Chapitre 16 - Le jour officiel - Adam

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Je déteste Thanksgiving. 

Cette fête me rappelle inexorablement tout ce que je n'ai plus.

De tout mon être, j'ai essayé d'appréhender ce jour comme n'importe quel autre. Tentant d'emprisonner les souvenirs de mon passé dans une boîte cadenassée. Ca aurait pu fonctionner, si je n'avais pas dû me soustraire au traditionnel repas.

Il est 15h30 et devant moi se trouve une assiette garnie de dinde farcie au potiron, d'haricots verts et de purée. Pourtant, je ne mange pas. Ils me donnent la gerbe. Ils sont là, heureux autour de cette table, à manger, rire et discuter vivement d'un match de football. Ce n'est pas la première fois que je ressens la chaleur amère de ce foyer, mais aujourd'hui, elle m'est insoutenable.

Les mains sur les genoux, je serre les poings. Leurs voix me parviennent comme des échos lointains. Le regard fixé sur mon assiette, je suis perdu dans mes pensées.

Pensent-ils à eux de temps en temps ? Leur manquent-ils ? Mon oncle a perdu son frère après tout, pourtant jamais je ne l'ai senti endeuillé. Nous habitions deux états différents, nos familles se côtoyaient peu. Cependant, mon père avait toujours parlé en bien de son frère, l'appelant de temps à autre pour prendre de ses nouvelles, lui rendant visite une fois par an.

Malgré cela, aucune des personnes assises à cette table n'avait pris la peine de se déplacer à leurs funérailles. Que représentait vraiment ma famille pour eux ? Rien. C'était tout ce que leurs actes me laissaient penser. Pour se donner bonne conscience, ils avaient fini par m'accueillir, après m'avoir laissé pourrir seul, durant 4 ans.

Mes pensées se succèdent et la haine s'insinue dans mes veines comme un poison. Je sens mon sang battre dans mes tempes. Qu'est-ce que je fous là parmi cette bande d'hypocrites ? Je repousse mon assiette et me lève brusquement. Ils s'arrêtent de parler, surpris et me regardent tous :

       - Tu vas bien mon garçon ? - Me demande Bruce

Ma respiration s'accélère, mon champ de vision se rétrécit. Tout en moi implose. Je lève les yeux vers lui et répond dans un cri de fureur :

      - Vous êtes plus pourris que leurs cadavres !

Je ne leur laisse pas le temps de répondre que je claque déjà la porte de l'entrée. Je cours, de tout mon corps et de tout mon être, sans m'arrêter. J'ai l'impression que mes poumons vont exploser, mais je continue encore et encore, pendant un long moment.

Lorsque je ralentis, la nuit est tombée et l'air est frais. Mes jambes flageolent et je tremble de la tête au pied. Je m'appuie sur un lampadaire tentant de retrouver un semblant de respiration. Je lève les yeux autour de moi. J'ai atterri dans un quartier malfamé, là où dealers, prostitués et sans abris se disputent des morceaux de trottoir. Parfait, c'est tout ce qu'il me fallait. Je glisse ma main dans la poche arrière de mon jean et en sors quelques billets. Je me dirige vers le premier mec louche que je vois. Il me propose toutes sortes de cam, mais j'ai tout juste de quoi m'acheter des joints déjà roulés. Je me cale contre le mur d'une ruelle et tire sur le premier joint dans l'espoir que celui-ci soit assez fort pour m'engourdir l'esprit. Mais des pensées funèbres continuent de m'assaillir.

C'est le moment que choisissent quatre mecs baraqués pour pénétrer dans la ruelle. Avec leurs tatouages et leurs crânes rasés, ils ont une dégaine de gangster. Parfait. Je leur coupe la route, lorsqu'ils arrivent à ma hauteur.

      - Bouge de là petit merdeux, me lance le plus grand de la bande.

Je fixe mon regard dans le sien avant de lui répondre :

      - Va te faire foutre.

Je n'ai aucune chance face à ces quatre loubards, je le sais. Mais je n'ai pas l'intention de leur rendre la tâche facile. Je laisse exploser toute la fureur qui est en moi. J'en amoche un à la mâchoire et bousille les couilles d'un autre. Je me débats comme une hyène, mais ils finissent par m'immobiliser au sol. Le reste est une succession d'images flous, de coups et de sang. La douleur me transperce de tous les côtés et bientôt je ne sens plus rien. Je vois des souvenirs défiler devant mes yeux : le visage rieur de mon frère, ma mère au bord de mon lit, mon père, sa guitare à la main. Est-ce ça, qu'ils ont ressenti avant de partir ?

Thanksgiving sera donc le jour officiel de ma mort.

Car quoi qu'on en dise, je suis déjà mort, il y a quatre ans. 

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