Et si c'était une histoire de sororité ?

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    Mon short taché de faux sang fièrement porté, je m'avance pour glisser mes bras entre celui de Lily et celui de Fabio. Je les tire avec moi et nous marchons au milieu de la cour.

Camille a réussi à faire tourner le message en moins de deux heures. De conversation de classe à conversation de classe, Charles Darwin a été prévenu qu'un grand rassemblement aurait lieu dans la cour à 17 heures. Et ce rassemblement vaut le détour : Lily a dégainé son maquillage de sorcière pour colorer de rouge les vêtements de ceux qui seraient prêt à le faire. Comme elle leur a assuré que ça partirait au lavage, plusieurs filles se sont portées volontaires. On est donc une trentaine à défiler dans la cour avec nos pantalons tachés de faux sang et des serviettes hygiéniques, sorties de leur pochette secrète du fond de nos sacs, brandies bien haut.

J'ai même réussi à motiver Fabio qui a pris la cause très à cœur. Lily a accepté de rougir l'arrière de son jogging et il marche avec moi comme si c'était sa place. Dire que c'est le tocard à cause de, ou grâce à, qui tout a commencé. Comme quoi, on change tous.

Bastien et Éva marchent devant nous. Ils sont timides et ça les rend adorables. Main dans la main, ils ont bien voulu venir avec nous. Les galères de Marylise, les miennes, ce sont celles de toutes, de tous, alors pas d'autruches. Nous renversons les lois de la jungle et en prenons les rênes. Marre d'être contraintes de rester silencieuses et cachées. Marre des Kélyan humiliants et des M. Hubert dégradants.

A l'avant de notre cortège qui tourne en rond, Sophie, Shainez et Adélie distribuent nos serviettes cousues avec amour à tous les élèves qui passent par là. Nous n'en aurons pas assez, mais qu'importe, le geste compte. Les filles paraissent ravies tandis que les garçons grimacent avant de les donner à leurs copines. J'aperçois Corentin en attraper, justement, pour en offrir à Clémentine et ça me fait sourire. Camille, à l'arrière, crie haut et fort : « PAS DE TABOU, C'EST NOTRE SANG ». Elle est à fond, c'est son moment.

Marylise n'est pas venue, et personne ne lui a demandé de le faire. Elle mettra peut-être plusieurs jours à oser réapparaître au lycée, si elle revient, même. Nous lui avons certifié qu'on serait là pour la soutenir, qu'aucune rumeur n'auraient sa place dans les couloirs tant que nous serions là pour les détruire. J'ai le cœur serré qu'une honte qui n'aurait jamais dû avoir lieu lui empêche de vivre les dernières semaines au lycée de sa vie. C'est ça, la plus grosse honte finalement.

C'est Sophie qui prend la parole devant Mme Vincent, M. Rioux et même le Proviseur qui a daigné sortir de son bureau. Elle, élève de terminale la plus calme et prometteuse, porte un carton rempli de protections hygiéniques, a du faux sang sur les joues et la jupe, et explique à l'administration pourquoi nous sommes là, pourquoi Marylise est rentrée chez elle en pleurant aujourd'hui, comment l'infirmière et M. Hubert nous traitent lorsque nous arrivons, nous, jeunes filles de quatorze à dix-huit ans avec nos règles et tout ce que ça engendre. Elle a plus de finesse que Camille, plus de réserve que je n'en aurai jamais. Ce n'est pas pour rien qu'elle va aller en Science Po l'année prochaine. Elle parle comme elle respire, persuade d'un claquement de doigt. Elle n'attaque personne, mais défend notre cause, elle avoue nos tords d'avoir organisé notre marche sans accord, mais explique les raisons.

A présent, une cinquantaine d'élèves se tient dans la cour et elle en est le noyau. Nous sommes pendues à ses lèvres, même cette psychorigide d'ajointe de direction, Mme Vincent, boit ses mots.

Et lorsque Sophie pose le point de son discours, le lycée Charles Darwin tout entier est comme suspendu dans le vide. Je prends la main de Lily dans la mienne, resserre mon bras autour de celui de Fabio. Mme Vincent prend une grande inspiration avant de demander :

— Vous voulez quoi ?

— La mise en place de distributeurs de protections hygiéniques dans le lycée. Et que la journée des droits des femmes le 8 mars soit marquée.

— C'est tout ?

Nous hochons la tête en cœur. Mme Vincent reste interdite un moment, nous dévisageant tour à tour.

— Pourquoi n'êtes-vous tout simplement pas venues dans mon bureau pour me le demander ?

C'est à notre tour de rester sidérées. Se moque-t-elle de nous ?

Je lâche alors Lily est Fabio pour me frayer un chemin et me tenir aux côtés de Sophie.

— Vous n'avez jamais voulu nous écouter. Lorsque je vous ai présenté nos idées d'affichage pour le 8 mars, vous êtes restée fermée et n'avez rien voulu entendre, j'ose formuler, à peu près certaine d'être bonne pour être en retenue jusqu'à la fin de l'année. Avec tout votre respect, aujourd'hui nous nous sommes réunis car ce qui est arrivé à notre camarade à la piscine nous a touché, et nous ne voulons plus que ça arrive. Même si l'année et le lycée se termine pour nous dans trois semaines, nous voulons permettre aux prochaines promos de pouvoir évoluer dans une école sûre, ou du moins dans une école ou avoir ses règles n'est pas une honte. Ça construira des citoyens exemplaires et informés.

Mme Vincent me dévisage avec sérieux, et je n'arrive à lire si elle paraît comprendre ce que je dis ou non.

Camille me rassure d'un regard que j'ai dit les bons mots, je souffle un peu.

Les lèvres de Mme Vincent se détachent avant de lâcher :

— Très bien, que les moteurs de ce mouvement me suivent dans mon bureau, nous allons discuter de tout ça.

Sophie attrape mon bras de surprise, Camille peine à contenir sa joie. Nous suivons Mme Vincent, Adélie, Shainez et Lily sur nos talons, et j'invite Éva à nous accompagner. Surprise, elle se tourne vers Bastien pour lui demander son avis. Comme il hausse les épaules, elle fait son choix, et son choix est avec moi.

Mme Vincent et l'administration n'ont encore rien validé, nous n'avons aucune certitude que notre détermination débouchera sur quelque chose de constructif et durable. Pourtant, aujourd'hui, nous avons ouvert une première porte de discussion avec le lycée, une étape nécessaire pour réécrire les lois de cette jungle qui nous déplaisent tant. Nous avons le droit d'être fières.

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Et voilà le dernier chapitre 🥺 vous avez espoir pour la suite ? J'espère qu'il vous a plu 🧡

Je ne vais pas vous mentir, j'ai écrit les chapitres il y a plus de 2 mois donc je ne les ai pas réactualisés selon vos retours... Je savais que Lily était un personnage assez flou, mais je ne m'étais pas attendu à ce qu'elle soit si peu aimée 😂 donc en fait il n'y aura pas plus de développement sur son personnage... Je suis un peu embêtée car j'ai cru comprendre que vous ne demandiez ahah! Je ne veux rien vous promettre car je suis en ce moment sur l'écriture d'une autre histoire qui me prend mon énergie, mais peut être que je sortirais un petit bonus pour clarifier un peu plus sa relation avec Gagathe😬

Je vous retrouve demain pour l'épilogue !!! 🥳🌴

La Loi de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant