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— Alors, c'est quoi le plan ? demande Camille avec entrain. On démonte qui ?

— Personne, la calme aussitôt Shainez. On va la joue fino, dans l'ombre.

Camille fait la moue et se laisse tomber sur le coussin derrière elle.

Nous avons profité de notre mercredi après-midi de libre pour nous rendre dans le centre de Nantes. La pluie nous ayant surprises, nous avons pris place dans un petit café qu'Adélie affectionne. Il est adorable. Complètement décoré à l'effigie de Central Perk, le café emblématique de Friends. Gros canap', tasses immenses, musique acoustique, serveur un peu benêt, le rêve.

— Le problème, dans nos lycées, c'est d'abord l'insécurité.

— Due à M. Hubert ! crache Camille.

— Entre autres, mais pas que, tempère Shainez. Les remarques, on les subit essentiellement en cours de sport, mais aussi dans les couloirs, au self, à l'internat. En fait, où qu'on aille.

— C'est ça partout, de toute façon, glisse Éva, que nous avons invité cette fois. Me faites pas croire l'inverse.

— Mais ça ne devrait pas, intervient Lily, un peu contrariée.

Assise en face d'elle, j'arrive à sentir le feu qui brûle ses joues. Quand il est question des sujets qui la touchent, elle change totalement. Elle est déterminée et attentionnée. J'adorerais être pareil. Mais l'engagement n'a jamais été mon fort. Pourtant, Maman parcourt le monde avec son appareil photo pour capturer la vie, la vraie. Avec son lot de pauvreté et de cruauté. Elle m'a élevée comme ça, interdiction de fermer les yeux sur le monde et de s'enfermer dans son confort privilégié.

Je pense à elle car elle m'a envoyé une photo ce matin. Un selfie au milieu de l'Amazonie, s'il en reste encore, accompagnée d'un « Bisou de chez les babouins et les mygales !!! Maman. ». Puis une multitude de smileys marrants.

Elle est trop forte. Lily est trop forte, Camille m'impressionne. Elles ont une cause qui leur prend les tripes et pour laquelle elles donnent tout. Maman sillonne le monde, quitte à envoyer ses enfants en pensionnat, mes amies s'organisent, s'inquiètent pour les autres filles du bahut qui, pourtant, ne leur demandent rien. « On fait ça aussi pour nous » m'ont-elles expliqué une fois. Mais je sais qu'elles font ça surtout pour les autres, pour une vie plus belle.

Je ne sais pas trop pourquoi je suis là, avec elles. Sûrement à cause de Fabio, M. Hubert, et la fichue tache de sang qui a peinturluré mon short en janvier. Honnêtement, j'essaie de ne pas trop y penser, de me laisser porter. Ça me permet de me rapprocher de Lily, et de me faire de nouvelles amies.

— J'ai pensé à autre chose qu'une offensive, nous expose Shainez calmement. Je ne veux pas être pessimiste, mais faire changer la vieille mentalité de nos lycées, ça semble être mission impossible.

— Donc on subit et on panse juste les plais après ? grogne Camille.

Un électron libre, cette fille, pas le genre à rester les bras croisés sans rien faire.

— Non, ce n'est pas l'idée, reprend Shainez, un poil agacée. Le problème principal, c'est le manque d'information sur le sujet. Les garçons sont insultants car ils n'y connaissent rien. Ça n'est pas vraiment leur faute, ils n'ont pas notre corps. Le problème vient d'en haut : on devrait avoir des cours qui nous informent concrètement sur nos corps, leurs changements.

— Mais ce n'est pas à nous d'aller éduquer ces crétins.

— Si on ne les éduque pas, ils continueront à renforcer ce harcèlement constant et ce tabou autour de nos menstruations.

La Loi de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant