Lundi 25 avril, jour de la catastrophe.
Le cours de sport a commencé depuis plus d'une heure lorsqu'un cri retentit dans la piscine. Nous avons arrêté le badminton pour commencer natation au troisième semestre. Je n'ai pas plus grande phobie que de devoir me foutre en maillot devant toute ma classe qui comprend donc Fabio, Titouan et Kélyan les terreurs, Marylise et Leila les langues de vipère qui matent les vergetures de toutes pour s'en moquer en suite, et M. Hubert, cet immonde primate velu.
Et puis il faut poser les pieds sur du carrelage javélisé mais dont l'image des bactéries et virus attendant fièrement de pouvoir développer leurs verrues sur ma voute plantaire ne peut quitter mes pensées. Ou encore les bonnets qui nous arrachent des mèches entières de cheveux et qui font ressortir nos plus gros défauts.
Ceci est un plaidoyer contre la natation à l'école. Je hais ce sport.
De prime abord, l'ambiance de ce lieu et ses caractéristiques ne mettent pas en confiance, il est donc tout à fait compréhensif que, lorsque nous entendons un cri stridant retentir depuis les entrailles du grand bassin et voyons Kélyan tourner de l'œil et s'effondrer sur le carrelage, une vague de panique nous prend. Je m'arrête subitement dans ma longueur de dos crawlé. Éva, nageant derrière moi, me rentre dedans. Sophie sort à toute vitesse de la piscine et Leila crie à son tour par pur mimétisme. Le corps de Kélyan qui gît sur le carrelage verruqueux me donne un haut le cœur. Il faut FUIR.
M. Hubert, voulant voir au plus vite le drame qui vient de se dérouler sous les yeux, commet l'acte le plus impardonnable dans une piscine municipale : il court. Ce vieux schnock en perd une claquette, glisse et se rétame dans le bassin. Il bouscule Titouan qui essayait de sortir de l'eau et ils finissent tous deux à la flotte.
C'est une catastrophe. J'ai de l'eau qui commence à me rentrer dans le nez, je n'arrive à rien voir. Éva s'agrippe à mon épaule et je dois nous tirer jusqu'à l'échelle où la queue pour sortir du bassin est longue.
— Du calme, du calme ! s'époumonne le maître-nageur paniqué.
Il est accroupi devant le corps de Kélyan et lui fout des huiles essentielles sous le nez et du sucre dans la bouche.
— Y'a du sang m'sieur, y'a du SANG ! hurle Leila en poussant tout le monde pour sortir la première.
Nouvelle vague de panique face à cette annonce. Nouveaux cris. Ça se pousse dans tous le sens. Des vagues s'agitent dans le bassin. J'arrive à extraire Éva hors de l'eau, Fabio m'aide pour m'éjecter aussi et je lui tends ma main pour le hisser.
Une fois tirée d'affaire, j'ai une vue parfaite sur tout le bassin et c'est là que je peux la voir : une longue lignée de rouge dissout par l'eau longe la piscine, juste là où Kélyan commence à se réanimer. Cette traînée remonte le long du bord du bassin et rejoint une élève assise au bord, la tête enfouie derrière ses jambes repliées et ses bras croisés. Je reste horrifiée devant cette scène, incapable de réagir assez vite. Je me tourne vers Lily qui semble aussi affolée que moi.
M. Hubert, enfin remis de sa chute et capable de prendre les choses en main, n'en fait pourtant rien. Il reste moue comme un mollusque et regarde le maître-nageur s'enquérir de l'état de Kélyan. Le sang de Marylise à quelques mètres d'eux ne semble pas l'en inquiéter. Par chance, Sophie arrive très vite, une serviette dans les bras, et la pose sur les épaules de Marylise pour la cacher.
— Allez voir ailleurs ! crie-t-elle dans notre direction.
Nous, voyeurs passifs qui avons humiliés Marylise en prenant panique.
Éva me sert dans ses bras. M. Hubert ne tarde pas à nous envoyer nous changer dans les vestiaires où nous rejoignons Lily.
Nous ne retrouvons Sophie que plus tard dans la journée, après le déjeuner. Elle a laissé un message sur le groupe WhatsApp Grainedecourge : « Urgent, rdv au foyer. »
Adélie et Shainez ne peuvent nous rejoindre, notre réunion au sommet se fait donc en petit comité : Sophie, Camille, Lily et... Leila ?
Je suis tellement surprise de la voir installée sur le fauteuil à côté de Sophie que je reste figée sur place. Lily doit me donner un coup d'épaule peu discret pour que je me réanime.
— C'est quoi, l'urgence ? s'enquiert Camille qui n'a pas assisté au cours de natation.
Sophie nous invite à nous asseoir avec elles. J'hésite avant de finalement prendre place. Je n'ai en rien oublié les révélations que m'a fait Éva. Leila est celle qui a détruit notre action du 8 mars en me balançant à Mme Vincent alors, qu'est-ce qu'elle fout là ?
Notre cheffe de groupe, détaille en pesant ses mots à Camille ce qu'il s'est passé ce matin. En l'entendant, les souvenirs de ce moment lunaire me reviennent et je sens mon ventre se tordre. Ce qui est arrivé à Marylise est bien pire que mon histoire de tache sur mon short. Camille est aussi choquée que nous.
— Et personne à part toi n'a réagi ? s'emporte-t-elle. Vous vous êtes barrés de l'eau comme si elle y avait fait entrer la peste ?
— Pour notre défense, on n'a vu qu'une fois sortis du bassin ce qu'il se passait, j'explique.
— On a vu Kélyan en premier, puis Marylise ensuite, ajoute Lily.
— Je suppose que M. Hubert a brillé, comme toujours ?
— Il était à un rien de tourner de l'œil aussi, peste Sophie.
Je ne l'ai rarement vue aussi énervée. Des marques lacèrent sont front tant elle doit le plisser depuis des heures et ses jambes trembles de tics nerveux.
— Comment va Marylise ? demande alors une voix au-dessus de moi.
Je lève la tête, c'est Éva. Elle pose ses fesses sur l'accoudoir du fauteuil de Leila et lui caresse le dos. Pour la première fois, cette dernière lève son regard qui était jusqu'ici rivé sur ses baskets.
— Elle est à l'infirmerie, dit-elle d'une voix basse que je ne lui ai jamais entendue.
— Comme si l'infirmière allait pouvoir l'aider, crache Camille. C'était avant la piscine, qu'il lui aurait fallu un tampon.
— Je ne comprends pas pourquoi elle ne m'en a pas demandé un, avoue Leila, le regard si désolé que j'en viens à avoir de la peine pour elle. J'en avais plein.
Des perles de larmes naissent au tournant de ses yeux. Éva la serre contre elle.
— Elle a dû avoir peur que d'autres le sache, la réconforte-t-elle. Tu n'y es pour rien.
— Elle n'aurait pas dû avoir peur de ça ! s'exclame Leila avant de plaquer ses mains contre son visage, ne retenant plus ses émotions.
Les tics de Sophie ont plus d'amplitude que jamais, la nervosité de Camille se répand en nous si vite que ça en devient viscérale. Je ne ressens aucune satisfaction que Marylise ait subi ce que j'ai vécu. Malgré toutes ses moqueries et ses coups bas envers moi depuis la seconde, personne ne mérite ça. Il n'y a pas de honte à avouer ne pas avoir de protections hygiéniques, d'avoir besoin d'un tampon, d'en taxer aux autres. Ok, ça coûte un prix et lorsque le lycée ne comprend pas encore la nécessité d'en donner à ses élèves, comment fait-on pour s'en procurer ? Nous sommes tellement en colère. Marylise a préféré mettre du PQ dans son maillot plutôt que de demander à sa meilleure amie de l'aider. Par honte ? Par pudeur ? Comment peut-on accepter de telles justifications pour nos menstruations, un procédé naturel qui touche la moitié de la population ? C'en est vraiment trop. Nous le ressentons toutes mais c'est Sophie qui se lève la première.
— J'ai décidé qu'on allait avancer d'une semaine notre distribution, et que nous n'allons pas juste faire une distribution, annonce-t-elle. Ce soir, 17 heures, on sort dans la cour et on dit non au tabou !
J'ai les jambes qui tremblent et le cœur qui palpite. Les yeux de Leila sont perplexes, ceux de Lily curieux, et le vert de ceux de Camille reflètent son enthousiasme. On a vraiment le droit de faire ça ?
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J'espère que vous avez survécu au drame 😥
Demain, c'est la révolte, et le dernier chapitre ! 🔥
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La Loi de la Jungle
Novela JuvenilGRAND GAGNANT WATTYS FRANCE 2023 ✨ Au lycée privé Charles Darwin, la loi de la jungle fait régner l'ordre. Les lions au regard ténébreux n'ont qu'un désir : croquer les gazelles à pleines dents. Au milieu de cet environnement hostile, où l'adolescen...