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    Nos parents ont réservé un Airbnb pour le week-end dans le seul but de nous voir, Corentin et moi. On aurait pu prendre un billet de train et les rejoindre à la maison s'ils nous en avaient parlé, mais ils ont préféré l'idée de la surprise.

— Ça faisait un moment qu'on voulait venir à Nantes, chantonne Maman en sirotant son spritz. C'était l'occasion.

Nous nous sommes installés dans un petit restaurant dans le centre de la ville. Au dehors, la pluie déverse ses humeurs sur les pavés et rebondit allègrement sur la vitre. Hugo nous a laissé partir après que nos parents lui ont eu expliqué qu'ils avait déjà parlé au CPE pour nous laisser découcher avec Corentin ce week-end. Même si j'avais prévu de me plonger dans mes fanfictions, cet imprévu nous propulsant hors de l'internat, qui aurait été désert, me ravit. A trop rester au lycée, on finit par s'y sentir enfermés, comme des lions en cage.

Je déguste mon mojito sans alcool, à moitié cachée derrière le grand verre plein de glaçons. Mes parents ne se sont pas déplacés ensemble pour venir nous chercher à l'école depuis belle lurette. Je me demande même si c'est déjà arrivé. Lorsque Maman n'est pas à l'autre bout du monde pour ses reportages, c'est Papa qui est en déplacement pour ses spectacles. Il écrit des pièces, les met en scène et les joue. Souvent en seul en scène par manque de budget mais aussi car il adore ça. En ce moment il travaille sur M. Ibrahim et les fleurs du Coran pour le présenter au festival Off d'Avignon, il y joue tous les personnages dans un seul décors. Apparemment, il a trouvé une salle pour la présenter, ce qui signifie que, cet été, Corentin et moi allons passer deux semaines de vacances dans le sud, à errer dans les rues de la cité des Papes pour faire sa promo comme des poissonniers. J'espère qu'il nous payera.

C'est Maman qui brise la glace en premier, sûrement grâce au Spritz qui l'a détendue.

— Raconte nous donc un peu cette histoire d'affiches non déclarées dans le lycée, Agathe.

Je déglutis en essayant de m'éclipser encore plus derrière ma boisson.

— Elle a fait sa féministe, ricane mon frère.

— Ce qui est plutôt une bonne chose, le contre Maman.

— On a juste voulu casser le tabou autour des règles, j'explique en pesant mes mots.

Il faut que je leur montre que le projet était réfléchi. Je leur révèle alors la photo que j'avais prise de Lily la nuit du 8 mars.

— Vous voyez, on ne faisait rien de mal.

— C'est sympa, commente Maman.

— Vous êtes tarées, lâche mon frère.

— Corentin ! le gronde Papa.

— Elles se sont baladées dans le lycée en pleine nuit alors qu'à la rentrée on nous a bien fait comprendre que c'était in-ter-dit.

— Parfois il faut savoir aller au-delà des interdits pour ses idéaux, me soutient Maman.

— Donc vous ne m'en voulez pas trop ? j'ose demander.

Mes parents se lancent un regard accordé.

— Non, ma puce, me rassure Papa. On ne veut pas que tu recommences, ou tu aurais de sérieux ennuis, mais ce que vous avez fait n'est pas grave. C'est même plutôt rassurant de voir que notre fille se soucie du monde qui l'entoure et s'engage.

— On a eu rendez-vous avec ton proviseur et ton CPE cet après-midi, ajoute Maman. On s'est mis d'accord pour que cet incident ne reste pas dans ton dossier scolaire.

Je me sens flottante tout à coup. Ils ont fait ça, pour moi ?

— Mais...

— Tu n'as fait qu'une seule erreur durant toute ta scolarité, on trouvait ça dur que tu te prennes un avertissement à quelques mois de la fin de ta terminale. Par contre, on ne veut plus de dérapage avant juin, c'est bien compris ?

La Loi de la JungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant