Chapitre 5 [J'ai peur dans le noir]

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Liktor ouvrit les yeux. Son cou le brûlait. En le palpant, il y trouva sa puce. Fidèle au poste. Les Chasserêves la lui avaient remise, mais pour quelle raison ?

Il ne reconnaissait pas son environnement. Où était-il ? Il n'y avait rien, rien d'autre qu'une longue étendue brumeuse. Le rêve à l'état brut. L'Ennemi, comme l'appelait le BADGE. Le réel, c'était le Bien. Le monde onirique, c'était le Mal. Le BADGE, c'était l'Ami. Le rêve, l'Ennemi. Le BADGE jouait sur les mots pour manipuler les cerveaux influençables de ses sujets.

Depuis sa naissance, c'était ainsi.

Le jeune homme repéra au loin, à un horizon vague et mal découpé, une forme floue. Il décida de la rejoindre. En s'approchant, il reconnut un arbre, mais il eut des difficultés à le nommer. Contrairement aux arbres artificiels, il n'imitait pas les arbres naturels. Il n'était pas marron, ni blanc ou noir, mais rouge. Il tranchait avec les conceptions habituelles. Ses feuilles, des disques de la taille de la paume, étaient transparentes. Liktor, une fois arrivé à sa hauteur, le contempla. Pourquoi un arbre ? Pourquoi à cet endroit ?

— Toi, tu es un petit nouveau, pas vrai ?

Liktor sursauta et se retourna. Un homme venait d'apparaître comme par magie, mais il se rappela qu'il se trouvait en terrain inconnu et surtout dépourvu de logique. Il tendit imperceptiblement les muscles, prêt à en découdre si besoin. Après tout, même s'il s'était toujours méfié du BADGE, comment effacer dix-huit ans de propagande anti-rêve ? Son corps agissait presque contre sa volonté.

— Détends-toi, fit l'homme. Je ne te veux aucun mal.

Liktor le détailla. L'homme était petit, plutôt épais, n'avait plus beaucoup de cheveux. Des lunettes rondes, un grand sourire sur le visage. Pas franchement menaçant. Il délia ses muscles et s'autorisa à sourire. En effet, la tenue de l'homme poussait à l'hilarité : chemise et pantalon colorés, et un chapeau ridicule – un haut de forme jaune duquel sortait un poussin.

— Je m'appelle Reboot.

— Et m...

— Non, ne me réponds pas tout de suite ! Tu es dans le monde onirique, ou Onivers comme nous l'appelons. Ici, pas de BADGE. Plus de contraintes. Ton prénom, il vient d'une règle stupide décrétant que les enfants nés la même année doivent porter un prénom commençant par la même lettre.

Le sourire de l'homme s'élargit.

— Aujourd'hui est le premier jour de ta nouvelle vie. Une vie libre. Par conséquent, tu es libre de te choisir un nouveau prénom.

— C'est vrai ?

— Bien sûr.

Il hésita. Puis se remémora une discussion avec sa mère, alors qu'il n'avait que sept ans. Pourquoi Liktor ? Parce que, avait-elle répondu, j'ai toujours rêvé de nommer mon fils Viktor. En souvenir de mon père. Papy ? s'était-il étonné. Oui. Ce dernier était mort pendant sa grossesse.

— Je m'appelle...

Mais, avait-elle poursuivi, plus je te regarde, et plus j'aime ce prénom. Tu conserves le souvenir de papy, mais tu es toi. Mon formidable petit garçon.

— ... Liktor.

La décision de sa mère était la plus belle à ses yeux.

— Très bien, Liktor. Sois le bienvenu à Onivers.

Il lui serra la main.

— Je suis ce qu'on pourrait appeler le « maire » de cette petite communauté. Oh, ne t'inquiète pas ! Il n'y a absolument aucune loi ! Je me charge juste d'accueillir les petits nouveaux pour qu'ils s'adaptent rapidement. Ce n'est parfois pas si facile de passer dans l'envers du décor... Comment tu t'y es pris ?

Le Chant du LoriotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant