Le Chant du Loriot

Chapitre 7 [Comme une étincelle]

Plus les jours avançaient et plus Lua sentait le malaise croître dans son cœur. « Qui es-tu ? » Cette question l'obnubilait.

Plus les jours avançaient et plus Lua s'attachait à ses camarades d'Onivers. Elle qui pensait être arrivée là-bas par hasard avait trouvé une seconde maison. Elle s'était habituée aux blagues maladroites d'Ayis, aux réflexions mornes et philosophiques d'Eurystée, à la présence périodique de Mélodie, à ses discussions avec Liktor.

Tandis qu'il lui montrait ses souvenirs, elle avait été confrontée de plein fouet à la réalité de sa situation : une jeune femme perdue entre son affection pour ses nouveaux amis et sa vie dirigée par le BADGE. Dans quelques jours aurait lieu le duel tant attendu. Pour qui prendrait-elle parti ?

Elle quitta la banquette qui lui servait de lit depuis un mois et s'assit face à Créon, lequel mâchonnait pensivement le bout d'un stylo. Où avait-il trouvé une telle antiquité ? Son tuteur, qui d'habitude arborait un visage sec, avait le front creusé par une ride soucieuse.

— Il faut que je te parle, Lullaby.

— Je vous écoute.

— D'ici peu, les choses vont changer. Le BADGE veut lancer une grande offensive contre les Dissidents.

Elle plissa les paupières.

— Une grande offensive ?

— Oui. Vois-tu, le duel de Melwire n'est pas anodin. Si elle l'emporte, l'équilibre sera préservé. Mais tu sais ce qu'il se passera, si par miracle ton copain Liktor gagne ?

— Non ?

— Les Dissidents sauront que nous sommes vulnérables. Ils accentueront la pression... Ce qui à terme pourrait briser l'équilibre.

— Donc si je comprends bien, en cas de défaite...

— Dès le lendemain, tous les Chasserêves devront exterminer les Dissidents. Et même en cas de victoire, le BADGE compte intensifier les raids. Nous avons été trop gentils, il est temps que ça cesse.

Elle poussa un hoquet de surprise. Deux chemins venaient de se tracer sous ses yeux, et menaient irrémédiablement à la mort : celle de Liktor dans le premier cas, celle des Dissidents dans le second. Dissidents auxquels appartenaient les trois garçons ; elle hésitait à y inclure Mélodie. Une lourde épée de Damoclès se matérialisa au-dessus de son cou.

— Il n'y a... Il n'y a aucune autre solution ?

— La seule solution rationnelle, pour les Dissidents, c'est la fuite ; mais cette fuite serait vaine, puisque la puce les ramène toujours à Onivers. Au cas où tu l'ignorerais, la réinitialisation de leur univers, tous les six jours, correspond à la mise à jour de la puce.

Voilà qui expliquait le changement de temporalité... Et leur retour auprès de l'arbre-Noyau. Même à Onivers, ils restaient sous la captivité du BADGE. Comme toujours, leur liberté n'était qu'une illusion.

— Pourquoi m'en parlez-vous, si vous savez que je risque de le répéter ?

— Parce que tous les Chasserêves doivent être au courant, apprentis ou non. Je ne fais que suivre les ordres.

Il regarda sa montre et conclut :

— Tu as l'air épuisée, je te laisse te reposer demain. Rendez-vous samedi.

Nous sommes le vendredi 25 août... Météo du jour : nuageux, prévoir les vêtements de 18°... Le BADGE vous souhaite une bonne journée...

Lua dormit toute la journée, épuisée par ses fréquentes incursions dans Onivers. Elle sentait son énergie décliner au fur et à mesure sans en comprendre la raison. Son cerveau fonctionnait au ralenti, son corps ne parvenait plus à supporter le programme sportif des Chasserêves. Et surtout, des sentiments contradictoires se livraient bataille dans son cœur. Des fils se nouaient, et elle était incapable de les délier. Incapable de comprendre les enjeux des événements. La vie, la mort ? Ces notions n'avaient plus la moindre consistance. Elle se contentait de suivre les chemins tracés pour elle au petit bonheur.