{Soukoku} Seul un diamant peut en polir un autre

Chapitre 28 - Chûya

À mon réveil, il me faut moins d'une seconde pour deviner que quelque chose ne va pas. Dazai n'est plus là. Je sais qu'il devait reprendre le travail aujourd'hui, mais ça ne me suffit pas. Il y a un problème.
J'attrape mon téléphone. Il est huit heures. Je me lève, me douche et m'habille tout en luttant en vain contre mon sentiment d'angoisse.

Enfin, n'y tenant plus, j'appelle Dazai. Il ne répond pas, évidemment.

Me procurer le numéro de l'un des membres de l'Agence me fait perdre plusieurs minutes. C'est Kunikida qui répond.

- Oui ?

- C'est Chûya Nakahara. Dazai est avec vous ?

- Non, on ne l'a pas encore vu ce matin. C'est vraiment n'importe quoi ! Il est incapable d'arriver à l'heure au moins une fois !

Mon cœur manque un battement. Où est-il ?
J'attrape mon chapeau et ma veste avant de me précipiter dehors. Ma gueule de bois me ralentit un peu. Je ne veux même pas savoir combien de bouteilles j'ai avalées.

Le ciel nuageux renforce mon pressentiment. Je ne sais pas où aller. Comment le retrouver ? Il est peut-être juste en train de dormir quelque part, mais je le connais trop bien pour y croire.

Une seule idée me vient. Le cimetière. La tombe de Rimbaud. C'est mon repère plus que le sien, mais si il s'agit bien de ce à quoi je pense, il aura choisi un lieu nous liant tous les deux.

Je m'en veux terriblement de ne pas avoir fait plus attention. Je voyais bien que son état restait fragile, mais comme un idiot j'ai pensé que ma présence suffirait.

Le temps de prendre le train et d'arriver à destination, je perds une demi-heure.

La tombe de Rimbaud est située au sommet d'une petite colline, au bord de la falaise qui surplombe la mer.
Je distingue la silhouette de Dazai. Il est beaucoup trop proche du bord.

Je cours jusqu'à lui tout en hurlant son nom. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Ce n'est pas sa première tentative de suicide, loin de là. Pourtant, j'ai l'impression qu'il compte vraiment mettre fin à ses jours cette fois-ci.

Ce n'est pas la mort de la personne que tu aimes qui va soulager tes sentiments, même si tu ne les acceptes pas.

Les paroles de la femme tournent en boucle dans ma tête. Il pense que sa propre mort mettra fin à tout ça ?
La haine s'empare de moi. Il n'a pas pensé à mes propres sentiments ? À ce que je lui ai confié le premier soir où on a couché ensemble ? Ou peut-être qu'il s'en moque simplement.

Après toute une vie passée à me battre et à lutter pour trouver un sens à ma vie, j'avais enfin commencé à accepter un ancrage. Une île de douceur et de tendresse au milieu des flots déchaînés. Et il compte mettre fin à tout ça ? C'est absolument hors de question.

Dazai est dos à la mer, en équilibre au bord du précipice. Je m'arrête à quelques mètres, au niveau de la tombe de Rimbaud.

- Qu'est-ce que tu fous ?

Je suis vraiment en colère. L'adrénaline coule en moi comme si je m'apprêtais à me battre.

- Je t'attendais, répond-t-il en souriant tristement.

Il esquisse un pas en arrière, puis un autre. Comme au ralenti, je vois son corps basculer lentement en arrière.

J'agis sans même m'en rendre compte. Je me jette à mon tour dans le vide.