Chapitre 19 - Chûya

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À mon réveil, je ressens comme un vide. Dazai n'est plus là. Je ne sais pas pourquoi je me sens presque déçu. En fait, je n'espérais pas le voir m'aider, et encore moins rester avec moi.

Il est six heures trente. En attendant que Dazai m'apporte mon petit déjeuner, je lis en espérant que cela me change les idées.

Il arrive une dizaine de minutes plus tard. Comme si il ne s'était rien passé. En mangeant, il finit par dire :

- Tu en fais souvent ? Des cauchemars, je veux dire.

- Tous les jours. Mais les deux derniers soirs, tu n'étais pas là.

Une lueur de culpabilité passe dans ses yeux. Depuis que je suis arrivé chez lui, il n'a pas passé une nuit complète dans sa chambre.

- Heureusement qu'il y a assez de place pour deux.

J'espère qu'il ne parle que de la nuit dernière. Ça ne peut être que ça.
Je tente :

- C'est bon, tu vas retrouver ton lit dans quelques heures de toute manière.

Je reconnais son sourire. Dazai ne plaisante pas et il sait que cela va m'énerver.

- Je refuse de me lever toutes les nuits pour te calmer. Autant rester ici.

Il sait que je vais protester. Ça ne m'empêche pas de le faire.

- Je n'ai pas besoin de toi. Retourne dans un bar et laisse-moi tranquille!

- Je fais ce que je veux. Je te rappelle que je suis chez moi.

Je vois bien qu'il essaie juste de m'agacer, comme un chat qui joue avec sa proie.

- Va-t'en. Tout de suite.

Il passe sa main sur ma joue et sort de la pièce. Je n'ai même pas eu le temps de réagir. Ma peau me brûle comme si on y avait passé de l'acide. Je cligne des yeux, tout en essayant de reprendre mes esprits. C'était sans doute une ruse pour me déstabiliser.
Du moins, j'essaie de m'en persuader.

Je passe la journée à lire. J'ai réussi à me lever seul pour récupérer d'autres bouquins sur l'étagère. Philosophie, culture générale, poésie, j'essaie un peu de tout pour me faire une idée. Je suis déterminé à rattraper mon retard.
Malheureusement, je ne parviens pas encore à lire assez rapidement pour être vraiment efficace. Je cherche donc des conseils sur internet. Il paraît que les romans sont un bon moyen d'améliorer son niveau. Dazai n'a que des romans d'auteurs célèbres et pour la plupart morts, mais je vais devoir faire avec. Je tente Les âmes mortes, de Gogol. Apparemment un classique. Au bout de quelques pages, j'abandonne : je n'y comprends rien et l'écriture est encore pire que celle du livre d'histoire.
Dazai passe dans ma chambre mais ne fait aucun commentaire à propos des ouvrages étalés sur mon lit. Il se contente d'aller chercher un roman dans une autre pièce et de le poser à côté de moi. 1Q84. J'en ai entendu parler. C'est un roman plus récent qui m'entraîne rapidement dans son scénario étonnant mais passionnant. J'en lis plus de la moitié en à peine trois ou quatre heures. C'est le deuxième livre que Dazai me conseille et le deuxième qui me plaît vraiment. Il me connaît si bien que c'en est presque effrayant.

Le soir, j'attends avec inquiétude de voir si Dazai compte tenir ses paroles. À mon grand désespoir, il n'a pas menti et s'allonge à côté de moi. Pendant de longues minutes, je n'ose pas bouger et je suis incapable de m'endormir. Il doit s'en être rendu compte, puisqu'il murmure :
- Détends-toi. Je ne compte pas t'égorger dans ton sommeil.
Je ne réponds pas et me tourne sur le côté opposé pour lui montrer mon mécontentement. Après un certain temps, aucun de nous deux n'a fermé les yeux.
Dazai finit par soupirer et me tire vers lui sans ménagement.

- Arrête, enfoiré ! Qu'est-ce que tu fous ?

Je panique complètement. Il passe ses bras autour de moi et me plaque contre lui. Je suis tellement surpris que j'en oublie de me débattre. Je me retrouve face à lui, la tête à quelques centimètres à peine de son torse, avec ses mains dans mon dos. Je sens son souffle dans mes cheveux et son cœur qui bat près de moi. Mes pensées tournoient dans ma tête sans aucun sens et finissent par former un unique mot.
Pourquoi. Pourquoi, pourquoi, POURQUOI.
Qu'est-ce qui m'arrive ? Je voudrais le repousser mais je n'y arrive pas. Ne sachant pas ce que je suis censé faire de mes bras, je les passe autour de lui.
J'essaie de calmer ma respiration. Tout va bien.
Je n'ai pas l'habitude des contacts rapprochés. Personne ne m'a jamais pris dans ses bras, sauf les soirs où j'avais trop bu mais je n'en ai gardé que peu de souvenirs. Je les chasse pour ne pas les associer à la situation actuelle. Ce n'est pas le moment de penser à ce genre de choses.
Mes pensées se calquent finalement sur les battements du cœur de Dazai. Je ferme les yeux et me concentre sur ce seul élément.
Et tout le reste disparaît.

~~

Références : Les âmes mortes, de N.Gogol, 1842, et 1Q84, d'H.Murakami, 2009-10.
 

{Soukoku} Seul un diamant peut en polir un autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant