Les filles n'ont pas tort. Cette affaire est une histoire de sexualisation. La vie est une histoire de sexualisation. Même moi, je sexualise mon monde. Je mate Lily en cours d'anglais, reluque les biscoteaux de Fabio au basket, contemple Scarlett Johnson au début de Lost in Translation (puis tout le reste du film). Sérieux. Je suis un engrenage comme un autre dans la grande machinerie du sexe de la planète. Des millions d'années d'évolution et rien n'a changé, l'Homme est toujours avide de se reproduire. Comme les lions, les saumons et les goélands. On n'échappe pas aux lois animales, aux pulsions naturelles.
Je m'envole dans des théories darwiniennes en contemplant les affiches qui tapissent les murs de la salle de SVT. Deux babouins en plein coït sur l'une, ça avait fait marrer Fabio la première fois qu'on l'avait vue en seconde. La prof l'avait calmé en lui expliquant que c'était comme ça que ses parents avaient fait pour qu'il voie le jour, plus personne n'avais osé ricaner depuis.
Je détourne mon regard de l'affiche. Si quelqu'un me surprend, ça pourrait devenir gênant. Les roches sur ma paillasse me lancent des regards accusateurs. Ouais, je m'occupe plus des babouins que d'eux mais bon, aujourd'hui, je suis tracassée. Elles ne peuvent pas comprendre, elles. Les roches, ça a le mérite de ne pas être sexuel. C'est le kiff ultime, elles ont tout compris à la vie. Elles ne mangent pas, ne boivent pas, ne baisent pas. Elles sont là à se dorer la pilule au soleil ou à se prélasser au fond de la mer. Sérieux, la belle vie. Si elles ont envie de changer de corps, elles se laissent engloutir par une subduction qui traîne dans le coin, passent en fusion et hop, jaillissent à la surface comme neuves. Et pour faire des petits, un petit coup de vent ou d'eau dans la figure, ça se fissure et hop, une ribambelle de gosses déjà prêts à croquer la vie.
Avec des théories pareilles, les cours de SVT c'est vraiment le plaisir de la semaine. Il se passe trop de choses incomprises sur cette Terre pour qu'on les laisse là où elles sont. Il faut qu'on les découvre, à grand coup de microscope et de pioche.
— Meuf, c'est du quartz ou du feldspath ? grogne Éva à côté de moi.
— Quartz, je réponds en jetant un coup d'œil à sa lame par l'intermédiaire du microscope.
Éva note vite fait sur notre compte-rendu de TP notre trouvaille.
— T'as passé un bon week-end ?
Je déteste qu'elle me demande ça alors que je sais très bien que le sien a été merveilleux. Elle a sûrement dû aller au bowling avec ses parents samedi soir et fait une rando hier aprèm.
Berk, la jalousie c'est bof. Je me gonfle.
Je hoche la tête en me concentrant très fort sur ma propre lame. Olivine. Trop simple.
— Faut que je te raconte, chuchote-t-elle en s'approchant.
Elle jette un regard au binôme qui travaille sur la paillasse derrière nous. Clairement, aucun souci à se faire, ils viennent de casser une lame et sont super concentrés à faire en sorte que la prof ne le remarque pas.
— Bastien est venu à la maison samedi, me révèle Éva.
Je me tends.
— Et ?
— Bah devine ! s'exclame-t-elle, super excitée.
Je reste blasée. Deviner quoi ? Que mes meilleurs potes se voient tellement sans moi le week-end qu'ils se sont mis en couple, qu'ils ont passé leur temps à se rouler des pelles, que Bastien est venu à la soirée bowling ? Pas le temps de deviner quoi que ce soit, j'attrape une nouvelle lame et l'observe au microscope. Du pyroxène, à la bonne heure. Même pas besoin de passer en lumière polarisée. Il serait temps que Mme Daoudi nous donne des minéraux plus complexes à identifier, on s'ennuie grave, là. Et je n'ai plus d'excuse pour éviter Éva et la potentielle discussion gênante qui va suivre.
Je détourne enfin mon regard toujours blasé des oculaires et l'ancre dans le sien.
— Alors ? me presse-t-elle.
Comme je ne réponds rien, elle s'approche.
— On l'a presque fait.
Elle chuchote tellement près de mon oreille que j'en reçois des postillons, ça me dégoûte. J'ai le rouge aux joues qui commence à prendre ses aises, je ne sais plus comment détourner la conversation.
— Cool.
— T'as rien d'autres à me dire ? rit-elle en s'éloignant.
Parce qu'il faudrait la féliciter, en plus ? Lui offrir une glace comme un enfant qui a réussi à rouler 10 mètres sans les petites roulettes à vélo ? Non mais sérieux, on est où, là ? Elle me saoule. Avoir des potes en couple, c'était déjà la plaie, alors des potes qui couchent en plus de ça ensemble, ça ne va pas me plaire du tout. Il est temps que je me trouve des copains plus sains.
— C'était bien ? je grommelle sans réel intérêt.
— Je ne vais pas tout te raconter mais, si tu veux, on en parle ce soir, elle pouffe en mordillant son crayon.
Si, elle va tout me raconter. Je vais devoir y passer. Car, à part moi, à qui elle pourrait le dire ? Elle ne va pas aller analyser sa première fois avec Bastien, ça serait bête. Même si honnêtement, je trouverais ça bien plus logique.
— Ça s'est passé chez moi, tient-elle quand même à préciser, dans ma chambre.
C'est trop pour moi, par pur réflexe de survie, je lève ma main en l'air.
— Tu fous quoi ? s'étonne mon amie.
— Oui, Agathe ? m'interpelle la prof en s'approchant.
— On a fini le TP, m'dame.
— Super, bien joué. Allez aider vos camarades en attendant la fin de l'heure.
Mes rêves sont exaucés. Merci la vie. Je me lève de mon tabouret et me dépêche d'aller voir Chloé et Lisa qui galèrent à chaque TP.
Du coin de l'œil, je regarde Éva qui se dirige vers un autre binôme, les bras ballants.
J'ai une petite pointe au cœur d'être cruelle comme ça. Elle voulait m'avouer un secret de sa vie et moi je lui ai tourné le dos sans scrupule. On se racontait beaucoup de choses quand on était petites, nos histoires, nos passions, nos amours et nos secrets. J'adorais ça. Mais c'est vrai que depuis qu'on est entrées au lycée, ça a un peu changé. Déjà, le fait qu'ils se soient mis en couple avec Bastien, ça m'a bien chauffée et puis, il y a tout le reste. J'ai l'impression qu'avec Éva, on est plus sur la même longueur d'onde, qu'en grandissant on s'éloigne. Je l'adore, mais je ne sais plus quoi lui raconter. Je n'ai pas de secret et elle en a un paquet. Toutes les premières fois de la vie elle est en train de les faire alors que je reste bêtement devant mon ordi à écrire des fanfictions qui ne me mèneront nulle part.
Le pire, c'est que je la vois traîner de plus en plus avec Leila et Marylise. Les meufs stylées du lycée. Elles, les jupes plus courtes, elles n'en ont pas peur et ça m'agace. La chance. En plus, elles sont déjà allées en boîte aux dernières vacances, car la sœur de Leila a vingt ans et qu'elles ont trafiqué leur carte d'identité. Clairement, Éva ça l'enchante de se rapprocher d'elles. Sans moi pour le coup, encore une affaire dans laquelle je n'ai pas envie de la suivre.
Je peste en silence en la voyant s'asseoir avec les deux amies. Ça envoie direct les remords de notre dernière discussion qui commençaient à m'envahir au pays des clochettes. Dans tous les cas, elle me la racontera sa fichue partie de jambes en l'air. Je le sais, on dort dans la même chambre.
___________________________
On entame une fichue histoire de sexualisation pour cette nouvelle partie !🌴
J'espère que le chapitre vous a plu, on approfondit un peu plus l'amitié entre Agathe et Eva... 🤗
Je vous dis à samedi pour la suite !
![](https://img.wattpad.com/cover/318853791-288-k702841.jpg)
VOUS LISEZ
La Loi de la Jungle
Teen FictionGRAND GAGNANT WATTYS FRANCE 2023 ✨ Au lycée privé Charles Darwin, la loi de la jungle fait régner l'ordre. Les lions au regard ténébreux n'ont qu'un désir : croquer les gazelles à pleines dents. Au milieu de cet environnement hostile, où l'adolescen...