Chapitre 3 [Entends-tu ma voix ?]

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Liktor s'assit sur le rebord de son lit et se prit la tête entre les mains pour chasser l'horrible migraine qui le lançait depuis la matinée – en vain. Les yeux clos, le corps bouillant, la mâchoire serrée, il se balançait d'avant en arrière. Un vieux réflexe qui signifiait qu'il souffrait. Mais qui pourrait l'aider ? Les médicaments n'avaient plus le moindre effet sur sa pathologie. Il les avait pourtant tous essayés.

En rentrant de l'école, il avait repéré sur son bureau la convocation pour l'épreuve onirique, laquelle aurait lieu le lendemain, jour de ses dix-huit ans. Mais ce que les autorités avaient oublié, c'était que Liktor ne verrait plus jamais le soleil se lever.

Le jour de la naissance d'un enfant, les parents recevaient sur leur Tech'let toutes les informations relatives à la vie de leur nouveau-né. L'état de santé, le métier, parfois le nom de la future âme sœur, et surtout l'estimation de la date de la mort. Les parents de Liktor avaient lu dans l'encadré concernant cette dernière information :

« Mort le jour de ses 18 ans – Arrêt cardiaque. »

Trois ans plus tard, les cardiologues détectaient une malformation. Ils l'avaient gavé de médicaments, avaient adapté son régime alimentaire et lui avaient interdit le sport. Toute émotion forte était prohibée. Surtout, pas de stress. Tous les six mois, il était dispensé des examens finaux. Tous les ans, il restait chez lui tandis que les autres partaient en voyage scolaire.

Avec ses quinze ans étaient venues les premières douleurs. Les cardiologues avaient songé à lui greffer un cœur artificiel, mais ils lui découvrirent une allergie à un des composants. Petit à petit, le destin de Liktor se confirmait.

Le BADGE avait toujours raison.

Il n'aurait pas dû accéder à cette information. Mais le Tech'let de sa mère laissé à disposition un beau matin... Il n'avait pas pu résister. Il s'en était mordu les doigts. Il avait alors perdu toute insouciante et tout espoir. Pourquoi avait-il fait le choix de rester en vie jusqu'au bout ? Il se le demandait. Tous les jours. Son existence n'était que doutes et questions sans réponses. Il s'y était adapté. Il n'avait pas le choix.

Ç'avait été une drôle d'émotion, le matin même, que de regarder pour la dernière fois l'aube filer ses rayons. Le soleil, c'était une des dernières choses encore naturelle. Il avait ouvert la fenêtre et respiré à pleins poumons l'air du monde renouvelé. Pas une odeur. Une décharge provenant de sa puce l'avait ramené à la réalité. Cette maudite puce, sa camarade de solitude. Elle, elle savait quels lendemains l'attendaient. Léno ne pouvait pas prétendre à ce statut. Ils s'étaient appréciés, ils s'étaient vite haïs. Et toujours jouer la comédie en classe. Mimer les bons copains. Les autres n'auraient pas compris.

Liktor effleura sa puce du bout des doigts. Dix-huit ans qu'elle était implantée dans son cou. Dix-huit ans qu'elle vissait son âme dans son corps. Cette servitude touchait à sa fin.

Le jour où Liktor avait trouvé son avis de mort, il avait compris dans quel type de monde il vivait. Un monde où toute liberté individuelle avait été gommée au nom d'un organisme : le BADGE, ou Bâtiment de l'Administration Générale. Tout le monde pouvait y pénétrer, le visiter, l'explorer. Mais quant à l'identité de leurs dirigeants, personne ne la connaissait. Personne ne savait même où ils se trouvaient, ce qu'ils pensaient ou faisaient. Un halo de mystère les englobait depuis le début des temps. Les habitants recevaient quelquefois une nouvelle consigne qui faisait office de loi – c'était tout.

La migraine, la fièvre, les puissantes douleurs cardiaques. Tout cela n'était pas dû aux hasards de sa maladie. Le BADGE avait prévu qu'il meure le lendemain : alors il mourrait le lendemain, fatalement.

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant