Chapitre 22 : Chûya

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Je garde un souvenir flou des évènements d'hier soir. Comme si on avait voulu les gommer de force. Je suppose que j'ai fini par m'endormir.
Maintenant, les questions qui tournent dans ma tête se portent sur mes sentiments. Qu'est-ce que je ressens vraiment ? Je n'arrive pas à le savoir.
La seule chose que je sais, c'est que le goût de ses lèvres ne m'a pas quitté.

Ce matin, je n'ai pas encore vu Dazai. Je suis resté dans ma chambre, avec Vitalie - que je surnomme "Vitty" - dans mes bras. À force de me torturer mentalement, je finis par attraper mon téléphone. Dans la liste de mes contacts, je cherche quelqu'un à qui je pourrais parler. N'importe qui.

Je me décide pour Kôyô. Je n'ai pas d'autre idée.

- Tu pourrais passer me voir ?

Elle me répond rapidement :

- J'arrive dans une heure. Ne bouge pas d'ici là !

Je repose mon téléphone en entendant Dazai arriver. Il évite mon regard et se contente de poser un plateau près de moi.

- Tu peux essayer de manger tout seul ? propose-t-il sur un ton vide d'émotion.

En prenant mon temps, je suis capable de me débrouiller sans lui.
Comme je n'ai pas de fièvre, il me permet de me passer de médicaments. Après ça, il m'explique que les enterrements de ceux qui n'ont pas survécu à la secte commencent aujourd'hui. Les corps ont été étudiés et les scientifiques permettent maintenant aux familles de faire leur deuil.

- Je vais y aller, termine-t-il. Appelle-moi si tu as un problème.

- D'accord.

Je ne parle pas de Kôyô. Je veux juste qu'il s'en aille. La tension entre nous est insupportable.

Je passe le temps en essayant de marcher un peu. Certains jours, je peux à peine bouger et la fièvre brouille toutes mes sensations. Aujourd'hui, je ne me sens pas trop mal, alors j'en profite au maximum. Je n'en peux plus d'être cloué à mon lit.
Je passe dans toutes les pièces et m'arrête finalement devant la chambre de Dazai. Je pousse la porte avec précaution et commence à fouiller un peu partout, sans prendre en compte le minimum de morale qui aurait pu m'empêcher de le faire. Je ne sais même pas ce que je cherche.

Je trouve un tiroir fermé à clef. Le crocheter n'est pas facile, mais je finis par y arriver.

Je m'attendais à trouver des armes, mais elles sont sûrement rangées ailleurs. Il y a juste une photo. En noir et blanc comme si elle provenait d'un vieil appareil photo. On y voit Dazai, plus jeune, accompagné de deux mafieux. Je sais que l'un d'eux est mort depuis, et que l'autre, un traître, travaille pour le gouvernement.

J'ai l'impression d'avoir découvert une autre facette de Dazai, une de celles qu'il essaye de cacher.

Je me rends compte que je voudrais en savoir plus sur lui. Sur son passé.

En même temps, cette photo me rappelle mes propres amis, qui ont fini par me trahir.
Ça me fait mal comme un coup de couteau dans le ventre.

On toque à la porte, interrompant mes pensées. Kôyô, bien sûr, fidèle à elle-même, avec son kimono, son maquillage, son parapluie typiquement japonais et ses cheveux roses. J'ai presque mal aux yeux étant donné qu'absolument tous ses accessoires sont de cette couleur.

Elle entre en me saluant poliment, puis me suit dans me couloir et s'installe dignement sur mon lit. J'ai toujours trouvé qu'elle faisait preuve d'une grâce incroyable.
Techniquement, Kôyô est ma supérieure, mais elle se rapproche plus d'un mentor pour moi.

- Alors ? demande-t-elle sans s'embarrasser des formalités. J'ai cru comprendre que tu vivais une collocation forcée ?

Je détourne les yeux, me sentant déjà rougir.

- Il m'a embrassé.

Ce sont les seuls mots que je suis capable de prononcer.

Kôyô place sa main devant sa bouche pour cacher son sourire.

- Et ensuite ? Je veux tous les détails !

Je proteste :

- C'est pas le sujet ! Il ne s'est rien passé d'autre.

Elle se penche en avant avec curiosité :

- Alors qu'est-ce qui te tracasse ?

- On n'en a pas reparlé. Il m'évite, et moi, je ne sais même pas pourquoi je me sens blessé.

- Je ne vois pas pourquoi tu te poses la question. Il n'accepte pas d'être amoureux, et toi non plus.

Je perds mon calme, comme à chaque fois que je dois parler de Dazai.

- Je le déteste ! Je l'ai toujours détesté et il a tout fait pour ! J'aurais dû le tuer il y a longtemps !

Kôyô sourit encore, comme une mère qui attendrait que son fils grandisse enfin. Cela m'énerve encore plus.

- Tu en es incapable, n'est-ce pas ? murmure-t-elle. Tu ne peux pas le tuer et il le sait. Vois-tu, Chûya, on dit souvent que la frontière entre la haine et l'amour est quasiment invisible.

- Et pourtant elle existe ! Quand on aime quelqu'un, on n'a pas envie de le tuer ! On veut le protéger, passer du temps avec lui, le comprendre-

Je m'interromps brusquement.

- Kôyô... Je suis amoureux ?

Elle attrape ma main :

- Pas trop tôt ! Je me demandais si tu allais continuer à te leurrer toute ta vie où si tu finirais par l'accepter. L'idée de Mori n'était pas si mauvaise, finalement. Vous rassembler sur plus de temps vous a permis de faire le point.

- Non. Je refuse ! Je ne veux pas de ça !

- Et tu crois que tu as le choix ? Ni toi ni lui n'avez rien à y redire.

Je trouve que Kôyô y va un peu fort. Pourtant, en fermant les yeux, j'ai l'impression que le monde s'est éclairé, comme si ce que je ressentais avait enfin un sens. Comme si j'étais enfin comme tout le monde, comme si le simple fait d'aimer faisait de moi un humain.

J'ai besoin de réfléchir. Je congédie Kôyô et attends Dazai en jouant avec Vitty. Elle est énergique et je finis par la laisser courir dans tout l'appartement en miaulant joyeusement.

~

Quand Dazai rentre de l'enterrement, en milieu d'après-midi, il est toujours aussi distant. Je me place devant lui pour le forcer à me regarder. Je parie qu'il a fait comme si de rien n'était à l'extérieur, jouant son rôle d'homme à la fois drôle et mystérieux. Il ne joue plus maintenant.

Je crois qu'on a besoin de temps. Alors, je me contente de prendre ses mains et de les serrer dans les miennes. Les mots ne sont pas mon fort, et j'ai peur de faire une erreur en nous laissant une chance, mais...

Il hésite une seconde avant de me prendre dans ses bras. Il me serre tellement fort que mes côtes douloureuses me rappellent à l'ordre, mais je n'en tiens pas compte.

Kôyô a peut-être raison.

{Soukoku} Seul un diamant peut en polir un autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant