La Loi de la Jungle

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J'aurais aimé être un dragon pour faire une entrée plus fracassante encore que celle que j'ai mise en scène. Sortant du bureau du CPE, je fonce droit sur Éva sans prendre en compte le monde autour de nous, la cour qui se remplit. Elle tente de m'esquiver mais c'est peine perdue.

— Pourquoi t'as fait ça ? j'éclate sans faire attention à la portée de ma voix.

Elle tente un pas de côté mais n'a nulle part où aller. Bastien n'est pas là et, pour une fois, Marylise et Leila ne lui collent pas aux basques.

— Que tu sois fâchée contre moi et que tu décides de ne plus me parler, ça je le conçois même si la raison m'échappe, mais que tu mettes tout le groupe dans la merde et détruises notre travail, ça c'est impardonnable !

— Lâche l'affaire, elle me glisse dans un calme qui lui est propre mais dont l'audace m'horripile.

— J'ai reçu un rapport d'incidence qui va rester dans mon dossier scolaire à vie alors non, je ne vais pas lâcher l'affaire. C'est mal me connaître.

— J'suis désolée, j'y suis pour rien.

Mon sourcil vient chatouiller les nuages.

— Pardon ?

— Bah, j'y suis pour rien j'te dis, c'est pas moi qui vous aie balancées à Vincent.

— Tu te fous de ma gueule.

— Jamais.

Pour la première fois, j'ai une envie violente, viscérale. J'ai envie de la secouer et ça me prend aux tripes.

— T'étais la seule au courant, Éva. Tu peux inventer ce que tu veux, aucune autre fille du groupe aurait noyé notre projet comme ça.

Elle hausse les épaules et se détourne.

— Crois-moi ou non, qu'est-ce que ça peut me faire ? Tu ne m'écoutes jamais.

Je reste comme bête, clouée sur le bitume de la cour alors qu'elle s'éloigne. J'en ai connu des nuanciers d'états d'âme avec Éva, à nous deux on pourrait en créer un arc-en-ciel, mais celui d'aujourd'hui m'est nouveau. Elle est cruelle et ça lui ressemble si peu. J'ai le pouls qui s'emballe et le corps qui vacille.

Au même instant, Mme Vincent et le CPE doivent être en train de téléphoner à mes parents et, dans quelques minutes, c'est moi qu'ils appelleront, sûrement furieux.

Mais l'appel de mes parents n'est rien, les heures de retenues qui m'attendent les prochaines semaines en plus de toute la pression autour du bac ne sont rien. Ce qui m'angoisse le plus, c'est cet avertissement dans mon dossier scolaire. C'est complètement injuste ! Je n'ai dégradé aucun matériel comme l'affirme pourtant Mme Vincent, et je n'ai mis aucun de mes camarades en danger. Au contraire, j'ai voulu leur offrir de la sécurité. Foutues lois animales, je suis cuite, flambée à la broche, bouffée par les loups.

Avec un dossier pareil, je peux dire bye bye à la prépa scientifique de Nantes que je visais et aux BUT, je suis bonne pour finir à la fac avec les ploucs comme Fabio. Parcoursup ne va pas me rater, j'en mettrais ma main à couper. Shlinc.

Je suis si écœurée que j'en viens à devoir m'asseoir sur un des bancs de la cour. La récréation se termine, les élèves remontent dans leur classe et moi je reste là. J'ai trop honte de réapparaître devant ma classe, ils vont me poser des questions, je vais encore recevoir des remarques.

Je ferme les yeux un moment et, avec mon pouce et mon index, je dessine des petits ronds sur mon poignet gauche, puis sur le droit. Ce geste m'apaise et lorsque je réouvre mes paupières, je peux à nouveau voir le monde tel qu'il est, de ces mille couleurs.