La Loi de la Jungle

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    J'ai ignoré les appels de mes parents tout le week-end. Le lundi matin, je leur ai seulement envoyé un sms pour qu'ils se calment : « Je passe mes épreuves de spé cette semaine. On en parle plus tard. » Ils comprendront, j'ai d'autres priorités. Surtout qu'une de mes spés c'est la SVT, que ça va compter pour mes admissions pour l'année pro, et que foirer cette matière serait une calamité pour mon égo. J'ai conscience que je me la pète, mais en même temps, c'est mon domaine. La chimie et la philo sont mon talon d'Achille alors que pour la génétique, j'assure grave. Si j'ai moins de dix-huit sur vingt, je ne pourrai plus jamais me regarder dans un miroir.

Je profite des heures de retenue qui m'ont été attribuées de dix-sept à dix-huit heures, puis de l'heure d'étude qui suit chaque jour pour réviser d'arrache-pied les leucocytes, les mitochondries et les grandes étapes de subduction continentale. Lily et Sophie, à côté de qui je m'assoie désormais, s'arrachent chaque soir un peu plus les cheveux devant leurs cours de maths. J'ai de la peine pour elles, elles n'ont pas choisi au plus simple. Les équations du second degré et probabilités me donnent facilement des migraines.

Dans la chambre, toute la semaine, je sens Éva plus angoissée que jamais au bordel qui traine, et mes propres peurs monter en flèche au temps que je passe à tout ranger. Une chambre ordonnée pour un esprit dégagé, c'est important. On ne se parle pas et ça me donne mal au ventre. J'ai envie de lui dire de ne pas s'en faire, qu'elle connaît le métabolisme du glucose comme personne, qu'elle va assurer. Je sais qu'elle flippe car elle pense qu'elle n'aurait pas dû choisir SVT. Elle a voulu nous suivre avec Bastien, mais son truc à elle, ce sont les langues. Elle parle anglais quasiment couramment et maîtrise très bien l'espagnol. Avant que les révisions créent un vortex temporel l'en empêchant, elle apprenait en autodidacte le norvégien. J'adorais l'entendre répéter des velkommen et des takk devant son ordinateur.

     Jeudi, le jour de l'épreuve écrite de SVT arrive vite, trop vite. J'entre dans la salle de classe dont les tables ont été espacées pour qu'on ne puisse pas tricher. Honnêtement, je ne sais pas qui oserait se coller une antisèche sur le bras : être interdit d'examen pendant 5 ans si on se fait choper, c'est une menace assez dissuadante. Je me dirige vers ma table attitrée. Éva n'est pas loin. Elle a noué ses cheveux en un chignon haut, porte ses lunettes de travail et s'emmêle dans ses fiches. Lorsque je lui passe devant, l'une d'elle s'écrase à mes pieds et, instinctivement, je me baisse pour la lui rendre.

On se dévisage un instant avec malaise.

— Merci, souffle-t-elle avant de se détourner pour étaler ses surligneurs sur la table.

Bastien lève haut son pouce vers moi lorsque je croise son regard en m'asseyant à ma place. Nous savons tous les deux que c'est ici que tout se joue : celui qui aura la meilleure note à l'épreuve devra un bubble tea à l'autre. Pari tenu. Si l'exercice principal est en géologie, le score risque d'être très serré et la boisson bien coûteuse.

— Pas de trousse sur la table et faites attention à ne pas salir vos copies si vous gardez un snack ou de l'eau, nous rappelle Mme Thomas, professeur de français impartiale en sciences de la vie.

Fabio, dont la table se trouve pourtant à l'opposé de la mienne, s'approche de moi à grandes enjambées.

— T'aurais un stylo s'te plaît ?

Je reste interdite.

— Tu déconnes ?

Mais ses yeux sont emplis de panique.

— J'ai oublié ma trousse.

Je lui tends un quatre couleurs et quelques crayons pour qu'il puisse réaliser des schémas un minimum propres.