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    J'intercepte Éva avant qu'elle ne descende au réfectoire pour dîner, le mardi suivant. Après la discussion que j'ai eu avec Bastien, j'ai fini par m'avouer qu'il a raison, si je ne fais pas le premier pas vers elle, on n'y arrivera jamais et on le laissera au milieu de nos états d'âmes. Ce qui est injuste.

— T'as quelques minutes pour qu'on discute ?

Dans une semaine, ça fera un mois pile qu'on ne s'est pas échangé un mot, elle et moi, sauf pour parler du rangement de la chambre et de vêtements disparus. Du jamais vu dans l'histoire de notre amitié.

Elle ne semble pas contrariée par ma proposition, au contraire, c'est presque comme si elle l'attendait avec autant d'espoir que moi, et ça me rassure.

— Ok.

Elle s'assoit en tailleur sur son lit et je m'installe sur le mien. Un silence s'immisce entre nous, ponctué par les éclats de voix des élèves qui descendent au réfectoire. J'ai passé les derniers jours depuis ma discussion avec Bastien à prévoir ce que j'allais dire à Éva, j'en ai même écrit quelques notes pour ne rien oublier. Mais, alors que je me tiens face à elle, je perds mes mots. J'ai le cerveau vidé, les pensées creuses, les neurones au ralenti.

Je ne sais plus quoi lui dire.

— T'as pas l'air d'avoir envie de me crier dessus cette fois, elle souligne d'un ton passif agressif qui me provoque un nœud dans la gorge.

— Je voulais juste qu'on s'excuse.

Elle lève un sourcil.

— Oui, toi et moi, je soutiens. On a déconné, à deux.

Comme elle ne répond pas et que son arcade sourcilière prend un angle inquiétant, je me vois contrainte d'ajouter, plein d'honnêteté :

— Et puis tu me manques.

L'autre sourcil s'élève et son regard passe de suspicieux à étonné. Je me mords la joue, pourquoi le morceau est-il si dure à lâcher ? « Je suis désolée », ça ne coûte rien, ce ne sont que des mots que je pourrais lui distribuer pour récupérer nos années d'amitié. Pourtant ils restent coincés.

Éva s'adosse au mur derrière son lit, tirant un coussin pour bien s'installer. Je me lève pour faire les cent pas sur le carrelage.

Notre fierté est en train de tout gâcher, Bastien a raison. Elle ne s'excusera pas tant que je ne l'aurai pas fait. Ça craint ce « à qui sera la première » ridicule.

Je n'ai pas envie de craquer, je n'ai pas envie de craquer, je n'ai pas env...

— Pardon.

Court, concis, direct. Un unique mot qui emplit la pièce. Un unique mot qui s'échappe de mes lèvres lorsqu'il s'échappe des siennes.

— T'as raison, on a fait toutes les deux des conneries, elle avoue d'une moue exaspérée.

— J'aurais pas dû te dire tout ça, te faire culpabiliser pour les affiches. Le bac avant tout, c'est ton droit.

— Et tu n'aurais pas dû me planter pour les révisons en passant l'après-midi avec Lily.

Je reste interdite.

— Quelles révisions ?

— Celles que tu m'avais promises, pour la spé, en échange pour que je participe à vos trucs féministes.

Je n'ai aucun souvenir de ça, et je crois que c'est ce qui m'en inquiète le plus. Je me rassoie sur mon lit en m'écroulant.

— C'est ça que je te reproche, Agathe, tu ne vois que ton nombril.

La Loi de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant