J'ai une passion dévorante pour cette époque, pour ce style vintage. Il me donne la réputation de mamie, mais c'est comme ça que je me sens moi-même. Mon film préféré : Rebecca, d'Alfred Hitchcock. Mrs De Winter est d'une beauté à couper le souffle, et je pompe sur ses fringues pour m'habiller.
Clairement, porter des jupes plus longues ne fait que renforcer ma réputation de vieille bique toute la semaine, mais qu'importe. Au moins, ça coupe l'envie de me reluquer.
— Ça va, c'est flatteur, se justifie Fabio vendredi matin, alors que j'ai enfin eu le courage de l'envoyer bouler à nouveau.
Malgré dix centimètres en plus sur mes jupes, il a quand même réussi à trouver un commentaire à me faire : « Ça te fait de jolies formes ».
— Je ne t'ai pas demandé ton avis ! je m'emporte, le cœur battant. Je n'ai pas besoin de vous pour me trouver belle !
Kélyan lève les yeux au ciel, Fabio rougit.
Nous nous tenons dans le couloir devant la salle de français. Toute la classe est présente et me regarde, encore une fois. Mais ces crétins ne m'ont pas laissée le choix. À trop me chercher, je finis par exploser et il est rare que je me laisse faire. Le conflit par les mots, c'est ma marque de fabrique, ma défense la plus naturelle. Je ne connais pas les barrières de la timidité, la réserve que voudrait nous inculquer la société. On m'emmerde, je crie. N'en déplaise à M. Hubert, Fabio et les Leila et Marylise qui ricanent en me dévisageant. Pour elles, je suis pathétique à oser me révolter devant tout le monde. Je me « donne en spectacle ». Agathe qui fait de siennes, Agathe qui se fout la honte.
Je n'ai pas à avoir honte d'envoyer bouler deux crétins qui pensent que c'est flatteur de me dire que ma tenue me fait de jolies formes.
— Je ne suis pas une poupée ! je crie avant de m'enfuir du couloir à toute vitesse.
Personne ne semble vouloir me lâcher les basques, ni comprendre que cette semaine j'ai besoin plus que jamais d'un peu de soutien. J'ai mes règles qui me mangent les ovaires, une douleur nouvelle qui me tord le ventre depuis des jours, je me vide de mon sang, ce qui me rend fatiguée et irritable et puis personne ne m'explique rien ! L'infirmière m'a donné un paquet de serviettes hygiéniques pour tenir la semaine et puis c'est tout. Éva et Bastien n'ont presque pas évoqué le sujet avec moi, comme si c'était le genre de problème qu'on ne partage pas avec les autres. Le truc tabou. Puis s'y ajoute toute cette affaire de sexualisation. Les lions m'ont pris en chasse. J'ai de jolies formes, maintenant. Un corps désirable, un appât qu'on a envie de croquer. Bordel, je n'ai rien demandé.
Je m'empresse de me cacher dans la cage d'escalier, assez loin du couloir de français. J'allume mon téléphone et me connecte à mon site web. De nouveaux commentaires ont été postés. « Génial ton histoire, meuf ! », « J'ai trooop hâte de lire la suite <333 », « Hermione et Drago s'embrassent au prochain chapitre ??? ».
Je décroche un sourire, contrant mes hormones colériques. Je me détends. Mes lecteurs ont l'air d'avoir aimé le chapitre que j'ai posté mercredi. Celui dans lequel Drago et Hermione se retrouvent seuls dans l'escalier. Elle trébuche et tombe, il l'aide à ramasser ses affaires. La première intention sympathique qu'il ait envers elle. Clairement, une grande avancée. Ce soir j'ai prévu d'écrire le prochain chapitre. Celui du baiser. Il lui avoue qu'il la kiffe, elle fait comme si elle le déteste, mais succombe à la tentation. Ils se roulent une grosse pelle dans les toilettes du dernier étage. Mais là, Pansy Parkinson, la copine officielle de Drago, les surprend. J'ai hâte, mes lecteurs vont enflammer l'espace commentaire, c'est certain !
J'écris depuis que j'ai douze ans des fanfictions sur Harry Potter. Ça me fait tripper. Je poste tout sur mon blog qui a, à ce jour, plus d'un millier de lecteurs. Clairement, on peut dire que je suis une star du net, la référence en matière de fanfiction. Surtout celles centrées sur Drago et Hermione. Un genre de enemies to lovers super sexy.
C'est mon univers, je m'y sens bien, je contrôle tout.
— Agathe, t'es là ?
Je reconnais la voix d'Éva. Elle apparaît au bas de l'escalier sur lequel je suis étalée.
— T'es en train de sécher le cours de français, t'es au courant ?
Je hoche la tête sans répondre.
— Allez, viens, sinon tu vas être collée tout le mois.
— J'en peux plus de cette classe. Ils me prennent pour une folle.
— Depuis quand c'est un problème ?
— Je ne sais pas, cette semaine j'ai l'impression que TOUT est un problème.
Mon amie vient s'asseoir à mes côtés et me caresse l'épaule.
— C'est les hormones, ma puce, on passe toutes par là, m'explique-t-elle calmement.
— Tous les mois ?
— Tous les mois, des années durant.
— Tout me fout la rage ! je lâche alors. Même toi et Bastien, je n'ai pas envie de vous voir. Je ne sais même plus pourquoi.
— On a vu ça... On a préféré te laisser un peu d'espace, t'avais l'air d'avoir envie d'être seule.
— C'est ce que je veux, mais quand je le suis, je déprime.
Éva dépose un baiser sur ma joue avant de se lever et de me tendre sa main.
— Maintenant, je suis là, et on va envoyer ce coup de mou à Tombouctou !
Je saisis sa main pour me relever et nous nous décidons à retourner en cours. Avant d'ouvrir la porte de la classe de français, mon amie m'avoue alors :
— Tu sais, tu devrais ignorer les remarques des garçons, c'est la meilleure manière de les faire taire.
Avant même que je n'ai le temps de la contredire, elle toque à la porte et entre en classe. Je mets quelques secondes à la suivre, un peu étourdie par la remarque qu'elle vient de faire. Laisser couler le sexisme, une solution ?
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Pour les curieux qui avaient remarqué l'étiquette "dramione" de l'histoire, vous avez maintenant l'explication ahah ! Il y a des fans de ce genre de fanfictions dans le coin ? Perso, j'ai jamais compris ce couple tant fantasmé 😂🤯
J'espère que ce petit chapitre transitif vous a plu ! J'ai hâte de développer un peu plus le personnage d'Eva 🧡
Je vous dis à samedi pour la suite (d'ailleurs si vous avez un horaire préféré, dites moi ?) 🌴
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La Loi de la Jungle
Teen FictionGRAND GAGNANT WATTYS FRANCE 2023 ✨ Au lycée privé Charles Darwin, la loi de la jungle fait régner l'ordre. Les lions au regard ténébreux n'ont qu'un désir : croquer les gazelles à pleines dents. Au milieu de cet environnement hostile, où l'adolescen...