Chapitre 2 - Dazai

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J'aurais préféré que la vie m'épargne de tomber amoureux.
On dit souvent que les personnes les plus comiques sont en réalité les plus tristes ; disons donc que je suis particulièrement drôle.

Je l'ai rencontré à l'âge de quinze ans. Je regrette de n'avoir pas réussi à me suicider avant. Il était insupportable, et mon objectif numéro un est rapidement devenu de faire de sa vie un enfer.
Je suis assez imaginatif pour ce genre de choses.

Comme je ne croyais pas au destin, je voulais contrôler cette partie de ma vie. J'étais habitué à faire l'impasse sur mes sentiments. Je pouvais assassiner quelqu'un sans rien éprouver, et même torturer un prisonnier en y prenant du plaisir.
La souffrance est un sentiment complexe. Comme la colère, comme la tristesse, elle s'est ancrée en moi de manière définitive, et j'ai fini par m'y habituer. La présence de Chûya faisait apparaître quelque chose de différent. Quelque chose qui me donnait envie de rester encore un peu sur cette terre. J'étais ravi de le connaître mieux que personne pour pouvoir inventer les blagues les plus cruelles, mais le fait qu'il me comprenne me faisait peur.

J'ai agi comme si je ne ressentais rien. J'ai multiplié les tentatives de suicide les plus originales - même pour moi ! - et en quittant la Mafia, j'ai ignoré ce que je ressentais. Mon monde s'était encore brisé. J'avais perdu un ami.
Je ne voulais pas prendre le risque de me rapprocher de Chûya.

J'ai essayé de m'amuser un peu. Manquer des réunions. Me suicider pendant mes heures de travail. Coucher avec toutes les femmes qui le voulaient bien. Taquiner mes collègues de travail. Boire un peu trop.
Tout ça ne m'a pas rendu heureux. J'ai suivi le conseil d'Odasaku. J'ai aidé des gens. Ça m'a soulagé un peu, mais pas suffisamment pour que je dorme correctement la nuit.

Il y a quelques jours, j'ai élaboré un plan assez audacieux et un peu risqué. Tant mieux. Il implique la participation de mon ancien partenaire, que j'ai "oublié" de prévenir.
J'espère que tout se passera normalement. Une bande de dangereux criminels sera arrêtée et Chûya me détestera encore plus.

La première partie du plan, c'est ce soir. Je ne ressens pas d'angoisse, seulement l'adrénaline du danger. Je dois endormir la cible sans qu'elle puisse se défendre - ce que le groupe avec qui j'ai passé un contrat ne pouvait pas faire, la cible en question étant trop dangereuse.

~

Mission accomplie.

Ça n'a pas été facile de faire en sorte que Chûya ne me remarque pas. Il a un instinct incroyable, mais comme il est habitué à ma présence, son inconscient ne me considère pas comme un danger. J'ai exploité cette faille pour lui injecter un narcotique puissant. Il ne réveillera sans doute pas avant demain soir.

Autour de nous, personne n'a prêté attention à la scène. On reste en périphérie du territoire de la Mafia portuaire, donc personne n'est trop regardant.

Je porte Chûya dans mes bras jusqu'au lieu de rendez-vous fixé par les criminels. II s'agit d'une sorte de secte qui pratique des expériences sur les détenteurs de pouvoir. J'ai décidé de mener le début de l'opération seul, puis je préviendrai l'Agence et la Mafia. Ils n'auront pas d'autre choix que d'agir, puisque les deux organisations abritent de nombreux détenteurs de pouvoirs et pourraient être visées.
Pour ma part, j'ai été mis au courant de cette affaire par l'un de mes contacts de confiance, et j'ai aussitôt imaginé comment procéder.

Tout en remettant Chûya aux hommes masqués qui m'attendaient sur le lieu convenu, au milieu de bâtiments délabrés, je ne peux pas m'empêcher de lui jeter un dernier regard. Mon cœur se serre malgré moi.
Je sais qu'il va tenir.
Je lui fais confiance.

{Soukoku} Seul un diamant peut en polir un autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant