Chapitre 12 [Lua... Tu ne peux plus t'échapper]

116 23 3
                                    

Ce soir-là, on frappa à la porte des Bell.

Les parents réglaient les derniers détails du futur mariage, l'intéressée finissait ses devoirs de mathématiques dans le canapé tandis que Yun regardait la télévision, tout en taquinant parfois sa sœur. Une soirée parfaitement ordinaire donc, à ceci près que la jeune fille devait se marier samedi prochain. Soit dans trois jours. Et elle ne se sentait pas prête.

Le bruit interrompit toutes les activités. Oreste alla ouvrir. Lua ne vit pas le visage de son interlocuteur, elle ne capta que les voix :

— Bonsoir, monsieur Bell. Désolé de vous déranger à une heure pareille.

— Ne vous excusez pas, commandant. Vous faites trop d'honneur à notre maison.

En entendant le mot « commandant », Ophélie se dressa et se rua sur l'invité.

— Monsieur le commandant... entrez donc... Vous prendrez bien un verre ?

— Non merci, je suis assez pressé.

Malgré tout, il entra dans la maison. Yun et Lua regardèrent l'homme avec leurs yeux si caractéristiques, si déroutants. On y lisait un mélange de surprise et de respect. L'homme était assez âgé – une cinquantaine, une soixantaine d'années – et portait ses cheveux grisonnants mi-longs. Il observa longuement les deux adolescents et se présenta :

— Enchanté. Je suis Créon Aramanche, commandant des Chasserêves.

Yun en resta béat. Lua, de son côté, se demandait pourquoi un commandant des Chasserêves s'invitait chez eux, surtout à une heure pareille.

Il la gênait.

— Je suis venu voir Lullaby Bell.

Un frisson courut sur sa peau.

— Pourquoi ? s'exclama Ophélie. Elle n'est pas forcément très maligne, mais elle n'a rien fait de mal.

Ça, c'était tout Ophélie. Penser d'abord à la catastrophe. Au moins, nota Lua, défendait-elle la cause de sa fille.

— Rassurez-vous, je ne viens pas l'arrêter. Je suis là pour lui annoncer les résultats de son examen onirique.

La jeune fille s'en étonna. D'habitude, les admis étaient avertis quelques heures plus tard, le lendemain dans le pire des cas. Plusieurs semaines s'étant écoulées, elle avait définitivement effacé le sujet de sa mémoire. Créon extirpa une enveloppe de sa poche, la décacheta et en sortit une feuille. Pourquoi tant d'intermédiaires, alors qu'il aurait suffi de lui envoyer un message ? Elle ne comprenait pas.

— Critère n° 1 : le temps d'assoupissement. 1 minute 43. Un très bon résultat, l'un des meilleurs de votre promotion.

Lua était une bonne gamine, bien sage, bien malléable. Elle avait appris à maîtriser son sommeil parce qu'on le lui avait demandé, voilà tout.

— Critère n° 2 : le contenu du rêve. Des structures architecturales intéressantes, de nombreux détails. Et, plus important, autre chose que du visuel. Des sons, des odeurs. Le jury a apprécié.

Elle fronça les sourcils. Son rêve s'était évaporé, ne laissant que quelques rares touches : une note, ici ou là. De temps à autre, elle les fredonnait, sans réussir à reconstituer l'air. Dommage. Celui-ci, sans qu'elle sache pourquoi, la rendait nostalgique.

— Critère n° 3 : ce dont vous vous êtes souvenue.

Il braqua son regard sur elle. Elle eut l'impression d'être une ombre à l'épreuve d'un lampadaire.

— Pourquoi une feuille vierge ?

Pour une fois, Lua ne se laissa pas décontenancer. Le rêve, c'était son domaine. Inconsciemment, involontairement, certes, mais elle n'admettait pas qu'on y mette les pieds. Qu'on la remette en question. Dans un sursaut d'orgueil, elle répliqua :

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant