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     Il est trois heures du mat' et je mate La Vie d'Adèle sur mon téléphone, cachée sous la couette pour ne pas réveiller Éva. On doit se lever à 6h30 pour arriver au Futuroscope le plus tôt possible pour profiter de la journée et, pourtant, je ne peux couper le film. J'analyse chaque scène comme si c'était ma vie. Là, j'en suis au milieu du film, au passage critique. La nudité d'Adèle s'étend de toute part. Sa peau lisse, ferme, qui semble être d'une douceur exquise se fait caresser par les mains désireuses d'Emma. Sa langue goûte à sa peau, redessine ses formes. Adèle ferme les yeux, sort sa tête des cuisses d'Emma pour se laisser partir dans la jouissance. Elles se touchent, se palpent, se caressent. La pointe de leurs seins est tendue, leurs bouches n'en forment plus qu'une. Elles gémissent, s'embrassent.

Il fait sacrément chaud sous la couette. Je deviens moite face à toute cette peau qui s'excite sur mon écran. Il y a des plis partout, des mains qui se baladent. J'en perds très vite les raisons qui m'ont poussée à lancer le film. C'est ma mère qui me l'a conseillé en plus, comme elle m'aurait proposé une émission sur Arte, dans le plus grand des calmes. Se doutait-elle que je perdrais tous mes moyens devant l'histoire d'Adèle et Emma ? Mon rythme cardiaque s'affole, à l'intérieur de mon corps tout est en ébullition. Elles sont belles, comme ça, à s'aimer, à libérer tous leurs désirs. Leurs cheveux volent, leurs corps dansent l'un sur l'autre. Cinq minutes, dix minutes... J'avais pourtant vu sur TikTok qu'on avait rarement assisté à d'aussi grosses scènes de sexe sur Netflix que dans La Vie d'Adèle. Mais ça me prend quand même par surprise. Je cache ça sous le prétexte de parfaire ma culture cinématographique.

J'essaie de garder mon calme, de me concentrer sur ce qu'il y a au-delà de l'écran, de comprendre la logique du film, les formes artistiques que créent les corps, de les regarder sans vraiment y porter de l'intérêt.

Puis c'est le dernier baiser, la dernière caresse. Six pouces d'écran de téléphone remplis de peau délicieuse et c'est fini, je respire à nouveau.

Le film continue et je me détends. Le pire dans cette histoire, c'est qu'Adèle n'a que dix-sept ans. Ça me chiffonne grave. Son corps est incroyable ! Elle semble de pas connaître l'acné, ses lèvres sont pulpeuses à souhait, ses seins sont parfaits, son corps bien dessiné. On est clairement loin de ma réalité. J'ai des seins plats et tombant et des vergetures le long de mes hanches trop blanches. Et puis, elle est en train de coucher avec une fille bien plus vieille, majeure et tout ! Elle l'a même déjà fait avec des garçons. Elle a été aimée, elle a été désirée. Alors que moi, à dix-huit ans moins quatre mois, je n'ai jamais connu personne. Franchement, soit le film manque de réalisme, soit je suis en retard dans mon adolescence.

« L'âge au premier rapport sexuel s'élève aujourd'hui à 17,6 ans pour les filles et 17,0 pour les garçons », je lis alors sur internet. Sacrée connerie de ma part, ça me gonfle grave. On n'a pas idée de donner des chiffres comme ça. Direct, ça me crée des envies de comparaison. Et voilà, ils ont gagné, ça me renferme dans mon objectif : si l'âge moyen est avant dix-huit ans, il est hors de question que je reçoive mon premier baiser après. Je ne ferai pas partie de ces adultes sans adolescence, mais plutôt de l'autre moitié, celle digne d'un bon film américain. Il faut que je me bouge les fesses, que je parte en soirée et que je chope quelqu'un. Quelqu'un de magnifique. Comme Adèle. Comme Lily.

Ouais, faut que je chope Lily.

Le mot « chope » me met mal à l'aise. On va dire embrasser. Voilà. Il faut que j'embrasse Lily. C'est la plus belle des idées. Et, demain, on montera en haut de la Gyrotour main dans la main. Âmes sensibles, s'abstenir.

*

     Les valises sous mes yeux se sont transformées en conteneurs. Le nouveau Bienvenue à Zombieland avec Agathe Legrand en tête d'affiche, dans le rôle de la zombie les tripes à l'air mais sexy. Le CPE me jette des regards inquiets qui se veulent discrets mais je capte tout. Je suis le haut de gamme des morts vivants.

Le bruit de l'imprimante anime à lui seul l'ambiance dans le bureau de M. Riou. J'ai l'impression que ça fait des plombes qu'on attend là lorsqu'elle recrache enfin la feuille en émettant un bip suraigu. Le CPE l'attrape et l'analyse un moment.

— Tout me semble bon. Votre père a signé, vous pouvez rejoindre le bus, Agathe.

Il me tend mon autorisation de sortie pour le Futuroscope. La prunelle de mes yeux, la clé du paradis. Je l'attrape d'un geste et, aussitôt, je file en courant rejoindre le car. À moi la liberté, loin du bahut et de Nantes. À moi mon premier baiser !

Le véhicule est garé sur le parking du lycée. Le reste des internes qui participent à la journée est déjà installé à l'intérieur. Je suis la dernière, mais rien à faire, Papa a signé mon autorisation ! C'était moins une, j'ai dû l'appeler dix fois avant qu'il décroche. Le temps qu'il allume le post de l'ordinateur fixe familial et qu'il ouvre sa boite mail, le CPE a eu le temps de se faire couler deux cafés.

— En voiture, Simone ! je crie comme un beauf en montant dans le car.

Amina, une AED qui nous accompagnera toute la journée, éclate de rire en vérifiant mon autorisation.

— C'est bon, tu peux monter.

Je sautille dans le couloir en faisant virevolter ma jupe. Futuroscope, me voilà.

Ce matin, on a un peu plus de deux heures de route avant de rejoindre le parc. Il me faut donc me trouver une place stratégique pour passer le plus agréable des trajets. Et roupiller un coup, aussi, car Adèle et Emma m'ont épuisée.

Mais, à peine quelques petits sauts ravis sans le couloir que la dure réalité se présente à moi : tous les sièges sont pris. Éva et Bastien s'embrassent déjà au fond du bus, Lily est en pleine conversation avec Camille. Sophie est installée à côté d'Amina. Et tous les autres PNJ du roman ont trouvé un binôme. Tous, sauf un.

Je reste figée dans l'allée.

— Agathe, installez-vous, on démarre ! fanfaronne le CPE en attachant sa ceinture.

Le moteur du bus se met alors à ronronner sous nos pieds et je me vois contrainte d'occuper la dernière place restante. Celle aux côtés de Fabio Valentini et ses gros biscoteaux. La poisse. Il n'avait pas des potes à la base, lui ?

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Qui est ravi de retrouver Fabio ?? Ça faisait longtemps, j'avais peur que vous l'oubliiez. 😁

Bon, chapitre court et j'ai failli oublié de poster. J'espère qu'il va quand même vous plaire ! J'avais envie d'explorer pas mal de questions autour de la sexualité avec Agathe. La pression qu'on met autour, son importance à cet âge,  la comparaison, le refus etc.  C'est clairement un challenge, j'espère que ça saura résonner en certain!

Samedi, c'est direction le Futuroscope ! J'ai hâte de vous y voir (lol) 🌴🧡

La Loi de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant