— C'est super, Liktor, tu t'en sors beaucoup mieux !
Une minute. Une minute de course-poursuite harassante contre Mélodie. Et il avait tenu. Depuis sa petite discussion avec Lua, quatre jours auparavant, une lumière s'était allumée dans son esprit. Il savait désormais pourquoi ses amis tenaient autant à la musique. Elle leur permettait d'harmoniser leurs pensées. En récitant la comptine dans sa tête, en transformant chaque note en cercles, il avait pu traverser les Multivers sans temps mort. Ne lui restait plus qu'à accélérer le rythme pour être plus performant.
Cependant, il s'inquiétait pour Mélodie. Elle en faisait trop, c'était évident. La dernière fois, tous ses traits à l'exception des yeux étaient visibles ; aujourd'hui, ils se perdaient dans une fumée transparente. Elle avait peine à s'incarner.
En retournant au Néon, Ayis l'interpella :
— Liktor ! Eurystée et moi t'avons concocté un petit morceau pour voyager plus vite. Ça te dit de l'apprendre ?
Jugeant qu'il avait bien mérité sa pause musicale, il acquiesça. Ses deux amis matérialisèrent les instruments, s'échauffèrent et commencèrent à jouer une partition endiablée. Ils n'avaient pas menti : le rythme était infernal, Ayis frappait son tapis à une cadence effrénée et les doigts d'Eurystée devenaient flous au-dessus de sa table magique. Liktor créa ses éternelles cordes et les rejoignit bien volontiers. Ses muscles épousèrent les notes, il dansait dans son espace réduit. Sa bulle. Mélodie ne chantait pas ; elle s'imprégnait de l'harmonie régnante pour retrouver ses forces. Il voyait ses traits s'affirmer.
Elle venait tous les jours. Elle entraînait Liktor, passait parfois de longues heures avec lui, le forçait à enchaîner les Multivers. Et pourtant, il ne parvenait toujours pas à capter son essence. Insaisissable. À mesure que les visites de Lua se multipliaient et s'allongeaient, elle perdait sa consistance. Elle qui avait affirmé que la présence de sa sœur l'aiderait à s'incarner devait se rendre à l'évidence : c'était le contraire qui avait lieu. Elles partageaient une même réserve de capital onirique ; Lua piochant sans ménagement à l'intérieur, Mélodie se contentait des restes.
Lua. Pendant quinze ans, il avait été contraint de ne la voir que de dos. Parfois de profil, quand elle se tournait pour parler à Loanne. Maintenant, il pouvait la voir en face, contempler son visage rond et ses yeux égarés. Elle portait des barrettes pour maintenir ses cheveux, un oiseau en cage autour du cou. Quelle cruelle ironie ! Avait-elle conscience que c'était elle, l'oiseau en cage ?
Tous les jours, il songeait à lui faire visiter le pire cauchemar de l'humanité, à lui montrer son emprisonnement. Tous les jours, il renonçait devant son sourire, son apparente joie. Pourquoi la torturer ? Elle découvrirait bien assez tôt l'affreuse vérité.
Calme, discrète et honnête, Lua savait se faire aimer. Si Ayis l'avait immédiatement adoptée, elle avait apprivoisé Eurystée en lui donnant toutes les informations qu'elle détenait sur les Chasserêves. Elle avait dessiné les portraits de chacun, peint les traits de leur personnalité, et surtout leurs peurs et leurs pires lacunes.
Il attendait impatiemment sa venue. Il ne voulait plus jamais la voir de dos.
Quand la musique cessa et qu'il ouvrit les yeux, il vit qu'elle était là.
— Bonjour, Lua.
— Bonjour, Liktor.
Elle salua les autres, pressa quelques touches de la table magique d'Eurystée, s'amusa des sons incongrus qui en sortaient. Si dans Onivers quatre jours seulement étaient passés, presque un mois s'était écoulé dans la réalité.
Elle avait revu Loanne plusieurs fois, mais pas Léno. Cette nouvelle le rassurait, quelque part. Ils n'étaient pas du tout assortis. Il fallait qu'elle s'éloigne de lui, sinon, il la briserait. Il était beau, intelligent, venait d'une bonne famille ; mais il était aussi capricieux et égoïste. Incapable de prendre soin de quelqu'un d'autre que de lui-même.
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Le Chant du Loriot
Science FictionDans la société régie par le BADGE (Bâtiment de l'Administration Générale), le rêve a été décrété ennemi absolu et les vies des habitants sont contrôlées par une puce figée dans leurs cous et par un bracelet électronique, nommé Tech'let, accessoire...